Autonomisme: le «palais des rêves»

Québec 2007 - ADQ


Ayant observé la politique québécoise depuis 35 ans, parfois de près, parfois de loin, j'ai toujours pensé aux débats dans cette province comme se déroulant dans un «palais de rêves».
L'expression n'est pas de moi. On la doit à l'intellectuel américain Fouad Ajami dont l'ouvrage The Dream Palaces of the Arabs (Les Palais de rêves des arabes - traduction libre) décrit comment les sociétés arabes ont construit une image idéalisée d'un passé glorieux qui rend difficile la focalisation sur les problèmes d'aujourd'hui.
Ces sociétés, écrit Ajami, consacrent énormément de temps et d'énergie émotionnelle à des débats existentiels sur le passé, le présent et l'avenir. Lorsqu'elles examinent les problèmes d'aujourd'hui, elles ont tendance à blâmer les autres, les étrangers, le système international, et à rêver d'une situation bien meilleure si seulement elles pouvaient réarranger leurs relations avec les «autres».
Leur politique tourne en rond dans ces «palais de rêves» au sein desquels des discussions existentielles passablement brillantes se déroulent pour échapper en partie aux dures réalités. De nombreux membres de ces sociétés ont acquis la conviction que ces problèmes peuvent être résolus grâce à de nouveaux arrangements: le nationalisme panarabe, l'union de l'Égypte et de la Syrie, un règlement avec Israël, le marxisme, un État théocratique, la loi charia.
Depuis maintenant des décennies, les principaux existentialistes au sein du «palais de rêves» de la politique québécoise ont été des sécessionnistes qui ont invité les Québécois à croire que leurs problèmes pourraient être réglés grâce à des nouveaux arrangements avec le Canada: la souveraineté-association, la souveraineté accompagnée d'une offre d'association, l'indépendance purement et simplement.
Mais le nouvel existentialiste (en fait, il s'agit de quelqu'un qui fait la promotion d'un très vieux rêve et portant un nouveau nom) est Mario Dumont, le chef de l'Action démocratique du Québec. Au dire de tous, le parti de M. Dumont s'en tire bien au cours de la présente campagne. Il pourrait tenir la balance du pouvoir après le 26 mars prochain.
De leur côté, des commentateurs et les adversaires politiques ont insisté sur la plate-forme peu convaincante de l'ADQ, l'incapacité du chef de l'expliquer, la non existence des calculs fiscaux, la faiblesse des candidats, sans parler des deux candidats évincés à la suite de déclarations choquantes.
Coquille vide
J'ajouterai seulement que M. Dumont est une parfaite coquille vide dans laquelle les électeurs, qui en ont assez des libéraux et des péquistes et qui aiment l'apparence et le verbe du jeune Mario, peuvent verser leurs espoirs, leurs frustrations et leurs préjugés.
Pour un observateur hors du Québec, ce qui importe davantage, ce sont ses vues à propos de l'autonomie du Québec au sein du Canada.
À l'évidence, M. Dumont a joué sur tout le spectre quant à la question nationale. Il a déjà été un libéral provincial. Il a soutenu la souveraineté lors du dernier référendum. Et puis, il est allé au Canadian Club, à Toronto, et il a livré un tel discours pro-Canada et pro-fédéraliste que les auditeurs avaient du mal à en croire leurs oreilles. Ensuite, il a donné son appui public aux conservateurs de M. Harper, un parti fortement fédéraliste.
Aujourd'hui, il propose une plate-forme dans laquelle les Canadiens ne sont plus des «concitoyens», mais des «partenaires privilégiés». Un «partenaire privilégié», c'est l'expression que la France utilise pour parler du Québec lorsqu'elle souhaite se faire protectrice.
La plate-forme de l'ADQ parle de la nécessité d'une constitution pour le Québec, elle désigne le Québec comme étant «l'État autonome du Québec», une description visant apparemment à aller au-delà de la description du Québec comme étant une «nation». Par son articulation d'un vieux rêve québécois, l'ADQ souhaite des relations «d'égal à égal» avec Ottawa.
Ce rêve, dans la formulation typiquement vague des rêves, reflète la philosophie du rapport Allaire qui a vu le jour après l'échec de l'Accord du lac Meech. Il représente le vieux rêve du Québec d'avoir le beurre et l'argent du beurre au sein du Canada. Le Québec peut être entièrement autonome au sein du Canada sans contribuer quoi que ce soit aux affaires nationales et en se contentant de prendre du reste du pays sans y participer.
C'est le rêve du confédéralisme: le rêve «d'égal à égal» ou «d'égalité ou bien l'indépendance», d'être à l'intérieur du Canada, mais sans en faire vraiment partie intégrante. C'est le rêve d'une structure confédérale lâche. Dans la perspective du reste du pays, ce serait là le pire des arrangements possibles.
Les confédérations lâches se désagrègent. C'est toujours le cas parce qu'il s'agit de mariages simplement temporaires de commodité politique sans engagement.
M. Dumont propose par conséquent un Canada sans engagement. Le Québec ferait mieux de se séparer plutôt que de subir ce cauchemar.
Au sein du «palais des rêves», cette vision est sans nul doute attrayante. Mais à la froide lumière de la réalité, elle n'est qu'absurdité.
Jeffrey Simpson
L'auteur est chroniqueur politique au Globe and Mail.


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