Leçon d’histoire

À propos de la fondation de ce Canada

Québec 2008 - 400e anniversaire de la fondation du Canada?...

Dans notre histoire, Canada n’a pas toujours voulu dire la même chose dans
l’espace et dans le temps. Pour plusieurs, c’est particulièrement commode.
Cela permet de dire n’importe quoi. Pour ce qui est du Canada que l’on
fête le premier juillet, non, ce n’est pas Champlain qui en est à
l’origine. Ce n’est pas parce que le grand explorateur a foulé le sol de
ce qui allait devenir l’Ontario que cela en fait un père du Canada
contemporain. À ce titre-là, il faudrait aussi ridiculement le proclamer
fondateur des États-Unis puisqu’il y est aussi allé avant les premiers
colons anglais. De plus, Champlain n’a même pas eu le titre de gouverneur
n’en déplaise à ceux ou celles qui le place dans leur lignée.
Le Canada actuel, celui de 1867, est une création des milieux d’affaires
et des magnats du chemin de fer du Canada-Ouest (Ontario) et de la
bourgeoisie d’affaires de Montréal. Officiellement, on parle des 33 Pères
de la Confédération qui, à Charlottetown puis ensuite à Québec, ont rédigé
ces 72 Résolutions qui allaient devenir essentiellement l’Acte de
l’Amérique du Nord britannique, cette loi anglaise que l’on a
«canadianisée» en 1982 selon une démarche toujours pas entérinée depuis par
les gouvernements du Québec même les plus fédéralistes.
On parle également de John A. Macdonald et de George-Étienne Cartier comme
étant les hommes politiques qui ont scellé ce pacte entre les deux peuples
fondateurs, notion aujourd’hui périmée voire même politiquement incorrecte.
Macdonald était un Orangiste sinon repenti du moins passablement adouci
qui voulait un gouvernement unitaire. Mais il a vite compris que sans se
convertir au fédéralisme en accordant un minimum de pouvoirs aux provinces,
il n’arriverait à rien. Il a donc mis un peu d’eau dans son vin en
acceptant le principe d’une fédération.
Il a cependant pris ses précautions. Le système échafaudé est très
centralisé. Le gouvernement fédéral est très fort. Il a l’essentiel des
revenus et des pouvoirs d’ordre économique. Il possède aussi un droit de
désaveu sur les lois provinciales et il s’assure que tous les pouvoirs non
mentionnés dans la constitution (pouvoirs résiduaires) seront
automatiquement attribués au gouvernement central au fur et à mesure de
leur apparition. Ce système considère les provinces comme de simples
succursales. L’offensive se porte même sur le vocabulaire. On parle d’une
confédération ce que le Canada n’est pas, une confédération étant par
définition une association d’états pratiquement autonomes.
Quant à Cartier, il était un patriote très adouci, beaucoup plus repenti
en fait. Quand il avait écrit, dans les années 1830, son «Ô Canada, mon
pays, mes amours», il ne chante pas le Canada que l’on croit mais plutôt
celui des Patriotes de 1837-38, plus proche de Champlain, celui-là.. Mais
en 1867, il est passé aux antipodes. Il est le lieutenant québécois de
Macdonald et surtout, l’avocat du Great Trunck Railway. Conscient que ses
compatriotes n’accepteront jamais un état unitaire, il met, lui, un peu de
vin dans son eau et devient le propagandiste de cette fédération très
centralisée.
Comment fut accueilli ce projet de constitution de 1867 ? Dans trois des
quatre provinces, cela ne passa pas comme lettre à la poste. La mode
n’étant pas aux consultations populaires, la nouvelle constitution fut
soumise aux législatures des futures provinces. Au Canada-Ouest (Ontario),
ce fut presque unanime: 54 contre 8. L’Ontario y a tout à gagner. Elle
est la province la plus populeuse et pourra se permettre de battre la
mesure dans le nouveau pays.
Au Nouveau-Brunswick, le gouverneur étant récalcitrant, le projet ne fut
même pas soumis aux voix. Mais comme l’Angleterre tenait à cette union des
colonies, elle muta le dit gouverneur à Hong Kong et en nomma un autre plus
complaisant. Mais aux élections qui suivirent, la population élit une
majorité opposée au projet. Finalement, la perspective des avantages
économiques reliés au chemin de fer et la peur entretenue d’une possible
invasion fénienne en provenance des États-Unis firent que le
Nouveau-Brunswick entra dans le rang.
En Nouvelle-Écosse, après un peu de tordage de bras, le projet fut accepté
mais aux premières élections qui ont suivi la création du Canada, la
presque totalité des députés étaient des sécessionnistes. Le leader de
cette bande de séparatistes, Joseph Howe, a obtenu un peu plus tard un
poste important à Londres. Après quelques aménagements mineurs, la
Nouvelle-Écosse mit fin à ses velléités d’indépendance.
Au Québec, comme d’habitude, ce fut un peu plus ambigu. À l’époque, il y
a deux partis politique au Canada-Est. Il y a les Bleus, le parti des
financiers et des magnats du chemin de fer favorable au projet. Ce parti
bénéficie en plus du soutien indéfectible du clergé. Le clergé, défenseur
de la langue et de la foi, prend le risque de s’engager dansla risquée
avenue de la minorité. Il prend un risque calculé. La nouvelle union ne
l’enthousiasme pas outre mesure mais il a encore plus peur des idées
radicales du Parti Rouge concernant la laïcisation, la séparation de
l’Église et de l’État, l’école publique, en bref toutes ces idées avancées
par ces libres-penseurs qui heurtent de plein fouet un haut clergé souvent
plus catholique que le pape. Le Parti Rouge, teinté d’anticléricalisme,
rejette le projet de Confédération parce qu’il le trouve trop
centalisateur, un gouvernement unitaire déguisé en fédération et à long
terme néfaste pour le Québec. Les Rouges se battent donc contre l’argent
et les dirigeants religieux qui ne se privent pas d’entrer dans la mêlée.
C’est l’époque où le ciel était bleu et l’enfer rouge.
La lutte fut serrée. Il fut de 37 à 25 en faveur du pacte fédératif. Une
majorité claire finalement. Mais une étude plus détaillée des résultats
peut s’avérer intéressante. Si l’on tient compte des députés francophones
seulement, la marge rétrécit à 27-22. Encore plus intéressant se révèle
l’examen des comtés à majorité francophone. Il y a 25 comtés qui ont
approuvé le projet contre 24 qui l’ont refusé. Les comtés francophones de
la grande région de Montréal se prononcèrent contre à 13 contre 11. Ceux de
Trois-Rivières furent également opposés, 4 contre 3. Finalement, ceux de
Québec, et bien oui, furent en faveur à 12 contre 7. La région de Québec et
la minorité anglophone ont donc fait nettement pencher la balance comme
cela s’est produit il n’y a pas si longtemps. L’ambivalence des
francophones leur a, comme plusieurs fois par la suite, joué un vilain
tour.
C’est ainsi que fut fondé le Canada de 1867, sans grand enthousiasme sauf
en Ontario. John A. Macdonald est satisfait, le gouvernement central est
fort et les provinces, des créatures bien soumises. Il s’apprête à amorcer
un très long règne comme premier ministre. Quant à Cartier, bientôt
compromis dans le Scandale du Pacifique, il s’apprête à mourir tristement à
Londres. Le Québec qu’il laisse alors représente un peu plus de 30% de la
population canadienne et 25% des provinces, deux proportions qui vont
continuellement s’amenuiser avec le temps. On attend que ce régime qu’on
lui a tellement vanté fasse ses preuves. Cela ne tardera pas mais pas
nécessairement dans le sens qu’on s'y attendait.
Indéniablement, nous sommes à des années lumières de Champlain. Affirmer
que Champlain est un fondateur de ce Canada-là ou que le Québec est à son
origine, c’est pousser l’enthousiasme nettement trop loin. Une
récupération grossière ? Sûrement. Par contre, affirmer que ce Canada est
en quelque sorte un mariage de raison n’est probablement pas loin de la
vérité.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Gilles Ouimet66 articles

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Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    4 juillet 2008

    Merci M. Ouimet,
    ce genre de rappel pourrait sembler redondant et sans utilité pour certains, mais je crois au contraire que c'est ce qu'il faut répéter et répéter encore. Si Vigile était une émission télé, ce genre de volet d'enseignement de l'histoire devrait être diffusée aux heures de pointe.