Godin-le-magnifique

PQ - XVIe congrès avril 2011

Publié dans : Choses vues

J’ai dû ruminer plusieurs jours, après avoir vu le film Godin, avant de savoir précisément ce que j’en pensais, et pouvoir vous le dire.

Ce qui frappe énormément, au début du film, sont des images du jeune Godin. À 29 ans, cigarette au bec, au volant d’une voiture rouge tape-à-l’oeil, le jeune progressiste/journaliste/poète exsudait l’arrogance de la jeunesse, ses certitudes, sa séduction.
Dans ces images 35mm tournées par Gilles Groulx, tout l’avenir d’un Québec nouveau, à la veille de naître, semble comprimé dans le personnage.
À le voir s’exprimer en entrevue avec sérieux et assurance, à le voir produire une poésie à la fois proche et dénonciatrice du réel, à le voir devenir le compagnon de la splendide et enivrante Pauline Julien, à le voir arrêté en octobre 1970 pour délit d’opinion, on s’attend à ce que ce prologue soit suivi par un feu d’artifice, une grande oeuvre sociale, politique, littéraire.
Comme tous les récits des artisans de l’indépendance des années 70, 80 et 90, l’arc narratif se rompt sur l’échec référendaire de 1980, puis de 1995.
Privée de victoire à la mesure de leur talent et de leur promesse, leur histoire doit se replier sur des parcours, voire des réussites, qui, chez d’autres, suffiraient amplement à satisfaire le récit mais qui, chez eux, n’ont que le goût de l’incomplétude.
Le documentariste Simon Beaulieu tente hardiment de compenser ce défaut structurel irréfragable en introduisant la notion de progrès vers l’étape finale, cette indépendance encore à venir et à laquelle son héros travaille jusqu’à la fin.
Mais le fait que Godin soit victime de cancer, donc privé de la capacité de participer à la suite des choses, amplifie le malaise. La vie est doublement injuste envers lui.
Pour illustrer combien Godin est un battant qui continue, malgré le mal qui ronge son corps, à poursuivre son combat politique et son activité de député de proximité sur le Plateau, Beaulieu nous fait entendre un extrait de discours de René Lévesque sur l’urgence d’agir.
Il s’agit du Lévesque de 1968, au début, donc, de son combat indépendantiste. L’extrait est cependant remarquable, non par l’espoir porté sur l’avenir, mais par le ton excédé de Lévesque face à ceux qui ne comprennent pas le bien fondé de son projet.
Je ne l’avais jamais entendu ainsi. Et peut-être est-ce mon oreille, davantage que son ton, qui est ici en cause. Mais écoutez d’abord:
(il faut aller jusqu’aux applaudissements, pour la portion utilisée dans le film)
“Puisque l’avenir, il va être là de toutes façons !”

Le sentiment qu’on en retire, dans le contexte du film, est que Lévesque est furieux à l’avance du fait que, en 2000, ni Godin ni lui n’auront atteint leur objectif.
Ainsi, de film à la gloire de la persistance, le documentaire devient un film sur la frustration.
Ma conclusion: allez le voir. Peut-être y trouverez vous autre chose que moi. Peut-être le ressent-on autrement si on est jeune ou vieux.
Si oui, revenez me l’écrire. Si non, écrivez-le moi aussi.

Squared

Jean-François Lisée296 articles

  • 179 230

Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé