Au-delà du colmatage

Des changements fondamentaux s'imposent à notre système de santé, plutôt que se contenter d'y injecter de l'argent frais

Commission Castonguay


Au cours de la récente campagne électorale, les sondages ont confirmé une fois de plus que la santé est le principal sujet d'inquiétude des Québécois. Depuis 2003, le ministère de la Santé a été dirigé par un ministre compétent et respecté sous lequel nombre de mesures ont été prises pour solutionner les problèmes les plus pressants, notamment pour améliorer l'accès aux soins.
Au cours des quatre dernières années, les dépenses annuelles de santé sont passées de 19,0 à 23,6 milliards, soit une augmentation de 24% en quatre ans. Par rapport à 2003, c'est 4,5 milliards de plus chaque année. Malgré cette injection massive de fonds publics, il n'y a évidemment pas une amélioration correspondante dans le volume et la qualité des soins et services. Une telle croissance des dépenses, qui gruge sur les autres missions du gouvernement et qui ne peut que s'accélérer avec le vieillissement de la population, est clairement insoutenable pour si peu de résultats.
Il faut accepter l'évidence: dans son état actuel, notre système de santé ne parvient pas à répondre à la demande. Un nombre élevé de Québécois de tous âges en subissent quotidiennement les conséquences. Il ne se passe guère une semaine sans que les médias ne fassent état d'une situation inacceptable. La conclusion m'apparaît évidente, il faut aller au-delà des solutions ponctuelles et du colmatage en réponse aux problèmes qui ne cessent de faire surface. Depuis trop longtemps, les correctifs apportés ont toujours visé à combler à coût de milliards les brèches dans le système. Des changements fondamentaux s'imposent.
Voyons ce qui se passe à l'extérieur. Une première constatation s'impose, tous les pays évolués sont confrontés par les mêmes pressions. Comme ils ont tous, sauf les États-Unis, des régimes publics dont l'objectif est d'assurer un accès universel aux services de santé, ils cherchent tous à répondre aux pressions sur la demande, qui ne peuvent qu'augmenter avec le vieillissement de la population, tout en freinant la croissance des dépenses publiques. Le changement en matière de santé est inévitable et ne découle en aucune façon de considérations idéologiques de droite ou de gauche.
Suite à l'arrêt de la Cour suprême dans la cause Chaoulli, le ministère de la santé et des services sociaux a publié au début de 2006 un document de consultation intitulé Garantir l'accès. Deux questions y étaient abordées, celle de l'accès aux soins et celle du financement qui constitue le problème fondamental du système. Plus précisément, comment composer avec des dépenses qui croissent sans relâche plus rapidement que notre richesse collective et que les revenus de l'État. Malgré l'urgence de la question, depuis la publication du document, le gouvernement n'a apporté aucun changement au plan du financement du système.
Les contributions des usagers
Faire participer les usagers des systèmes de santé à leur financement est une politique appliquée dans plus de 50% des pays de l'OCDE pour les services de santé et dans plus de 90% pour ce qui est des médicaments. Les tarifs sont en moyenne de 15$ CAN. par visite chez les médecins et de 17$ par jour pour les services hospitaliers.
L'imposition d'une contribution des usagers soulève la question de l'équité et de l'effet sur l'état de santé. On a constaté que la demande de services de santé diminue avec l'imposition de contributions des usagers. Il est intéressant de constater que l'impact des contributions est plus marqué sur la demande pour des problèmes mineurs tels les rhumes et les blessures légères. Or, dans tous les régimes étudiés, la nécessité d'offrir une couverture universelle pour les soins essentiels est une valeur reconnue. Pour cette raison, la majorité des pays limitent les contributions annuelles des participants et/ou exonèrent les plus vulnérables afin d'assurer une équité d'accès. Les travaux de l'OCDE montrent que la santé des populations assurées par des régimes qui imposent des contributions n'est pas moins bonne que celle des populations assurées par régimes entièrement gratuits.
Si on regarde froidement l'expérience des pays européens, il faut conclure que le Québec devrait introduire une politique de contributions des usagers dans le but de (1) responsabiliser davantage les personnes dans leur utilisation des services de santé et (2) dégager une marge de manoeuvre au plan du financement. Cette politique devrait nécessairement comprendre le remboursement ou l'exonération des frais pour les personnes les plus vulnérables.
À court terme, cette approche ne peut toutefois être envisagée. L'introduction d'une telle politique, bien que souhaitable, demeure impossible tant que la Loi canadienne sur la santé n'aura pas été modifiée. (...)
DES CHANGEMENTS NÉCESSAIRES
(...) Le financement de l'accroissement des dépenses de santé pour répondre aux pressions sur la demande engendrée par le vieillissement des populations est un enjeu qui préoccupe tous les pays de l'OCDE et pour lequel aucune solution évidente n'a encore émergé.
Les quelques pays qui ont opté pour un régime contre la perte d'autonomie l'ont fait il y a un certain temps de sorte que l'accumulation de fonds pour financer ces programmes a débuté avant que le vieillissement de la population ne se fasse sentir. Malgré l'accumulation d'un fonds de réserve, ces pays envisagent présentement de modifier leurs programmes à cause des pressions trop fortes qu'ils exercent sur les dépenses publiques.
L'expérience des pays de l'OCDE confirme le bien fondé de la conclusion selon laquelle, dans le contexte québécois actuel, l'introduction d'un régime d'assurance contre la perte d'autonomie est clairement contre-indiquée. Il serait inacceptable et inéquitable que les baby-boomers transfèrent, en plus de notre énorme dette publique, le fardeau d'un tel régime sur les générations montantes.
Certains pays ont décidé de financer ces services à même les fonds généraux alloués à la santé. Ils ont toutefois accompagné cette stratégie de mécanismes visant à accroître l'efficience du système et, dans quelques cas, ils ont introduit un test d'admissibilité à caractère financier au régime public.
Une telle approche devrait être retenue au Québec. Elle devrait avoir comme objectif de concentrer les ressources financières sur les services prioritaires et sur les besoins les plus grands et comprendre, pour les personnes vulnérables, un programme d'aide aux aidants naturels. Compte tenu des inévitables contraintes budgétaires, l'admissibilité à ces services devrait être soumise à un test de revenu et les services couverts devraient être clairement identifiés.
Les assurances privées
Le Québec est l'une des seules juridictions où le rôle de l'assurance santé privée est limité à offrir une couverture des services non assurés par le secteur public. Pourtant, il est intéressant de constater que rien ne permet d'affirmer que l'accès aux soins de santé, dans les pays où l'assurance privée occupe une place importante dans le financement de la santé, est inéquitable envers les plus pauvres. Dans la majorité des pays, les systèmes de santé sont universels ou quasi universels et l'objectif de l'universalité d'accès est généralement de garantir un accès équitable à tous.
Au Québec, les assurances privées offriraient un potentiel intéressant pour accroître le financement de la santé et diminuer les pressions sur le système public. Elles donneraient aux citoyens une liberté de choix, ce qui est fondamental. La prohibition sur l'assurance privée devrait être levée d'autant plus qu'il y a de bonnes raisons de croire qu'elle a été invalidée par l'arrêt Chaouli. Toutefois, comme nous l'avons déjà signalé, l'obtention de résultats positifs est conditionnelle à un environnement réglementaire propice au développement de son plein potentiel et à l'élimination de pratiques indésirables.
L'avenir de notre système de santé est une question fondamentale. Si les changements nécessaires ne sont pas apportés, notre système ne pourra survivre. Voilà une certitude à laquelle nous ne pouvons échapper.
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Castonguay, Claude
L'auteur a été ministre des Affaires sociales du Québec de 1970 à 1973. Ce texte est extrait d'une conférence que présentera l'auteur ce midi, au cours d'une causerie organisée par l'Institut économique de Montréal. On peut lire le texte intégral de cette conférence sur cyberpresse.ca/opinions.


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