Ce qui est bon pour Shell n'est pas bon pour le Québec

Il s'agit d'une affaire d'État, pas du Grand Prix de Montréal !

Pétro-Québec



Dans l'affaire de la fermeture de sa raffinerie, la compagnie Shell est sortie de sa coquille et a fait une mise au point publique sous la plume de sa présidente, Mme Lorraine Mitchelmore. Elle nous fait un historique de la décision de Shell de fermer sa raffinerie, des pourparlers pour la vendre, et en bout de piste, de l'échec de cette vente, et nonobstant les efforts de tous, de la nécessité de la convertir en terminal pour exportation. Elle va même jusqu'à affirmer que cette décision est prise pour « nous assurer de maintenir l'approvisionnement en produits raffinés dont le Québec et l'Est du Canada ont besoin, et pour offrir à nos employés la certitude et l'équité nécessaires ».
Je suis bien prêt à croire tout ce que dit Mme Mitchelmore à propos des intérêts de Shell de fermer sa raffinerie, même si c'est ce qu'elle ne dit pas qui est intéressant (Je crois pour ma part que l'étude amorcée en 2008 a donné le signal de la fermeture en 2010, mais que la décision de fermer est prise depuis bien plus longtemps. On ne ferme pas une usine qu'on évalue à plus d'un milliard aussi vite. Il faudrait voir combien d'investissements et d'entretien ont été consentis à cette usine pour nous convaincre que la décision de fermer date bien avant 2008. L'affirmation de la présidente de Shell Canada que "le maintien de cet établissement allait nécessiter des dépenses en immobilisations de l'ordre de 600 millions à court terme" laisse toutefois supposer que la multinationale avait décidé avant 2008 de fermer sa raffinerie de l'Est de Montréal. Shell a préféré encaisser des profits plutôt que d'investir à Montréal-Est.).
Par contre, si je suis prêt à admettre qu'elle donne bien le point de vue de Shell dans cette affaire, je ne la suis plus lorsqu'elle s'aventure sur le terrain plus politique de la sécurité des approvisionnements. Elle est ici sur le terrain de la raison d'État, et en tout respect, je maintiens que les gouvernements devraient se mêler de cette affaire bien plus qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent.
Comme je l'expliquais dans ma communication de la semaine dernière, (Vite, une nouvelle politique de l'énergie) la sécurité d'approvisionnement vise à garantir la capacité d'obtenir la ressource à des prix acceptables. Réduire la capacité de raffiner va évidemment diminuer la capacité d'obtenir la ressource, et surtout faire grimper les prix sans autre raison que d'augmenter les profits déjà exorbitants de ces entreprises. En outre, ceux qui vont empocher ces gains sont des milliardaires texans, anglais ou hollandais. Comme société, nous n'avons aucun intérêt à laisser les choses aller dans cette direction. Ceci risque de diminuer notre croissance économique bien plus que les augmentations du salaire minimum décrétées par le gouvernement, et dénoncées par certains esprits chagrins, qui sont par ailleurs muets devant une telle catastrophe.
Le président Eisenhower disait que ce qui était bon pour General Motors était bon pour l'Amérique. Il était politicien, et pouvait identifier l'intérêt des États-Unis à ce que bon lui semblait. Mais ici, il est tout à fait faux de prétendre que ce qui est bon pour Shell est bon pour le Québec. C'est plutôt le contraire qu'il faudrait dire, ce qui est bon pour Shell n'est pas bon pour le Québec et ses citoyens. Et c'est vrai aussi pour le Canada.

Si les membres du cabinet Charest semblent dépassés par les événements, ce n'est pas le cas de leurs cousins d'Ottawa. Shell devrait s'en expliquer aujourd'hui même en Commission parlementaire. Denis Coderre me semble avoir compris les risques que courent le Canada et les Canadiens dans cette affaire. Dans une [entrevue donnée à Rue Frontenac le 5 juillet dernier->], il critique la décision de Shell sans mâcher ses mots, et donne un très bon point de vue canadien. Somme toute, il affiche un raisonnement d'homme d'État, ce qui est bien rare de nos jours. Car il s'agit bel et bien d'une affaire d'État, du genre de celles qu'il faut confier à des ministres compétents et fiables ce dont nous manquons cruellement à Québec.
Le Québec n'est pas encore un État indépendant contrôlant tous ses impôts. Rien ne pourra jamais remplacer un état qui a tous les pouvoirs d'un pays indépendant pour défendre les intérêts de ses citoyens, Mais rien ne nous empêche actuellement de penser comme si nous étions un pays normal, ne serait-ce que pour faire désirer de le devenir. Dans ce dossier en particulier, l'État du Québec a pourtant toute latitude pour agir en État et il n'y a aucune raison pour qu'il ne le fasse pas.
En l'absence d'une politique de l'énergie, compte tenu du caractère stratégique de cette installation de l'est de Montréal, je maintiens que le Gouvernement du Québec, seul ou avec d'autres, devrait s'assurer qu'elle reste ouverte, et prendre les moyens pour y arriver, en allant jusqu'à la nationalisation des biens de Shell au Québec.
Il s'agit d'une affaire d'État, pas du Grand Prix de Montréal !
Louis Champagne, ing., Longueuil, 20 juillet 2010



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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juillet 2010

    C’est finies les 2 raffineries de Montréal-Est.
    [« Dès la première annonce d'une fermeture définitive de la raffinerie de Shell à Montréal-Est, en janvier dernier, ils étaient plusieurs spécialistes des secteurs énergétique et environnemental à conclure que la pétrolière ne voulait pas vendre. Qu'au demeurant Shell vendrait, mais à un repreneur dont le plan d'affaires aurait prévu l'utilisation des installations à d'autres fins, à la transformation en biogaz notamment.
    En clair, ces spécialistes faisaient la lecture que Shell voulait poursuivre dans ce mouvement impliquant une réduction généralisée des capacités de raffinage afin de créer une rareté artificielle et d'augmenter les marges bénéficiaires dans ce segment. La suite des choses semble leur donner raison.
    Dans l'industrie, la tendance est à la construction de mégaraffineries ayant des capacités d'au moins 400 000 barils par jour, situées près des activités des grands sites de production.
    En 2009, des installations de la taille des 200 000 à 275 000 barils par jour ont été fermées dans nombre d'États américains. À la fin de 2009, l'on s'attendait à une disparition additionnelle de 15 % de la capacité de raffinage aux États-Unis seulement.»]
    Source ; Gérard Bérubé,Le Devoir,22 juillet 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    21 juillet 2010


    « Shell considère que la raffinerie de Montréal-Est est «trop petite, trop vieille, la moins concurrentielle des raffineries du Canada». D'autres ont dû faire la même évaluation puisque Delek est la seule entreprise à avoir négocié sérieusement avec la multinationale. »
    André Pratte,La Presse,21 juillet 2010
    P.S. La fermeture va améliorer le bilan GES du Québec.Kyoto est content.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juillet 2010

    Parce que c'est une sorte de Family Compact à l'échelle nord-américaine et surtout canadienne.
    Le Québec est bien peu dans ce dossier. Que des ploucs !

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juillet 2010


    J'ai des questions.
    Pourquoi Suncor (l'ex Pétro-Canada,la voisine à Montréal-Est)n'achète pas Shell?
    Pourquoi Irving n'achète pas Shell ?
    Pourquoi Ultramar n'achète pas Shell ?
    Pourquoi l'association des Pétrolières Indépendantes du Québec n'achète pas Shell ?
    J'ai pas confiance au groupe israélien Delek.