Pierre Bourgault dans les années 60. (Photo Antoine Désilet, La Presse)
Pour son Bourgault, première biographie du leader indépendantiste québécois disparu en 2003, Jean-François Nadeau a pris le chemin classique des historiens: «J'ai essayé de trouver les moments forts de la trajectoire de l'homme». Celle de Pierre Bourgault - comédien raté, penseur politique, flambeur, tribun d'exception, homosexuel, journaliste et professeur - n'en manquait pas...
Aux Fêtes, à la fin de 2003, Jean-François Nadeau a relu ses 100 pages et il s'est dit: «On a affaire à une biographie.» Pierre Bourgault était mort en juin et Nadeau, directeur des pages culturelles du Devoir, est parti en vacances avec, dans son portable, les textes du cahier spécial que son journal avait consacré à l'illustre défunt. Une base vite augmentée par ses propres recherches, documentaires et autres.
Beaucoup de choses reliaient Nadeau à l'ancien chef du Ralliement pour l'indépendance nationale (RIN). D'abord, les deux hommes viennent de Cookshire, dans les Cantons de l'est, information qui est livrée au lecteur dans le tout premier paragraphe de Bourgault, lancé jeudi chez Lux Éditeur et présenté d'emblée comme le «livre-événement» de la rentrée.
Les deux hommes s'étaient par ailleurs rencontrés en 1999 quand VLB Éditeur avait demandé à Nadeau de «faire le ménage» dans les chroniques que Pierre Bourgault signait alors au Journal de Montréal - il y restera jusqu'à sa mort - et qu'il avait données à l'éditeur pour rembourser une avance pour un livre dont il n'avait jamais écrit une ligne.
Historien et politologue de formation, Jean-François Nadeau se retrouvait donc devant un sujet inédit - toujours une belle qualité - où pouvaient se fondre ses deux passions... et bien d'autres encore. «Dans Bourgault, il me semblait qu'il y avait plus que Bourgault en soi; à travers lui, on avait l'évolution de toute la société. C'était un homme qui marquait sa société mais qui l'exprimait aussi. Particulièrement dans les années 60 où il est l'expression d'un changement profond de son peuple. À tous égards: politique, social, urbain.»
À son tour, le biographe - ou l'historien: il s'agit d'«un seul et même homme» - fait face au défi d'exprimer la réalité plurielle d'un homme où alternent triomphes et déboires, le coup de gueule cachant souvent l'indicible. «Chaque homme a ses zones d'ombre...»
Pour Jean-François Nadeau, la biographie peut être de deux types. «Très libre», la biographie «à la française» est une oeuvre d'intellectuel où le propos de l'auteur prime souvent sur la réalité propre de son personnage. Dans la bio «à l'américaine», par ailleurs, la «volonté exhaustive de couvrir tous les aspects du personnage donne lieu à des débordements», poussant l'essentiel à s'égarer dans la futilité du détail. Et Nadeau de citer en exemple ce Jean Cocteau de Claude Arnaud, publié l'an dernier chez Gallimard.
Par le détail - Nadeau a réalisé 140 entrevues! -, son Bourgault serait plus de facture américaine s'il ne faisait intervenir une forme plus ancienne, encore populaire en France et au Québec, nous dit-il, et dans laquelle, parfois avec des éléments romancés - absents ici - l'auteur présente «un personnage dans son univers». Comme Maurice Duplessis et son temps de l'historien franco-québécois Robert Rumilly (1897-1983) à qui Nadeau a consacré sa thèse de doctorat. Dans Bourgault, dira l'auteur, «on a l'histoire du Québec à travers un seul homme et on a un personnage plus grand que nature. C'est un livre destiné à un large public».
Les plus vieux lecteurs de La Presse se rappelleront peut-être le Pierre Bourgault journaliste qui, au début des années 60, écrivait dans le supplément-couleur du samedi (l'ancêtre de Perspectives, disparu au début des années 80). «Tous ses textes parlaient de politique sans en parler. Il allait faire un truc sur la boxe et revenait avec une entrevue de Reggie Chartrand!» (ndlr: le leader des Chevaliers de l'Indépendance, une faction «musclée» du mouvement indépendantiste). «Il est indéniable, souligne Nadeau avec force (sourires), que la montée des idées du RIN est due en bonne partie à La Presse».
Des surprises? «Oui. Le Bourgault que je présente n'est pas du tout l'homme que j'avais imaginé au départ. Il est moins déraisonnable mais plus complexe; Bourgault s'est fait connaître par la politique en descendant dans la rue mais il voulait avant tout être comédien. Il a d'ailleurs fréquenté des artistes toute sa vie: il aimait s'entourer de gens connus. Il a écrit des chansons, pour Charlebois - Ent'deux joints, c'est lui - pour Steve Fiset aussi. J'ai aussi été surpris par le fait que sa vie était très compartimentée: il était la zone-tampon de plusieurs univers qui ne se rencontraient pas.»
Par contre, entre René Lévesque, «politicien formé au Parti libéral», et Pierre Bourgault, «animal politique dans le sens grec», pas de tampon: le face-à-face était continuel et certains épisodes documentés par Nadeau surprennent par leur cynisme. «Bourgault a toujours diminué les différends et la détestation mutuelle qui existaient entre eux.»
Au final, Jean-François Nadeau considère l'apport global de son personnage au Québec «beaucoup plus vaste» que celui que, même dans les pires moments, Pierre Bourgault a toujours appelé «Monsieur Lévesque».
----
Important, imparfait
Daniel Lemay
La Presse, dimanche 9 septembre 2007
Jean-François Nadeau a écrit un livre important, comme la place qu'a occupée Pierre Bourgault dans la cité à titre de leader politique - il a rendu plausible l'idée de l'indépendance du Québec -, de polémiste, de chroniqueur et de professeur.
Les grandes lignes de sa vie publique étaient déjà connues de ceux qui ont suivi l'évolution politique du Québec moderne ou la carrière médiatique de l'homme, personne, dans les journaux, à la télé ou à la radio, n'ayant parlé autant de Pierre Bourgault que Pierre Bourgault lui-même.
L'apport de Nadeau consiste d'abord à avoir remonté le tout en séquences cohérentes, exercice qui a fait ressortir certains faits peu ou mal connus; les pages les plus intéressantes du livre portent sur les relations explosives qu'entretenaient Bourgault et René Lévesque, un «grand démocrate» qui a tout fait pour fermer les portes du Parti québécois et de l'appareil gouvernemental à l'ancien chef du RIN Ainsi, après l'accession du PQ au pouvoir en 1976, Bourgault, qui s'attendait à une quelconque nomination de conseiller politique, s'est retrouvé au conseil d'administration du Musée des beaux-arts!
Les aspects nouveaux se trouvent toutefois du côté de la vie privée de «l'empereur du Plateau», moins bien organisée, on le constate vite, que sa pensée politique. Jean-François Nadeau est le premier à documenter l'enfance et la jeunesse de Pierre Bourgault, qui n'a jamais beaucoup parlé de ces périodes-là; «je suis né vieux», disait-il. Ainsi, on apprend que, après son départ hâtif du collège jésuite de Brébeuf, il a tâté du théâtre mais s'est vite buté à son incapacité de transcender son propre personnage, rôle dans lequel il passera le reste de sa vie.
On se surprendra de voir que Pierre Bourgault, jeune, ne s'intéressait pas particulièrement à la politique. Il arrivera au RIN par hasard et y verra tout de suite la chance de s'y faire «un trou» ... et de gueuler plus fort que ses voix intérieures qui l'assaillent. Dans la vingtaine, Pierre Bourgault a des blondes en même temps qu'il vit «des expériences au masculin». Quand elles se transformeront plus tard en aventures au quotidien, il n'y trouvera que tristesse et désarroi, souvent après avoir mangé sa volée» aux mains des «petits bums» dont il faisait ses stars d'un soir. Ces passages sont traités avec toute la décence que commande leur nature.
Parfois Nadeau garde ses distances avec le sujet Bourgault - «un réformiste qui aimait se faire passer pour un révolutionnaire» - , parfois cette distance disparaît; sur la question nationale, notamment, l'historien est tellement bien aligné avec son personnage que l'on en voit plus qu'un: on pourra lui reprocher.
La grande faiblesse de cet ouvrage se trouve toutefois dans la langue, défaut grave pour un livre sur Pierre Bourgault, un des plus fervents promoteurs de la qualité linguistique. Le manuscrit de Jean-François Nadeau n'a pas profité des bienfaits d'une révision compétente, sans complaisance, qui aurait élagué ce texte trop long, alourdi encore par les clichés, les redites et les formules superlatives pour lesquelles l'auteur montre une nette propension. Le succès de Bourgault laisse présager une réédition? Parfait, fallait justement réécrire l'histoire...
Bourgault
Jean-François Nadeau, Lux Éditeur, 606 p.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé