Vers un nationalisme d'accommodement?

Crise politique canadian

Texte publié dans Le Devoir du lundi 13 juillet 2009 -
L'entente de coalition entre néo-démocrates, libéraux et bloquistes en décembre dernier démontre que l'idéologie souverainiste est en mutation, estime l'ex-ministre Simard.

À quelque six mois d'intervalle, deux événements politiques majeurs, qui ne sont pas a priori reliés l'un à l'autre, viennent accréditer la thèse d'un changement d'orientation radical dans l'expression du nationalisme québécois, du moins au sein de la grande famille souverainiste. Tour à tour, l'entente tripartite, de décembre 2008, donnant naissance à une coalition parlementaire entre le Parti Libéral du Canada, le Nouveau Parti Démocratique et le Bloc québécois et la récente décision unanime du Parti québécois d'opter pour le rapatriement de nouveaux pouvoirs laissent entendre qu'à court, moyen et long terme l'avenir du Québec se pense désormais au sein de la fédération canadienne. Le mouvement souverainiste opte conséquemment, sans le dire ainsi, pour un nouveau nationalisme d'accommodement. Sur le fond des choses, l'indépendance du Québec serait-elle devenue simple affaire de rhétorique? Retour sur cette métamorphose de la question québécoise.

La coalition parlementaire
De l'aveu même de Gilles Duceppe, l'établissement d'une coalition gouvernementale soutenue par une autre coalition, celle-là parlementaire, dont le Bloc était la clef de voûte, fut aussi, et peut-être surtout, justifié par la volonté de défendre des valeurs communes sur le plan social, des valeurs partagées par les trois partis d'opposition (même chance pour tous, justice distributive, interventionnisme réfléchi de l'État, droit à la syndicalisation, autonomisation de la politique étrangère du Canada,etc.). Malgré des réticences historiques à l'égard du PLC, pour la première fois depuis le référendum de 1995, un parti souverainiste, en cela largement appuyé par sa base militante et la population québécoise, concevait comme étant non seulement possible, mais souhaitable, d'établir un dialogue politique de longue durée avec le reste du Canada et au premier chef, avec ses traditionnels frères ennemis. Sans aller jusqu'à parler de réconciliation nationale, loin s'en faut, il y avait dans cette entente un espoir de rapprochement que bien des Québécois espéraient voir se concrétiser depuis longtemps. Espoir qu'est rapidement venu étouffer Michael Ignatieff.
Mine de rien, par cette entente, Gilles Duceppe aura donné à la question québécoise, même brièvement, la possibilité de se redéfinir, après bientôt quinze années de blocage, de frustration, de rancoeurs mutuelles et de discours d'apparatchiks à l'ancienne qui répètent les rengaines de toujours. Cet accord décrié comme irresponsable par certains, arrivait à point nommé, quelques semaines après que le Parti québécois eut une fois pour toutes, en campagne électorale, repoussé l'idée de tenir un référendum s'il était reporté au pouvoir. La table était donc mise pour établir un dialogue d'un nouveau genre.
Les référendums sectoriels
La nouvelle option défendue par le Parti québécois n'est pas neuve. Du temps ou jeune attaché politique, j'étais au cabinet du premier ministre Jacques Parizeau, elle circulait déjà sous le boisseau. Les objections finales à ce scénario étaient toujours les mêmes: les référendums sectoriels sont d'une tout autre nature qu'un référendum portant sur l'indépendance, car ils visent davantage à réformer le Canada qu'à en sortir.
En effet, la stratégie du rapatriement des pouvoirs et sa principale variante, la stratégie des référendums sectoriels, proposent des ressemblances frappantes avec le vieux concept de fédéralisme asymétrique soutenu depuis les années cinquante par le dominicain Georges-Henri Lévesque, les libéraux progressistes, le chef conservateur Robert Standfiel et tant d'autres intellectuels et politiques. Pauline Marois est on ne peut plus explicite à cet égard: «le Parti québécois souhaite redéfinir l'espace législatif partagé avec Ottawa». Les mots parlent d'eux-mêmes. Paradoxalement, le Parti québécois s'inspire aujourd'hui davantage du livre beige de Claude Ryan, que du livre blanc sur la souveraineté-association de René Lévesque.
À défaut de faire du Québec un pays, les péquistes font aujourd'hui le pari d'en faire une province forte, au sein du Canada. Bloquistes et péquistes s'en défendront jusqu'à leur dernier souffle, mais ils sont entrés, plus ou moins consciemment, dans une ère d'accommodement économique, social et constitutionnel avec le Canada. Dès lors, ceux qui seront vraiment tentés de réformer le Canada, se demanderont rapidement si le Parti québécois est le meilleur endroit pour relever ce défi. Par contre, ceux qui veulent toujours faire du Québec un pays, sans compromis, se demanderont si le PQ est encore le véhicule politique qui leur convient réellement?
La question québécoise
Je ne crois pas dans la fin de l'histoire. Un destin national n'est jamais achevé. Mais force nous est de constater que le nationalisme québécois est depuis quelques années entré dans une nouvelle phase: celle de l'accommodement. À terme, j'ai l'intime conviction que la libération d'un peuple s'inscrit en réaction à une situation d'oppression. Les partis politiques ne sont que le reflet de leur société. Or, si les Québécois ont majoritairement choisi la voie de l'accommodement, c'est peut-être parce que leur rapport au Canada a considérablement évolué et qu'ils ne se sentent plus ni colonisés, ni opprimés. En ce sens, la Révolution tranquille donne aujourd'hui sa pleine mesure.
Mais attention, l'accommodement ne signifie pas l'acceptation béate et complaisante d'un Canada immuable. Du reste, le nationalisme d'accommodement ne fera qu'un temps si les Québécois ont le sentiment qu'il est à sens unique. Il s'agit maintenant de savoir comment le reste du Canada réagira à cette métamorphose de la question québécoise...
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Jean-François Simard, Ph.D.,
Professeur en sciences sociales,
Titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie de l'UQO et ancien ministre du Parti québécois


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