Violents affrontements entre deux politiques wallons

Chronique de José Fontaine


Les élections fédérales belges auront lieu le 10 juin prochain. Les médias disent qu’elles ne passionnent pas l’opinion publique mais il y a cependant un fait nouveau qui vient de se produire mettant au centre de la campagne électorale en Wallonie, la Ville de Charleroi, la commune la plus importante avec ses 200.000 habitants (même si la plus grande ville de Wallonie demeure Liège avec 600.000 habitants, mais son agglomération est divisée en plusieurs communes).
La corruption à Charleroi amène l’affrontement Di Rupo/Reynders
La Ville de Charleroi est la proie de scandales à répétition qui impliquent tous des personnalités socialistes (fonctionnaires et élus): le Bourgmestre lui-même a été inculpé pour faux et usage de faux, de même que plusieurs échevins (maires-adjoints). Le Président du Gouvernement wallon, Jean-Claude Van Cauwenberghe, lui-même bourgmestre de Charleroi jusqu’à l’année 1995, est éclaboussé par ces scandales (car il avait gardé toute son influence dans la ville), sans jamais avoir été inculpé par la Justice jusqu’ici. En 2005, il a même été obligé de démissionner de son poste de Président wallon. Le problème c’est que l’on a le sentiment que se mélangent en ces affaires à Charleroi, des irrégularités commises en vue de s’enrichir et des irrégularités commises en vue de financer certains secteurs que l’administration locale a cru bon de favoriser, comme le sport. Mais le tout fait que l’on parle depuis deux ans des scandales et que Charleroi est devenue, en tant que ville, synonyme de corruption, mais aussi synonyme sinon de Wallonie (un peu hélas!), du moins de pouvoir socialiste en Wallonie.
Ce pouvoir est représenté par Elio di Rupo qui cumule les fonctions de chef de ce parti socialiste (avec des responsabilités capitales sur le plan fédéral: dans notre système politique, les chefs de partis ont un rôle prééminent), et de président du Gouvernement wallon (on le lui reproche d’ailleurs de cumuler ces deux fonctions). Face à lui, nous trouvons Didier Reynders, le Président des libéraux (le MR, mouvement réformateur), qui est aussi ministre des Finances du gouvernement fédéral actuel, mais qui voudrait supplanter les socialistes en Wallonie en ayant plus de voix que ce parti aux élections de ce 10 juin. En chiffres arrondis, le PS obtient 35% en Wallonie et le MR un peu moins de 30%, mais l’ordre de ces positions pourrait s’inverser.
Un coup de théâtre
C’est sans doute plus pour ces irrégularités que pour un enrichissement personnel qu’un échevin de la nouvelle majorité mise en place après les élections communales a été inculpé par la Justice peu avant la Pentecôte. Le 25 mai la coalition au Pouvoir à Charleroi, réunissant des libéraux (MR: Mouvement réformateur), des socialistes (PS) et des démocrates-chrétiens, tout en prenant acte de cette inculpation, affirmait, et en particulier l’échevin Olivier Chastel (lui-même candidat aux élections fédérales et libéral ou MR), la volonté de demeurer avec la même coalition à la tête de la Ville. Le surlendemain, il faisait volte-face, décidait de quitter cette coalition en estimant qu’il n’était plus possible de gouverner la Ville avec les socialistes.
Il semble bien que c’est le président du MR (les libéraux), Reynders, qui ait poussé Olivier Chastel à la démission, estimant qu’il y avait là une occasion de mettre en évidence la nocivité du pouvoir socialiste en Wallonie (dont Charleroi deviendrait emblématique, ce qui correspond à certaines perceptions, vraies ou fausses, peu importe). Olivier Chastel s’en défend, prétextant divers autres motifs. Les adversaires du MR (surtout le PS), estiment qu’en poussant Chastel à la démission, le Président du MR, Reynders, instrumentalisait la très noire situation de cette ville, imputable selon lui aux socialistes, en vue de dépasser ceux-ci dans les résultats électoraux. Et à mon sens, c’est bien le cas.
Nouveau rebondissement
Hier, jeudi, 1er juin, peu de temps avant une conférence de presse que devait donner le Procureur du Roi de Charleroi, son supérieur de Mons lui intimait l’ordre de ne rien communiquer sur les affaires en cours. Il se dit que de nouveaux échevins socialistes allaient être inculpés, voire peut-être même l’ancien bourgmestre de Charleroi et ancien Président wallon, Jean-Claude Van Cauwenberghe. Le Procureur de Mons a fait valoir que sa décision était motivée par l’idée que l’action de la Justice ne pouvait interférer avec le déroulement des élections fédérales. Mon sentiment – pas du tout de spécialiste des affaires à Charleroi! - c’est que, effectivement, la chose est plus que probable. En effet, les motifs de l’inculpation de l’échevin, qui a provoqué tous ces remous depuis la Pentecôte, sont effectivement les motifs d’inculpation possible de plusieurs personnalités socialistes actuellement au pouvoir. Si ces personnalités avaient été inculpées, c’était l’effondrement socialiste à Charleroi à quelques jours des élections fédérales (qui ont lieu le 10 juin). Il viendra peut-être après...
Un tournant vraiment violent de la campagne électorale
Il me semble que l’on peut dire que la campagne électorale – aussi peu passionnée qu’elle ait pu sembler au départ – a pris, avec cette affaire, un tour violent et je dirais même très inattendu. Les socialistes occupent une position électoralement dominante en Wallonie depuis l’instauration du Suffrage universel en 1894. Cela ne veut pas dire qu’ils y occupent tout le pouvoir comme on l’entend dire abusivement. En effet, le parti dominant en Belgique a été très longtemps le Parti catholique (sous diverses appellations), dominé fortement (et c’est un euphémisme), par son aile flamande. Il est vrai que les socialistes ont peu à peu occupé un grand nombre de pouvoirs communaux, position qui s’est renforcée avec la fusion des communes opérées en 1977. Jusqu’à cette année-là, les grandes villes comme Charleroi ou Liège étaient éclatées en un grand nombre de communes, la commune portant ce nom (Liège ou Charleroi), n’étant que la plus importante d’entre elles (parfois de peu), au sein d’une agglomération de communes distinctes. Depuis 1977, on peut dire que le pouvoir socialiste s’est renforcé et imposé dans toutes les grandes agglomérations wallonnes et, par exemple, comme à Mons et Charleroi, sans devoir même partager le pouvoir (jusqu’ici), ce qui est sans doute l’une des origines des affaires en série à Charleroi (le pouvoir corrompt, dit-on, et le pouvoir absolu corrompt absolument). Or même si le pouvoir déterminant en Belgique est demeuré longtemps le pouvoir national ou fédéral (avec cette domination des catholiques que j’indiquais), le sentiment des populations, plus directement confrontées aux pouvoirs locaux (ou communaux, soit des Villes), c’est que les socialistes ont et sont le pouvoir. On a même souvent dit que faute de pouvoir occuper une place dominante au plan national, les socialistes ont cherché à créer une Wallonie autonome parce qu’ils savaient que, là, ils pouvaient être prépondérants. Prépondérants, ils le sont à coup sûr aujourd’hui, mais en partageant le pouvoir, un pouvoir wallon qui n’est devenu significatif que depuis peu, depuis 1999.
Une question centrale liée à la question nationale belge
L’affirmation que je mets d’emblée dans cet intertitre découle de tout ce que je viens de dire. Même si les élections du 10 juin sont des élections fédérales, la Belgique est en quelque sorte divisée en trois espaces électoraux: la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Je passe ici sur les complications bruxelloises, non par dédain, mais pour simplifier mon propos. Comme il n’y a plus de partis nationaux en Belgique depuis la fin des années 1970, les partis existants s’affrontent dans l’espace flamand et l’espace wallon. Ce qui fait que les élections se jouent dans l’espace wallon (ou flamand), même si c’est en fonction du pouvoir à prendre au niveau national belge. Or, le MR – les libéraux de Didier Reynders – peuvent voir dans le scandale en soi que constitue Charleroi, un argument pour ravir la première place en Wallonie au PS. Celui-ci demeurerait évidemment au pouvoir en Wallonie (dans l’Etat fédéré wallon), mais, pour les socialistes, passer de la première à la deuxième place aux élections fédérales, les déforcerait globalement et notamment en fonction des élections régionales qui auront lieu en 2009. Le 10 juin, on saura donc si les socialistes auront ou non gardé leur position dominante en Wallonie. S’ils ne la gardaient pas, on peut se demander ce qui se passerait. Toute la réforme de l’Etat belge et la lutte pour l’autonomie de la Wallonie se sont faites malgré tout à travers un Parti socialiste dominant, parfois même largement (44% des voix en 1988, par exemple). Mais pas seulement à travers lui.
Que penser?
Bien qu’étant un homme de gauche, j’ai toujours eu la plus grande méfiance pour l’esprit des socialistes organisés en parti. Certes, je me suis senti très proche longtemps des socialistes wallons les plus autonomistes qui ont dominé ce parti jusqu’au milieu des années 1990. Depuis, cette tendance au sein des socialistes s’est affaiblie, voire a même disparu, même si, par ailleurs, objectivement, le président des socialistes, Elio Di Rupo, a été obligé de s’investir très fort en Wallonie.
Il s‘est certes investi très fort en Wallonie, mais avec comme priorité le pouvoir au niveau fédéral, en tant que chef de parti. C’est cette position qui est menacée par les libéraux. Ceux-ci pourraient-ils s’avérer moins bons pour l’autonomie wallonne que les socialistes? C’est difficile à dire. Les libéraux sont plus à droite que les socialistes, mais ils ont été historiquement aussi des porteurs de l’idée wallonne en certaines périodes de leur histoire. Ils sont obligés de défendre les intérêts de la Wallonie et les intérêts francophones au plan fédéral belge. Et de toute façon, même s’ils deviennent les premiers en Wallonie, ils devront y partager le pouvoir avec d’autres étant donné notre système politique.
L’enjeu des élections fédérales d’un point de vue wallon me semble être la place des socialistes. Je l’ai dit, les plus autonomistes des socialistes wallons ne jouent plus un grand rôle au sein du parti. Les hommes politiques libéraux sont plus à droite que les socialistes, mais ils sont conscients de leurs responsabilités sociales et on sait qu’aujourd’hui la droite et la gauche – ce que je déplore profondément – ne se distinguent plus nettement. Les syndicats socialistes wallons, je m’en sens infiniment plus proche. Là, demeure aussi un sentiment wallon autonomiste poussé. Les syndicats socialistes wallons déplorent que l’enjeu des élections fédérales se joue autour de Charleroi. Il est possible que leur voeu soit que les socialistes se maintiennent. Mais je me demande si, pour la Wallonie et pour la gauche, il ne faudrait pas que les socialistes “officiels” attrapent une grande claque. Cela renouvellerait la gauche et cela la forcerait à redevenir peut-être plus wallonne qu’elle ne l’est présentement et plus la gauche. En tout cas, l’analyse que certains ont faite, comme quoi les socialistes étaient les plus partisans de l’autonomie wallonne, car se sachant capables de dominer la Wallonie, est une mauvaise analyse. Qu’il s’agisse d’Etats souverains ou d’Etats autonomes – on le voit bien avec la défaite des travaillistes en Ecosse - la seule loi qui vaille c’est celle de la démocratie. Seule la démocratie peut nous sauver, y compris de ceux qui affadissent leurs idées de gauche - et cela grâce à des victoires de la droite. Ou de ceux qui ne servent pas assez bien leur pays - et cela aussi grâce à des victoires de la droite.
Mais j’ai rarement vu un affrontement électoral d’une aussi grande dureté. Je le dis en plein coeur de l’événement, mais je crois que c’est sans précédent.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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