À chacun ses radicaux

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RIN 50e - le 10 septembre 1960-2010 - "Bourgault"


La différence entre René Lévesque et Pierre Bourgault, c'est la différence qui existe entre ceux qui veulent changer les choses et ceux qui défendent d'abord et avant tout une idée: entre ceux pour qui la réalité existe et ceux pour qui la pureté idéologique est plus importante que la réalité. (Photo Jean Goupil, archives La Presse)

Pour toutes les forces politiques, la hantise est la même: celle de se voir débordées... sur sa gauche si on est de gauche, sur sa droite si on est de droite. François Mitterrand avait bien compris que l'avenir du Parti socialiste passait par l'affaiblissement du Parti communiste. Il a mis au point une stratégie gagnante. Il a d'abord attiré les communistes dans la négociation d'un programme commun puis, au lendemain des élections présidentielles de 1981, il a fait entrer quelques ministres communistes au gouvernement. L'épreuve du pouvoir a été fatale au Parti communiste. Depuis, il assiste impuissant à son lent mais inexorable déclin.



Nicolas Sarkozy, lui aussi, a eu tôt fait de reconnaître le problème que posait à la droite classique l'existence d'un Front national à 12% ou à 15%. Sa stratégie de conquête a toutefois été très différente de celle de François Mitterrand. Plutôt que d'embrasser pour mieux étouffer, il a choisi d'ignorer les instances du Front national et de s'adresser directement à son électorat. Avec quelques écarts de langage et en reprenant à son compte des thèmes qui avaient fait la fortune de Jean-Marie Le Pen, Nicolas Sarkozy a réussi à récupérer une part importante, voire l'essentiel de cet électorat.
Ces deux exemples nous montrent que le défi est le même, qu'on soit dans un camp ou dans l'autre, mais ils nous montrent surtout que c'est à chaque camp qu'il revient de gérer ses éléments plus radicaux. C'est à l'intérieur de chaque camp qu'on est le plus à même de trouver des solutions efficaces. La lutte menée par la gauche française contre le Front national n'a jamais donné d'aussi bons résultats que la stratégie électorale de Nicolas Sarkozy. On trouve ailleurs d'autres exemples encore plus convaincants.
En Afrique du Sud, la victoire contre l'apartheid n'est pas seulement celle de Nelson Mandela. La transition pacifique et la réconciliation nationale ont été le fruit de l'action concertée de deux hommes qui ont su gérer leurs camps respectifs. Nelson Mandela, et lui seul, pouvait obtenir des Noirs sud-africains qu'ils n'assouvissent pas leur besoin légitime de revanche. Willem de Klerk, et lui seul, pouvait vendre aux Afrikaners l'idée d'un avenir différent pour leur pays. C'est avec raison que le Prix Nobel de la Paix, en 1993, a été accordé aux deux hommes.
À la lumière de ces exemples, on peut être tenté de faire une lecture plus positive de l'élection récente d'un islamiste modéré à la présidence de la Turquie. Abdullah Gül, le nouveau président, et Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre, un autre islamiste modéré, sont peut-être les meilleurs remparts contre l'islamisme radical en Turquie. L'avenir nous le dira.
Chez nous, le problème se pose-t-il dans des termes très différents? Pas vraiment. Mutatis mutandis, c'est-à-dire en prenant bien soin sur le fond de ne pas comparer nos radicaux d'ici aux radicaux d'ailleurs, on retrouve chez nous la même dynamique. À Ottawa, Stephen Harper doit gérer sa droite religieuse fondamentaliste. À Québec, Pauline Marois doit gérer non pas un mais deux défis: sur les questions économiques et sociales, celui de l'existence de Québec Solidaire et d'une frange au moins aussi radicale au sein même du Parti québécois, et sur la question de la souveraineté, celui des partisans du tout, tout de suite.
La publication cette semaine de la biographie de Pierre Bourgault par Jean-François Nadeau vient nous rappeler qu'en son temps, René Lévesque avait lui aussi eu à gérer les éléments plus radicaux à l'intérieur de son camp. René Lévesque aurait-il pu, aurait-il dû «gérer» Pierre Bourgault autrement? Aurait-il pu, aurait-il dû lui faire plus de place?
René Lévesque mesurait bien, et redoutait avec raison, le risque de voir une idée ou un projet être jugés en fonction des discours tenus par ses défenseurs les plus excessifs. Il avait compris aussi que les excès de ses partisans alimentaient les excès de ses adversaires car, depuis toujours et partout, les extrêmes se nourrissent de leurs excès respectifs. La différence entre René Lévesque et Pierre Bourgault c'est la différence qui existe, partout et depuis toujours, entre ceux qui veulent changer les choses et ceux qui défendent d'abord et surtout une idée, entre ceux pour qui la réalité existe et ceux pour qui la pureté idéologique est plus importante que la réalité, entre ceux, enfin, que le difficile exercice du pouvoir intéresse et les autres.
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Marie Bernard-Meunier
Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM.

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