Chapeau, les Égyptiens!

Géopolitique — Proche-Orient



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Ne boudons pas notre plaisir de voir un véritable despote — qui plus est, grand ami des Occidentaux, au point qu'un Stephen Harper, au diapason des dirigeants israéliens, semble aujourd'hui regretter de le voir partir — chassé par un mouvement révolutionnaire authentique.
Un mouvement à la fois puissant et raisonnable, remarquable d'autocontrôle, une lame de fond populaire dont l'objectif, du moins dans un premier temps, était clairement identifié. Un objectif aujourd'hui atteint.
Levons notre chapeau et disons «Mabrouk!» (félicitations) à ces Égyptiens de toutes classes qui, dans la première phase de cette poussée révolutionnaire, ont accompli un «sans-faute» remarquable, et donné une leçon de détermination et de modernité au monde entier. Oui, de modernité dans le monde arabe... et pas seulement à cause de Twitter et de Facebook!
Aucun débordement violent n'a eu lieu place Tahrir (hormis les 2 et 3 février, lors de l'assaut concerté des éléments prorégime, qui était entièrement le fait de ces éléments). Aucune tension entre chrétiens et musulmans présents côte à côte, unis dans un rejet commun de la dictature. Aucune attaque d'église ni de synagogue (il y en a au centre du Caire), même lorsque la police avait disparu. Et même, une colère profonde mais sans casse aucune, jeudi soir devant le baroud désespéré de Moubarak à la télévision.
Et faisons, en tant qu'Occidentaux, notre mea culpa: ces despotes qui tombent l'un après l'autre, et dont nous applaudissons hypocritement la chute puisqu'il est maintenant bien de le faire, nous les avons soutenus — avec enthousiasme ou en détournant le regard — en les armant et en les finançant. En se répétant toujours, en aparté, qu'au fond ces pauvres arabo-musulmans sont inaptes à la démocratie.
Les ministres et autres dignitaires français — François Fillon, Michèle Alliot-Marie — qui se sont fait épingler, depuis deux semaines, pour leurs récents séjours auprès d'hôtes généreux, en Égypte et en Tunisie alors que guettait l'onde révolutionnaire, n'étaient que les derniers d'une longue série de diplomates et de financiers complaisants — de droite ou de gauche, qu'on se souvienne de l'affection de François Mitterrand pour Hosni Moubarak — venus de nombreux pays, y compris le Canada.
Autre motif d'humilité: le retard systématique des officines occidentales — à commencer par celles des États-Unis — dans le suivi et la compréhension de ce qui s'est passé réellement en Égypte depuis trois semaines. La «communauté internationale» dans la crise égyptienne? Larguée! L'acteur numéro un, et de loin, c'était le peuple dans la rue... pas la CIA.
***
Cela dit, place maintenant aux réserves et aux inquiétudes. Cette révolution est bien partie, mais le départ forcé de deux dictateurs, en Tunisie et en Égypte, n'est que la première étape sur un chemin semé d'embûches.
Les Égyptiens savent ce qu'ils ne veulent plus. Mais savent-ils exactement ce qu'ils veulent... et peuvent obtenir? À court terme? À plus long terme? Et par quels moyens? S'ils veulent que leur mouvement porte ses fruits, les jeunes et moins jeunes de la place Tahrir vont maintenant devoir former des associations permanentes, des embryons de partis politiques. Pour que se dessinent — entre les «recyclés» de l'ancien régime et des islamistes déjà bien organisés — de nouvelles forces: libérales, modernes, laïques...
Ces forces existent en Égypte: les 18 derniers jours nous l'ont montré de manière éloquente. Encore faut-il qu'elles puissent s'installer dans la durée.
Et puis ce conseil militaire, est-il vraiment porteur de renouveau, même s'il se déclare, au départ, fidèle au mouvement populaire? On répète: «L'armée prend les commandes en Égypte.» Mais a-t-elle jamais cessé, depuis 60 ans, d'être aux commandes? Nasser, Sadate, Moubarak étaient tous des militaires... avec ou sans uniforme. La possibilité existe d'un «moubarakisme» sans Moubarak.
Ce maréchal Mohammed Hussein Tantaoui, nouvel homme fort du régime, n'est pas en lui-même un garant de nouveauté... c'est le moins qu'on puisse dire! Formé en Union soviétique — donc avant le virage pro-américain de l'Égypte, sous Anouar al-Sadate —, c'est un homme proche des Américains et des Israéliens, un conservateur de 75 ans, qu'on dit soucieux de préserver le rôle central de l'institution.
On peut se rassurer, pour l'instant, en se disant que le mouvement social égyptien est loin d'avoir dit son dernier mot. Et qu'il fera certainement des petits dans la région: rendez-vous aujourd'hui même en Algérie, où de grandes manifestations sont prévues...
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets.
francobrousso@hotmail.com

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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