Québec -- Autorisé par la loi il y a un an, annoncé en grande pompe à la mi-juin comme un «tournant déterminant dans le domaine de la mobilité durable», le projet-pilote du gouvernement du Québec sur les véhicules électriques s'est enlisé. Aucun des véhicules «à basse vitesse» visés par le projet, la Nemo et la Zenn, ne roule encore sur nos routes, alors que le gouvernement avait promis qu'ils y seraient à partir du 17 juillet.
Pour lancer le projet, la ministre des Transports, Julie Boulet, et la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) ont imposé une condition: signer avec chacun des deux constructeurs un «protocole d'entente» qui précise les critères d'évaluation du projet, un exercice qui s'est révélé très compliqué, a-t-on raconté au Devoir. La firme Nemo, qui produit de petits camions électriques, a finalement signé le contrat le 29 octobre. La SAAQ a soutenu hier que la Zenn, assemblée à Saint-Jérôme, ne l'a pas encore imitée. Chez Zenn toutefois, on affirme qu'il a été paraphé «très récemment», et que l'affaire a été complexe, notamment parce qu'il a fallu traduire en anglais le protocole pour le soumettre au siège social à Toronto.
Le protocole, obtenu par Le Devoir -- disponible bientôt sur le site de la SAAQ -- n'est pourtant pas très sorcier. Il contraint par exemple les fournisseurs à informer d'éventuels acheteurs des conditions d'utilisation du véhicule, comme «circuler dans le même sens que la circulation». Il vise aussi à éviter les conflits d'intérêts par lesquels, par exemple, un membre de la direction d'une des deux entreprises en viendrait à participer à l'évaluation des véhicules.
La technologie ne poserait pas de problème. «C'est au point», a-t-on expliqué à la SAAQ. Mais les entreprises choisies par Québec, dont les modèles ont été exhibés à la conférence de presse, n'avaient jusqu'à maintenant pas de «véhicule disponible» à la vente ou à la location. C'est ce qu'a répété à plusieurs reprises devant la commission des transports, Johanne St-Cyr, vice-présidente à la SAAQ, le 16 octobre. Nemo a soutenu en juillet avoir vendu environ dix véhicules et comptait les livrer fin août. L'entreprise n'a pas rappelé Le Devoir hier. Quant à Zenn, on invoquait hier des problèmes de commercialisation -- dont la traduction des contrats et l'obtention d'une licence de concessionnaire -- pour tarder à offrir les véhicules sur le marché. Dans son histoire, l'entreprise a livré 325 exemplaires de la Zenn, mais uniquement à des clients américains. «J'avais arrêté de promouvoir le véhicule. Là, on devrait recommencer», a confié hier le directeur de la production, Guy Allard.
Mauvaise idée
Plusieurs sources au fait du dossier estiment que l'étape du projet-pilote lié spécifiquement aux entreprises Zenn et Nemo était une «mauvaise idée» qui retarde le développement de l'automobile électrique au Québec au moment même où le président d'Hydro-Québec fait des sorties sur le sujet. En juin, le directeur du Centre d'expérimentation des véhicules électriques du Québec (CEVEQ), Pierre Lavallée, déclarait au Devoir qu'en misant sur des véhicules de basse vitesse, Québec «faisait reculer l'image du véhicule électrique au Québec»; plusieurs modèles de voiture électrique aux performances «normales» existent, avait-il dit.
En outre, la Zenn ne serait pas assez sécuritaire pour circuler sur nos routes, selon des tests de collision effectués en juin dernier par Transports Canada et dont faisait état un reportage de TVA diffusé hier, conclusion que conteste cependant le président de Zenn, Iann Clifford.
D'autre part, Johanne St-Cyr elle-même doutait en commission parlementaire, en octobre, de ce que la SAAQ pourrait apprendre de nouveau par cet autre projet-pilote. Elle rappela que, dans les dernières années, plusieurs projets-pilotes du même type ont été effectués, notamment à Mont-Tremblant avec des véhicules de Bombardier, mais aussi avec la police de la métropole, dans le Vieux-Montréal, avec d'autres types de véhicule électrique. La sécurité chaque fois, n'a pas été un problème, a-t-elle indiqué: «Aucun accident malheureux n'avait été répertorié», a-t-elle dit.
L'adéquiste Janvier Grondin, en commission parlementaire, à la mi-octobre, se demandait quelle était l'utilité d'un tel projet-pilote alors que les véhicules à basse vitesse sont déjà nombreux sur nos routes: «On permet déjà la circulation des petites motocyclettes, à 40 km/h», disait-il. Le libéral Tony Tomassi (Lafontaine) s'étonnait: «Il n'y a pas encore d'auto disponible actuellement et le projet-pilote ne fonctionne pas?»
Le porte-parole péquiste, Camil Bouchard, a toujours été sceptique à l'égard de ce projet. Il ne trouve pas très alléchante la proposition que Québec fait aux éventuels acheteurs de se procurer un véhicule qui ne sera peut-être plus autorisé à circuler dans trois ans.
Et ce, sans aucun incitatif de la part de l'État. En conférence de presse, en juin, la ministre Boulet avait évoqué la possibilité d'étendre aux véhicules électriques le crédit d'impôt offert pour les voitures hybrides. Vérification faite, hier, le crédit est toujours à l'étude au ministère des Finances, mais le Parti libéral ne l'a pas promis dans sa plateforme.
M. Bouchard estime que le gouvernement a précipité l'annonce du projet-pilote, le 17 juin, pour concurrencer l'annonce du Parti québécois sur le sujet. Le prix de l'essence à la pompe, à cette période, atteignait aussi des sommets historiques et incitait à «bouger rapidement». Le PQ avait alors préconisé le développement d'une «filière des véhicules électriques» comprenant les bus, les tramways, les trains et les camions. Un gouvernement y investirait gros: entre 250 millions à 300 millions par année, sur une période de 10 ans.
Hydro s'emballe
Pourtant, chez Hydro-Québec, on s'emballe actuellement pour la voiture électrique rechargeable. Elle s'en vient, et vite, assurait le président et chef de la direction d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, il y a une semaine, au Sommet Québec-New York, à Montréal. M. Vandal soulignait que «la technologie des batteries pour voitures électriques est en effervescence».
Le développement de la voiture et des transports électriques est particulièrement intéressant pour le Québec, a plaidé M. Vandal. Si toutes les voitures en Amérique du Nord étaient électriques, la demande de pétrole importé y diminuerait de 70 %. (Selon l'Institut de la Statistique, le Québec a importé en 2006 pour quelque 13 milliards de dollars du pétrole brut.) En revanche, a souligné M. Vandal, la demande d'électricité ne croîtrait, elle, que de 15 %. Cette faible croissance de la consommation d'électricité serait facilement supportable puisqu'elle surviendrait principalement la nuit, un moment où la demande générale est plus faible.
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Avec La Presse canadienne
Auto électrique: Québec s'enlise
Aucune voiture ne roule encore sur nos routes
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