Tous les médias, ces derniers temps, ont refait l’historique de la naissance, de la vie et de la mort de l’Accord du Lac Meech qui devait permettre au Québec de se blottir dans le giron constitutionnel canadien, dans «l’honneur et l’enthousiasme», pour reprendre la formule de Mulroney.
Je vous fais grâce des péripéties de cette saga, rocambolesque à bien des égards (rappelons-nous la plume de l’indien Elijah Harper, au parlement manitobain), mais il convient de se remémorer la minceur de la proposition constitutionnelle du gouvernement Bourassa. Ayant eu à croiser le fer à l’époque avec le Premier Ministre, je peux vous dire que M. Bourassa était un bon jouteur parlementaire difficile à coincer dans les câbles. Mais nous avons quand même réussi, à force de le harceler de questions, à lui faire admettre deux points essentiels : premièrement, que son projet de modification de la constitution était le plus minimal de toute l’histoire du Québec (ce qui signifiait qu’amoindrir sa portée serait déshonorant) ; et deuxièmement, que le concept de «société distincte» n’avait aucune primauté sur la Charte des Droits (c’était donc largement symbolique).
Bref, on était très loin du grand texte fondateur qui aurait reconstruit le Canada sur de nouvelles bases.
Et ça n’a pas marché. Ce fut un lamentable échec!
Et, vingt ans plus tard, on doit aussi conclure que ce fut la préfiguration de l’échec programmé de tout projet de réforme du fédéralisme canadien sur la base des aspirations et des attentes séculaires de la nation québécoise.
Les fédéralistes québécois l’ont bien compris. Mis à part quelques idéalistes, comme Benoît Pelletier, ils ont vite conclu qu’il leur fallait désormais adhérer au fédéralisme tel que conçu et bâti par Trudeau. Fédéralisme coopératif, fédéralisme d’ouverture, fédéralisme asymétrique, véritable confédération, nouveau partage des pouvoirs, tout cela n’est que fiction, pensée magique et onanisme intellectuel.
En matière de «renouvellement» du régime constitutionnel canadien, nous sommes donc et à tout jamais dans une impasse totale, un cul-de-sac insurmontable. Moi, si j’étais fédéraliste, je serais profondément déprimé ou profondément résigné, ou les deux à la fois.
Vous aurez compris que le seul espoir se trouve du côté de la souveraineté. Mais l’espoir est par les temps qui courent moins solide qu’on pourrait et qu’on voudrait le croire. Si ce n’est pas l’impasse absolue comme dans le cas du fédéralisme, c’est du moins le piétinement, le désintérêt et «l’arrêt sur image» (l’image étant le référendum presque gagné de 1995). Certains évoquent même la panne sèche.
Et j’ai le sentiment désagréable que le temps joue contre le projet d’indépendance. Parce que plus le temps file, plus le Québec s’embourbe dans la mélasse du multiculturalisme, fondement majeur du Canada trudeauiste.
Soyons clairs : comme nous ne sommes pas en mesure, en tant que nation, d’intégrer convenablement les nouveaux venus qui sont plutôt encouragés à s’enfermer dans le communautarisme; comme nous éprouvons d’énormes difficultés à franciser convenablement les immigrants; comme, de plus, dans les communautés musulmanes gangrenées par l’islamisme, nos valeurs fondamentales sont largement honnies; et comme les Québécois dits de souche sont toujours divisés sur la question nationale, je ne peux que constater que le temps joue contre la souveraineté.
Par conséquent, dans un éventuel troisième référendum, les «votes ethniques», pour reprendre l’expression de M. Parizeau, vont peser encore davantage dans la balance. Il faudrait que la communauté nationale fasse bloc, mais comme ce ne fut pas le cas en 1980 et en 1995, ce ne sera sans doute pas le cas non plus lors d’un prochain référendum.
Car, voyez-vous, comme l’écrivait Joseph Facal, «Nous sommes cependant un cas tout à fait unique. J’avoue ne pas connaître d’autre exemple d’un peuple qui aurait pu librement, pacifiquement, sans verser une goutte de sang, devenir souverain et qui, non pas une, mais deux fois, a choisi de rester une minorité entretenue et dépendante et de continuer à obéir aux lois votées par un autre peuple qui s’impose à lui par la force du nombre. Nous sommes passés d’une dépendance qui nous fut jadis imposée par les armes à une dépendance à laquelle nous consentons volontairement nous-mêmes, à une subordination auto-imposée.»
Curieusement, mon ex-collègue a intitulé son livre «Quelque Chose comme un Grand Peuple», reprenant ainsi la célèbre phrase de René Lévesque au soir de la victoire électorale de 1976. Mais en omettant l’adverbe «peut-être»! Car Lévesque n’a pas dit : «Nous sommes quelque chose comme un grand peuple.» Il a dit : «Nous sommes PEUT-ÊTRE quelque chose comme un grand peuple.» Le «peut-être» est essentiel. Par ce que ça signifie que même dans l’euphorie de la victoire, René Lévesque avait des doutes sur notre appartenance à la catégorie des «grands peuples».
Et, ma foi, lorsqu’on observe la situation présente, on comprend que Lévesque ait pu être dubitatif. Il nous connaissait bien. Il était clairvoyant. De nous, en effet, on ne peut pas vraiment dire que nous sommes «quelque chose comme un grand peuple». Le peuple québécois est actuellement déboussolé, oublieux de plus en plus de ses racines, incapable d’assumer pleinement son avenir, envahi par l’indifférence face à la résurgence des périls linguistiques, infecté par des virus idéologiques (écologisme, pacifisme, palestinisme, alter-mondialisme), empêtré dans le multiculturalisme délétère, souffrant d’une grave addiction à l’étatisme, de plus en plus marginalisé sur la plan politique au sein du Canada et davantage porté à considérer le patriotisme comme un vieillerie dérisoire.
Un «grand peuple», le peuple québécois? Peut-être! Comme dirait Lévesque. Et si c’est vraiment le cas, il nous faut constater qu’il est comme en dormance. En hibernation.
Jacques Brassard
Cul-de-sac
Bref, on était très loin du grand texte fondateur qui aurait reconstruit le Canada sur de nouvelles bases. Et ça n’a pas marché. Ce fut un lamentable échec !
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