55 %, un minimum!

2006 textes seuls


La Presse samedi 18 mars 2006
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Compte tenu des répercussions d'un vote positif à un éventuel référendum, les souverainistes convaincus devraient même proposer davantage
Les médias du 15 mars faisaient part d'une nouvelle importante pour le Québec et le Canada. Il s'agit de la décision unanime du Parlement du Monténégro, prise le 3 mars à la suggestion de l'Union européenne et de la France, à la suite d'un important avis de la Commission de Venise de décembre 2005.
Le Monténégro, membre de la Fédération de Serbie-Monténégro, a adopté une loi référendaire en vue d'un référendum sécessionniste le 21 mai prochain. La décision du Parlement du Monténégro affirme que l'indépendance ne sera proclamée que si la majorité acquise au référendum est de 55 % et plus, avec un seuil de participation de 50 %.
Ce qui rehausse l'importance de cette décision est qu'elle a été prise avec l'accord de l'Union européenne et de la France. Or l'UE s'est appuyée sur un Avis de l'importante Commission de Venise.
Cette " Commission européenne pour la démocratie par le droit ", plus connue sous le nom de Commission de Venise, ville où elle se réunit, est un organe consultatif du Conseil de l'Europe sur les questions constitutionnelles. Créée en 1990, la Commission a joué un rôle essentiel dans l'adoption de constitutions conformes aux standards du patrimoine constitutionnel européen.
Initialement conçue comme un instrument de l'ingénierie constitutionnelle d'urgence dans un contexte de transition démocratique, elle a évolué progressivement vers une instance de réflexion indépendante reconnue internationalement. La Commission contribue à la diffusion du patrimoine constitutionnel européen, fondé sur les normes fondamentales du continent, tout en continuant à assurer aux États un " dépannage constitutionnel ". En outre, la Commission de Venise joue un rôle unique dans la gestion et la prévention des conflits à travers l'élaboration de normes et de conseils en matière constitutionnelle.
La Commission regroupe 48 pays membres et dix pays observateurs, dont le Canada. Elle est composée " d'experts indépendants éminents en raison de leur expérience au sein des institutions démocratiques ou de leur contribution au développement du droit et des sciences politiques ". Les membres sont, en particulier, des professeurs d'université, notamment de droit constitutionnel ou de droit international, des juges des cours suprêmes ou constitutionnelles, des membres de Parlements nationaux.
La Commission rappelle qu'il n'y a aucune règle ou principe de droit international qui exige la règle de la majorité simple en matière de sécession, (comme l'a prétendu par exemple au Québec le Parti québécois). Pour le reste la position de la Commission est claire quant au niveau requis de participation et à la majorité requise pour assurer la plus grande légitimité à la décision référendaire. La Commission insiste sur le fait qu'il y a des raisons qui militent en faveur d'une majorité supérieure à 50 %. Et elle souhaite que les acteurs politiques définissent ce pourcentage, ce qui sera conforme aux standards internationaux. (...)
Commission de Venise
Si la Commission de Venise considère que le 50 % est inacceptable et que l'Union européenne propose de fixer la barre à 55 % pour l'accession à l'indépendance dans une fédération branlante comme celle de Serbie-Monténégro, pour en assurer la légitimité démocratique, à quel niveau placerait-elle la majorité à atteindre pour permettre la sécession d'un membre d'une fédération stable qui, malgré ses difficultés, a duré plus d'un siècle et assuré le progrès d'une population, un succès envié par l'ensemble de la planète. Croyez-vous que les quelque 60 pays concernés, y compris le Canada et la France, se contenteront d'une majorité de 50 %+1, pour reconnaître un Québec indépendant? Ajoutons à cela que certains États amis, comme les USA ou l'Australie, considèrent que de droit de sécession d'une fédération n'existe même pas.
La décision pour un État fédéré de se séparer d'une fédération au risque de faire éclater celle-ci est d'une gravité exceptionnelle. Elle est susceptible de provoquer une crise politique et économique sans précédent. Il faut que le résultat du référendum témoigne d'une adhésion très significative, et idéalement massive, de l'ensemble de la population et non d'une majorité simple obtenue à l'arraché, compte tenu de toutes les astuces qui sont le menu des campagnes électorales. Il est, à notre avis, irresponsable de soutenir qu'au nom d'une conception théorique de la démocratie la majorité simple s'impose de façon absolue; or la majorité qualifiée est souvent préférée à cause de l'importance de la matière traitée.
L'Union européenne et la France ne sont pas des quantités négligeables en matière de démocratie, que je sache. Il faut lire attentivement l'Avis de la Commission de Venise pour se convaincre que l'accession à l'indépendance et la naissance d'un nouvel État ne résultent pas d'une décision ordinaire qu'on prend quotidiennement en démocratie à la majorité simple.
Comme le suggère le titre du Soleil à la une le 15 mars, l'Assemblée nationale du Québec n'aura pas le choix: " Pas de souveraineté sous les 55 % ". Et ce pourcentage nous paraît un minimum. Les souverainistes convaincus devraient même proposer davantage.
Patrice Garant, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval.


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