L'anglais à la Fête nationale

Baliser l'entrée en piste de l'anglais

Il ne suffit pas de prêcher vertueusement l'ouverture, il faut aussi planifier ce qui va arriver par la suite. Le comité de la Fête nationale de Montréal attend les suggestions.

"L'autre St-Jean"


Parce que l'anglais n'est en aucune façon une langue comme les autres au Québec, la réticence à ouvrir officiellement la Fête nationale du Québec à des prestations musicales en anglais est très compréhensible. Des prestations dans la langue de Shakespeare ont déjà eu lieu le 24 juin dans certains quartiers de Montréal, mais nous sommes devant quelque chose de plus important, une ouverture formelle à l'anglais au coeur d'une manifestation éminemment symbolique pour l'identité québécoise.
Ce qu'il faut retenir, c'est que cette opération inévitable mais délicate se retournera implacablement contre le français si l'on n'est pas capable de baliser efficacement l'ouverture, ce dont n'ont soufflé mot ces faiseurs d'opinions bien-pensants qui sont passés à côté de l'essentiel dans l'affaire. Des chroniqueurs ont évoqué le fascisme (ouf!) culturel, d'autres ont brandi l'insulte facile d'«ayatollahs de la langue»; certains enfin ont dénoncé vertueusement les nouveaux rednecks québécois.
Question inévitable
À partir du moment où l'ancienne Saint-Jean-Baptiste des Canadiens français devenait la Fête nationale de tous les Québécois et que l'on acceptait que l'on y chante dans d'autres langues que le français, il était inévitable que se pose un jour la question des prestations en anglais. Il n'y a pas de problème quand elles seront le fait d'Anglo-Québécois, dans la mesure où ces derniers seront capables de s'adresser à la foule en français et où les spectacles ne seront pas bilingues.
Le débat reste simple -- et simpliste -- quand on présume, à tort, comme une cinquantaine de travailleurs culturels l'ont fait jeudi dans La Presse, que la question concerne exclusivement «des artistes anglophones locaux qui ont pleinement le droit de s'exprimer dans leur langue maternelle». Le hic, c'est que le véritable enjeu à terme est ailleurs et qu'il est tout sauf simple, car ce seront vraisemblablement des francophones qui feront problème dans cette affaire.
Utopie
Plusieurs jeunes veulent maintenant chanter en anglais et l'on doit s'attendre à un effet d'entraînement à la suite de l'intense publicité accordée cette année à l'ouverture à des prestations en anglais lors de la Fête nationale. Appelons cela le syndrome Pascale Picard, cette talentueuse jeune chanteuse de Québec qui jugea bon d'assurer la première partie d'un autre spectacle collectif et symbolique, en l'honneur du 400e anniversaire de sa ville natale cette fois, sans chanter, ne serait-ce qu'Au clair de la lune, en français.
Il ne faudrait pas en arriver à une situation pour l'heure surréaliste mais tout de même envisageable: des prestations à la Fête nationale qui seraient substantiellement, voire majoritairement, en anglais, alors qu'il serait trop tard pour réagir sous peine de se faire accuser de fermeture, de xénophobie, de fascisme et pire encore.
Français prédominant
À l'égard de la relation avec l'anglais, le danger est de faire collectivement la même erreur que l'on a commise à l'égard du catholicisme. Les Canadiens français d'avant 1960 étaient catholiques jusqu'aux oreilles, mais quand le vent a tourné, ils se sont dirigés complètement vers un autre extrême, balançant par-dessus bord tout ce qui se rattachait à la tradition catholique, y compris les éléments valables de celle-ci.
Il ne faudrait pas passer d'une attitude de fermeture totale à l'anglais à une ouverture tous azimuts à l'égard d'une langue dont le potentiel de domination n'est pas à démontrer. Autrement dit, à moins d'être complètement irresponsable ou suicidaire, l'on ne saurait ouvrir à l'anglais sans baliser efficacement cette ouverture, sans être conscient non plus que cela ne sera pas facile et que l'on se fera traiter de tous les noms.
Il faut tenir compte ici du grand principe qui devrait structurer la politique linguistique québécoise: la claire prédominance du français, sans exclusion d'un anglais dont la présence n'est pas obligatoire. Il y a mille cas de figure possibles, le principe ne pouvant avoir le même sens ni la même application à Rimouski que dans le West Island. Il est clair qu'en ce jour tout spécial de la Fête nationale du Québec, où l'on touche à quelque chose de sacré pour plusieurs Québécois de souche, la prédominance du français ne saurait être que massive. Le changement sera que les prestations en anglais ne seront plus par principe exclues.
Le droit de chanter en anglais
Comment dire non à ces jeunes francophones qui viendront l'année prochaine, le coeur sur la main, invoquer leur imaginaire droit inaliénable de chanter en anglais à leur fête nationale? Comment faire en sorte qu'il y ait moins de Pascale Picard et plus de Céline Dion, qui jugea bon, elle, de ne chanter qu'en français lors des fêtes du 400e de Québec, tenant compte du caractère symbolique de l'événement?
Devrait-on limiter les prestations musicales en anglais aux anglophones, les regroupant parfois dans des spectacles à eux? Faudrait-il plutôt fixer un pourcentage maximal de chansons en anglais, comme il en existe à la radio et comme il en faudrait pour des émissions comme Star Académie? Quelles seront les règles, les normes à appliquer pour éviter le free for all et la bilinguisation progressive de la Fête nationale du Québec?
Il ne suffit pas de prêcher vertueusement l'ouverture, il faut aussi planifier ce qui va arriver par la suite. Le comité de la Fête nationale de Montréal attend les suggestions.
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Christian Dufour, L'auteur a écrit le livre Les Québécois et l'anglais - Le retour du mouton (LER, 2008) et est chroniqueur politique cet été à C'est bien meilleur le matin.


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