Il y a une infinité de pièges qui s’ouvrent, je crois, dans les conversations que peuvent avoir des militants québécois et wallons avec des adversaires de leurs idéaux d’autonomie ou d’indépendance. Parce que la République populaire de Chine a ouvert cette semaine à Bruxelles une immense exposition culturelle sur les millénaires de la civilisation de l’ancien Empire du Milieu, je pense à l’un de ces pièges. Il consiste à comparer la mesquinerie ou la petitesse des revendications nationales de ces deux peuples par rapport à l’immensité de la Chine qui semblerait imposer la taille adéquatement politique au monde du XXIe siècle à tous égards. Mais comme la Chine a 1,35 milliard d’habitants, je me suis souvent demandé comment un tel pays pouvait former nation ou société. Sans doute, c’est un pays totalitaire. Mais qui se modernise aussi. Du sein duquel montent d’évidentes aspirations à la démocratie. La question que je me posais depuis longtemps à propos de la Chine, je ne savais pas qu’elle avait été déjà posée par le journal The Economist du 19 décembre 1998 qui la formulait comme suit: « Dans un monde où existent 200 pays différents, est-il vraisemblable qu’un quart de l’humanité ne relève que d’un seul Etat-Nation ? »
Sans même parler ici des ethnies minoritaires en Chine (les Hans y sont de toute façon très majoritaires), on peut faire observer que les 22 provinces chinoises (23 si l’on compte Taïwan), les cinq Régions autonomes, les quatre grandes municipalités autonomes et les deux Régions administratives spéciales ne fragmentent pas la Chine de manière purement administrative. Il est question dans maintes études scientifiques du fédéralisme chinois de facto. Dans un des chapitres du livre collectif dirigé par Mireille Delmas-Marty et Pierre-Etienne Will La Chine et la démocratie (Fayard Paris, 2007), Leïla Choukroune explique qu’une des premières demandes de l’OMC lorsque la Chine y demanda son accession fut d’exiger une application uniforme du droit commercial dans le pays. Demande étrange, car il y a tout de même beaucoup d’Etats fédéraux qui font partie de l’OMC, sans que cela ne semble poser un problème de ce genre. On est donc amené à penser que la législation des provinces chinoises dans certains domaines pouvait aller bien plus loin que les législations d’une certaine façon souveraines que peuvent se donner des Etats fédérés dans le monde. L.Choukroune écrit que « Pékin s’est engagé à faire en sorte que les échelons provinciaux n’aient plus de pouvoir autonome de création de normes en matière commerciale, tout en certifiant qu’il veillerait à l’annulation des lois et règlements locaux non conformes au droit de l’OMC. » (L.Choukroune in La Chine et la démocratie p. 627). Mais la suite de son étude montre que le problème n’est pas réglé au point que la propagande officielle chinoise parle de ces provinces comme de « royaumes indépendants ». Entre ces provinces chinoises, il peut exister des rivalités économiques et même culturelles analogues à celles qui peuvent exister entre les Etats-Nations européens dont les 22 provinces chinoises ont analogiquement des tailles semblables allant des 5 millions d’habitants du Qinghaï (comparable de ce point de vue au Danemark), au Shandong (un peu plus peuplé que l’Allemagne actuelle avec ses 90 millions d’habitants). Dans son livre De facto federalism in China, World Scientific, Londres, 2007, Zheng Yongnian explique que l’une des principales raisons de l’existence du fédéralisme de facto en Chine, c’est l’impossibilité d’un développement économique à l’échelle de ce pays-continent sans que de larges pouvoirs autonomes soient accordés aux entités locales. Il y évoque même la possibilité d’élections démocratiques, les Provinces chinoises disposant donc ainsi d’un régime démocratique qui ne semble pas prêt à faire son apparition au niveau de la Chine prise comme un tout. C’est une opinion qu’émet également Leïla Choukroune (1)
Dans quelle mesure cette dimension fédéraliste de la Chine actuelle pèse-t-elle sur son destin et dans quelle mesure ce fédéralisme (si poussé apparemment), met-il en cause l’unité chinoise ou, en tout cas, son apparent monolithisme ? On peut deviner à travers cela que l’unité chinoise est au moins problématique et que dans ce pays moderne qui va peut-être devenir l’une des premières puissances économiques du monde, la question des autonomies voire des indépendances locales est également posée. D’ailleurs c’est ce terme d’indépendance dont se sert parfois Zheng Yongnian pour parler des pouvoirs de certaines provinces. On ne trouve guère d’informations sur la Chine et son fédéralisme dans les médias habituels. Or, à mon sens, c’est une dimension importante, fondamentale de la réalité chinoise. Et cette dimension, dont on parle si peu, voire pas du tout, relativise l’argument de ceux qui disent qu’en nous préoccupant du sort du Québec ou de la Wallonie nous ne serions pas à la hauteur des exigences du temps présent. Bernard Landry déclara, il y a quelques années, que l’indépendance du Québec était plus urgente que jamais dans la mesure où les indépendances et les autonomies vont se multiplier à la surface de la Planète. En Chine aussi peut-être, voire sûrement… Et cela d’ailleurs, sans que ces émergences ne contredisent l’unité de plus en plus grande d’une famille humaine dont les diversités sont aussi plus admises et confortées politiquement par des souverainetés. L’indépendance de la Wallonie, celle du Québec sont à la hauteur des défis du présent.
(1) Historiquement d’ailleurs, la question du fédéralisme en Chine s’est posée dès les années 1920 quelques années après l’instauration de la République et la chute du dernier Empereur. Voir La Chine et la démocratie pp. 273 et suivante avec une courte bibliographie p. 275.
Il existe aussi un numéro de la revue Hérodote où la question du fédéralisme chinois est également traitée (Géopolitique en Chine n° 96, 1er trimestre 2000).
----
Chers amis,
La suppression de la commission d'enquête parlementaire sur l'assassinat de Julien Lahaut nous amène à faire appel à vous:
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/assassinat-de-julien-lahaut#comment-28 (*)
et à venir voir ce que devient la revue TOUDI. Avec des articles récents et importants comme :
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/la-wallonie-et-la-première-guerre-mondiale-perspectives-historiques-récentes-i-paul-delforge (par François André)
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/une-hiérarchisation-du-financier-international (par Jean-Claude Paye)
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/léconomie-au-service-des-gens-yves-de-wasseige-francis-de-walque (par Emile Delferrière)
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/lidentité-postnationale-de-jean-marc-ferry-face-à-des-critiques-dans-la-revue-toudi et http://www.larevuetoudi.org/fr/story/jean-marc-ferry-lidentité-postnationale-et-les-objections-dintellectuels-wallons et (par TOUDI: un article d'archive mais qui s'inscrit dans la gestion dynamique des archives de notre revue et fait allusion à des développements plus récents)
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/critique-au-dos-de-nos-images-luc-dardenne (par José Fontaine)
http://www.larevuetoudi.org/fr/story/walloon-cinema (la traduction d'un paragraphe récemment publié sur la Wikipedia anglophone à l'article Wallonia).
Le nombre de visiteurs est en augmentation constante, 3500 visiteurs en septembre pour 1000 en mars et sur les 3500 visiteurs de septembre près de 700 qui demeurent en moyenne près de 10 minutes à lire la revue (les 10 minutes étant une moyenne).
Un nombre de visiteurs en augmentation donc, venant de bien des pays dans le monde et une majorité très importante de nouvelles visites chaque jour. Les visites des inscrits sur la revue ne sont pas comptabilisées.
Nous n'en sommes encore cependant qu'à une phase préparatoire. La revue doit être améliorée techniquement et sur le plan rédactionnel. Il faudra aussi améliorer le soutien financier que ne peuvent nous apporter que nos lecteurs les plus fidèles. Un appel sera lancé dans les prochaines semaines à cet effet à ce que nous pourrions appeler (comme Le Monde Diplomatique le dit lui-même à propos de ses articles mis en ligne), nos passagers clandestins (qui peuvent jouir de la matière offerte par la revue mais qui ne soutiennent pas l'immense travail que cela constitue de même que les frais très importants que cela entraîne également).
Cordialement,
José Fontaine
(*) Au cas où vous ne pourriez pas joindre votre signature à cette carte blanche, vous pouvez me la faire parvenir avec votre prénom, non qualités et adresse (la ville où vous habitez)
Chine et défis wallons ou québécois
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
Cliquer ici pour plus d'information
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé