Bourgault avait raison

RIN 50e - le 10 septembre 1960-2010 - "Bourgault"

Écrire l'histoire sur la base des seules considérations présentes, c'est presque toujours se retrouver dans le rôle d'un éclairagiste de scène qui, pour tout équipement, se contenterait d'un bocal rempli de lucioles. Pierre Bourgault a-t-il vraiment eu tort, en 1968, de dissoudre le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), comme l'en accuse [Denis Monière sur la base de ses déceptions actuelles à l'endroit du Parti québécois (Le Devoir, le 7 avril 2007)->5871]?
Depuis sa fondation, en septembre 1960, le RIN avait sans cesse été soumis à de terribles jeux de division internes. En 1968, année du sabordement du parti, ses dirigeants savaient peut-être plus que quiconque alors le prix politique à payer pour subir sans cesse de tels écartèlements sur la place publique.
À la fin de 1967, malgré la formidable poussée en avant qu'a donnée le général de Gaulle aux indépendantistes québécois, le RIN se trouve encore une fois plus divisé que jamais. Un noyau plus radical, constitué autour de l'avocat Guy Pouliot et de la militante Andrée Ferretti, conteste alors les positions de Bourgault et souhaite radicaliser à gauche la pensée du RIN. En réaction, Bourgault va jusqu'à démissionner temporairement afin de forcer, dit-il, une prise de conscience des indépendantistes.
Au même moment, le Mouvement souveraineté-association (MSA) de René Lévesque se prépare à filer comme un train sur ses rails. La création du MSA, en novembre, affecte tout de suite le RIN. Après avoir connu une nouvelle ferveur à la suite du discours du général de Gaulle, voilà que le parti se vide de ses militants au profit du nouveau groupe constitué autour de la figure charismatique de Lévesque. Différents documents d'archives et plusieurs témoignages en attestent hors de tout doute.
À la tête du RIN, on ne se fait plus d'illusions: si une fusion avec le MSA ne réussit pas, il faudra que le RIN accepte de ne se survivre que comme son faire-valoir, au risque d'ailleurs de mourir quand même avant longtemps, tout à fait épuisé et exsangue. Est-ce pour aller plus vite sur le chemin de l'indépendance, comme l'affirme Monière, que Bourgault décide alors, avec André d'Allemagne et Pierre Renaud notamment, qu'il faut en finir avec le RIN? Il s'agit plutôt, dans une perspective pragmatique, de s'assurer de rallier le plus grand nombre possible de militants en vue de la poursuite d'un objectif politique commun. En somme, pense Pierre Bourgault, le RIN doit rendre l'âme pour ne pas rendre les armes. La décision, terrible, ne lui en fait pas moins mal au coeur.
Pour l'union des indépendantistes
Bien après ces événements, dans nombre d'entrevues et de textes, Bourgault prétendra qu'il a toujours été, d'un point de vue stratégique, favorable à l'union de toutes les forces indépendantistes. Mais quoi qu'il en ait dit après coup, tout ne se joue cependant pas sous un éclairage aussi simple au départ dès lors qu'il est question de René Lévesque...
Bourgault considère tout d'abord que c'est au RIN qu'il revient d'absorber le jeune mouvement de Lévesque. Il entrevoit d'entrée de jeu cette éventuelle union comme un phénomène de digestion organique où le RIN joue forcément le rôle du prédateur naturel. Depuis Sept-Îles, il déclare le 26 octobre 1967 «qu'il ne ménagerait rien» pour amener au RIN François Aquin et René Lévesque, les députés démissionnaires du Parti libéral. Il confie du même souffle s'entretenir depuis longtemps avec Aquin mais ne pas avoir encore communiqué avec Lévesque depuis que celui-ci a démissionné du Parti libéral.
Si Bourgault «ne ménagerait rien», comme il l'affirme, pourquoi donc se ménage-t-il tant dans les faits? Qu'est-ce qui l'empêche, pour commencer, de soulever le combiné du téléphone et d'appeler Lévesque? Rien en principe, et tout en réalité. Entre Lévesque et lui, la communication, même téléphonique, n'est déjà guère envisageable. Les deux hommes ne s'entendent tout simplement pas.
Bourgault a presque toujours présenté la vedette des libéraux comme une simple et triste illusion politique, sorte de caution à un régime assez hypocrite pour se draper dans un manteau de vertu. Même la modestie de Lévesque lui semble fausse. Le personnage l'agace de bout en bout, et Lévesque perçoit Bourgault un peu de la même façon, dans une sorte de jeu de miroirs. Fin septembre 1967, au journal La Patrie qui lui demande ce qu'il pense de Lévesque, Bourgault a ces paroles très dures: «Lévesque est un velléitaire. C'est le plus beau ballon que le Québec ait eu. En somme, l'un des hommes les moins intéressants. Il avait un certain talent des foules mais c'est tout. Il a raté le bateau. Intellectuellement, c'est un homme désorganisé, fuyant les responsabilités, même celles qu'il se crée et, comme un pantin, marchant avec petit bruit, sans avancer.»
Les yeux des rinistes se tournent plutôt du côté de François Aquin, frère d'Hubert Aquin, l'écrivain et militant riniste. Aquin siège désormais à Québec comme député indépendant et indépendantiste.
S'il ne parle guère favorablement de Lévesque en public, Bourgault ne tarit pas d'éloges au sujet de François Aquin et lui tend volontiers la main: «Voici un des Québécois les plus valables, les plus prometteurs. Intelligent, cultivé, brillant, dur, courageux, on peut le comparer avec les meilleurs politiciens européens, affirme Bourgault. C'est un homme d'opposition merveilleux et je crois qu'il pourrait devenir un chef de parti extraordinaire.» C'est donc pour François Aquin plutôt que pour René Lévesque que Bourgault réserve sa meilleure attention.
Or c'est bien Lévesque et non Aquin qui est à la tête du MSA! En cet automne 1967, tandis que la table est mise pour un rendez-vous historique avec Lévesque, Bourgault préfère croire aux bienfaits éventuels qu'aurait pour le RIN une tournée de promotion de l'indépendance en Europe! Bourgault s'envole pour Paris le 13 novembre, accompagné de Pierre Renaud et Roger Turgeon. Qu'importe Lévesque!
Communication rompue
En décembre, rien n'a vraiment progressé en ce qui a trait à une fusion avec le mouvement de Lévesque. François Aquin insiste alors, dans un discours prononcé devant 2000 militants rinistes, sur la nécessité de l'union entre tous les indépendantistes. Lorsqu'il annonce, peu de temps après, qu'il se joint finalement aux troupes de Lévesque, les dés de l'histoire sont joués.
Toutes les rencontres entre le RIN et Lévesque n'ont mené à rien. Lévesque a poussé l'expression de son mépris envers le RIN jusqu'à se présenter avec plusieurs heures de retard à une rencontre d'où il repart aussitôt après avoir griffonné seulement deux mots sur un paquet de cigarettes... Les négociations sont définitivement rompues au lendemain de la violente émeute de la Saint-Jean-Baptiste, en juin 1968. Au fond, l'ancien ministre ne veut tout simplement pas de ces indépendantistes tapageurs qui, un temps, ont cru pouvoir le récupérer. Le RIN a perdu. Bourgault le sait. Est-il possible alors de laisser régresser ce jeune parti politique qu'est le RIN jusqu'au simple rôle de groupe de pression? Le temps n'est plus à la prédication d'éclaireurs mais à l'action politique concrète. Il faut donc accepter, la mort dans l'âme, de dépasser le RIN. Lévesque ne veut pas des rinistes? Peu importe. Il faut malgré tout, plaide Bourgault, entrer au Parti québécois par la porte d'en arrière, un à un, au nom de la nécessaire unité des indépendantistes.
Malgré les humiliations nombreuses et répétées qu'il doit subir sous la trique de Lévesque, Bourgault s'accrochera au Parti québécois jusqu'en 1973. En conférence de presse, au moment de tirer pour la première fois sa révérence, le tribun reproche trois choses au PQ de Lévesque. Premièrement, sa politique linguistique, qui lui semble illustrer un grave manque de vision en matière culturelle. Deuxièmement, son attitude trop timide à l'égard des jeunes, ce qui a pour effet de les démobiliser. Troisièmement, sa promotion insuffisante d'une politique de gauche pourtant inscrite dans son programme. Ses critiques à l'endroit du PQ demeureront sensiblement les mêmes lors d'une tentative de retour, en 1975, puis lors d'une seconde, bien plus tard, dans les années 90. Tirerait-il les mêmes conclusions navrées devant le PQ d'aujourd'hui?
Jean-François Nadeau, Directeur des pages culturelles du Devoir


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