Dans l'antre de la bête

Où est le drame? C'est le lot des villes cosmopolites que d'avoir des îlots qui vivent en cercle fermé

La pompière de GESCA - à force de banaliser le mal, elle se ridiculise elle-même et son journal...



L'an dernier, la crise existentielle portait sur les hassidim et les musulmans en train de détruire notre culture. Cette année, on change de thème tout en restant dans la même veine: le français recule à Montréal!


Même si le sujet me lasse énormément (j'écris sur les questions linguistiques depuis l'époque du bill 63!), je me sens obligée d'apporter mon humble contribution à ce faux débat, pour deux raisons. Primo, je connais le terrain: la rue Sainte-Catherine Ouest - coeur du litige -, je l'ai toujours sillonnée; j'y suivais ma mère quand elle « magasinait» chez Morgan's, Eaton's et Ogilvy's. Étudiante, j'ai été vendeuse chez Simpson's (tous ces magasins portaient alors des «s», comme le veut l'orthographe anglaise). Secundo, j'habite depuis longtemps au centre-ville, dans l'antre de la bête.
Je ne m'attarderai pas sur la révolution linguistique qui s'est produite depuis les années 60. Toute personne de bonne foi le reconnaîtra. Ah! Mais le français commencerait-il à reculer? C'est la nouvelle peur qui s'est infiltrée dans les chaumières, à la faveur de reportages alarmistes et de l'habituelle démagogie politicienne.
Un collègue d'un autre quotidien, commentant l'enquête de l'Office de la langue française, qui révèle que l'on se fait servir en français dans 90% des commerces situés rue Sainte-Catherine, entre les rues Papineau et Du Fort, déplore que l'OLF n'ait pas ventilé les résultats en fonction des secteurs. Il soupçonne que si le français prédomine entre les rues Papineau et de Bleury, ce ne doit pas être le cas à l'ouest
Faux, cher ami, archifaux. Si vous n'habitiez pas en banlieue, vous sauriez que la langue du commerce, au centre-ville, c'est le français. Et aussi l'anglais bien sûr, car l'immense majorité des vendeurs est bilingue. Mais l'important, c'est qu'il n'y a pas un francophone qui soit obligé de passer à l'anglais pour se faire servir. C'est bien sûr le cas, sans exception, dans les grands magasins - La Baie, Simons, Ogilvy. Mais parlons des petits commerces, car ce sont eux qui sont la cible des doléances de nos zélotes.
Ma pharmacienne est vietnamienne, elle parle français avec un charmant accent. L'atelier de couture où je fais faire mes retouches est tenu par des Arabes qui parlent français approximativement. Ma cordonnerie, par des Arméniens qui parlent un excellent français. Chez Linen Chest, vous serez servis par des Rachida et des Maria qui parlent français mieux que la plupart d'entre nous.
Peut-être parce que les salaires sont trop bas, les jeunes Québécois de souche, tant francophones qu'anglophones, semblent bouder les postes de vendeurs. Les postes sont souvent comblés par des jeunes francophones d'origine haïtienne, maghrébine, libanaise ou africaine, ou par des immigrés relativement récents dont le français n'est pas la langue maternelle, mais qui l'ont bien appris.
Une commentatrice se plaignait l'autre jour qu'«en une seule soirée de magasinage sur Sainte-Catherine Ouest», elle a entendu «très peu de français chez les clients et chez les vendeurs». Le fait est que la rue Sainte-Catherine est intensément cosmopolite, et qu'un grand nombre de passants parlent anglais entre eux, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne connaissent pas le français. Et alors? Montréal a toujours eu une population anglophone, c'est l'une de ses richesses. Si la clientèle francophone a diminué en proportion au centre-ville, c'est parce que trop de francophones de souche ont émigré vers la banlieue, et qu'ils «magasinent» dans les centres commerciaux qui ont poussé au-delà des ponts.
Allons encore plus à l'ouest. Les bouchers et les maraîchers du marché Atwater sont tous francophones. On se fait aussi facilement servir en français au Cinq-Saisons de la rue Greene qu'à celui de la rue Bernard, dans la très française Outremont. Idem rue Monkland, la rue marchande de Notre-Dame-de-Grâce.
Ici et là à Montréal, on tombera parfois sur un dépanneur - invariablement un immigré récent - qui bredouille à peine le français. Les dépanneurs sont en effet, dans toutes les grandes villes, la porte d'entrée commerciale des immigrés (coréens à New York, arabes à Paris), parce que ces mini-commerces ne demandent pas trop d'investissements et qu'on y embauche ses proches. Où est le drame? C'est le lot des villes cosmopolites que d'avoir des îlots qui vivent en cercle fermé.
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