Afghanistan :La France envisage de se retirer des combats

Les militaires doutent de l'efficacité de la lutte contre les talibans

Le Canada en Afghanistan



Paris - Contrairement au Canada, de plus en plus engagé dans les affrontements contre les talibans, la France s'apprêterait à retirer les 200 hommes de son unité d'élite qui combat en première ligne dans le sud de l'Afghanistan. La décision, qui prendrait effet au début de 2007, n'a pas été confirmée par le ministère de la Défense, mais elle aurait été prise au plus haut niveau par le président Jacques Chirac au cours d'une réunion d'un Conseil de la défense, selon Le Journal du dimanche et le quotidien Libération.
«Rien n'est décidé», a déclaré le porte-parole du ministère de la Défense, Jean-François Bureau, tout en reconnaissant que l'état-major militaire est «dans un processus d'ensemble de réexamen de la situation afghane». La plupart des analystes français perçoivent ce retrait éventuel comme une redéfinition majeure de la mission française en Afghanistan, où la situation sécuritaire n'a cessé de s'aggraver ces derniers mois. Selon Le Figaro, ce retrait pourrait même être suivi, en mars prochain, de celui d'une partie des 1200 militaires français postés dans la région de Kaboul. La France pourrait «réduire» sa présence à Kaboul en «passant le relais du commandement aux Italiens», dit un colonel cité par le quotidien.
Réorientation ?
Si ces prédictions devaient se réaliser, il s'agirait d'une réorientation de l'action française en Afghanistan dans une direction radicalement différente de celle choisie par le Canada. Ces 200 hommes des forces spéciales françaises combattaient depuis 2003 avec les soldats américains à la frontière du Pakistan. Ils avaient, entre autres choses, pour tâche de rechercher Oussama ben Laden et ses proches. Leur déploiement était survenu au plus fort du différend qui a opposé la France aux États-Unis lors du déclenchement de la guerre en Irak. L'unité d'élite de l'armée française avait été placée sous commandement américain à Spin Boldak, dans le sud-est du pays, pour surveiller les infiltrations de talibans à la frontière pakistanaise. Partie prenante de l'opération Enduring Freedom, elle avait ensuite été engagée dans des combats plus au nord, dans la région de Djalalabad.
Cette participation française a maintes fois été citée par le commandement américain comme un exemple de coopération étroite entre les deux pays, malgré leurs importantes divergences. Le retrait français ferait suite à celui de 10 000 militaires américains de l'opération Enduring Freedom et à la prise en main, le 29 septembre dernier, de la sécurité sur tout le territoire afghan par les 30 000 hommes de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS/ISAF) de l'OTAN, jusque-là concentrés dans le nord.
La plupart des analystes perçoivent dans le retrait français une volonté de s'éloigner des combats de plus en plus violents qui frappent le sud de l'Afghanistan. Depuis un an, l'unité spéciale française a perdu six hommes au combat. Le 25 août dernier, deux d'entre eux ont sauté sur une mine télécommandée lors d'une embuscade.
Le doute
Si la France réexamine son action en Afghanistan, c'est aussi qu'elle doute «de l'efficacité de l'opération de lutte globale contre les talibans», a déclaré en entrevue le général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset, membre de l'Institut français des relations internationales et stratégiques. Le 10 octobre dernier, devant les députés de la Commission parlementaire de la Défense, le chef d'état-major des armées françaises, Jean-Louis Georgelin, avait dressé un tableau plutôt sombre de la situation en Afghanistan.
«La situation se dégrade tant à l'est qu'au sud. Le secteur de Kaboul est également difficile», disait-il. Tout en profitant de la réorganisation du commandement militaire en Afghanistan, la France devrait néanmoins continuer à contribuer à la formation des officiers de l'armée afghane. «L'objectif est de transférer aux Afghans les tâches de sécurité», a déclaré M. Georgelin.
Ce retrait d'Afghanistan semble aussi motivé par la forte implication de la France au Liban, où elle s'est engagée à déployer 2000 hommes dans la FINUL 2. Aujourd'hui, 14 000 soldats français sont présents dans le monde. L'armée française est aussi présente en Côte d'Ivoire, au Congo, en Bosnie et au Kosovo. Or, selon Georgelin, sur la plupart de ces théâtres d'opération, «la situation politico-militaire tend à se durcir». Le quotidien Le Figaro cite un officier français selon qui l'Afghanistan serait aujourd'hui devant la menace d'«un retour des talibans, favorisé par ce qui ressemble de plus en plus à une véritable insurrection pachtoune». Selon les spécialistes, les nombreux déploiements hors frontières ont déjà fait entrer le commandement français dans une «zone rouge», rendant très difficile tout nouvel engagement militaire.
L'implication française en Afghanistan sera d'ailleurs au centre des discussions de la visite de quatre jours qu'entame demain aux États-Unis la ministre française de la Défense. Michèle Alliot-Marie y rencontrera son homologue Donald Rumsfeld et des conseillers de George Bush. On s'attend à ce que la ministre réaffirme le point de vue français sur l'avenir de l'OTAN. En août dernier, Jacques Chirac avait mis en garde contre toute tentative de «dénaturer sa vocation» de garant de la sécurité des alliés européens et américains.
Correspondant du Devoir à Paris


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