INDÉPENDANCE NATIONALE DU QUÉBEC 379

«Une urgence nationale»

Les indépendantistes peuvent-ils former le prochain gouvernement ? Lequel ?

Chronique de Bruno Deshaies

L’éditorial récent sur Vigile.net nous signale :

« L’ère Bouchard-Marois (1995-2011) arrive à sa fin. Fin de la passivité, fin des finasseries, fin des doubles discours, des esquives, des dénis. Le mouvement indépendantiste se reprend en main. La conjoncture menaçante sur les plans économique et politique, extérieur et canadian, nous oblige à plus de conscience, plus de rigueur et plus d’audace. Courage ! » – Vigile. Source : L’après-PQ. Les indépendantistes orphelins se cherchent un parti...

L’heureuse Alliance pourra-t-elle voir le jour dans un temps court et, surtout, dans un contexte d’agitation politique aussi compliqué à l’échelle québécoise et pancanadienne ? En politique, on ne peut pas sous-estimer le niveau potentiel de dangerosité des rivalités politiques de toutes sortes. Si les combattants pouvaient mettre en péril le gouvernement Charest, ce serait un moindre mal. Or, ce n’est pas le cas. Les souverainistes politisés péquistes se chicanent entre eux sur des approximations de bonne conduite parce qu’ils pourraient faire de la politique autrement. Pour le moment, il faudrait plutôt faire la politique telle quelle est concrètement avant le chant du coq. N’oublions pas que les adversaires fédéralistes écoutent et se préparent, eux aussi, à l’action − même qu’ils sont toujours en action. De nombreux textes publiés sur Vigile nous l’illustrent abondamment.

Cela dit et, à mon humble avis, les indépendantistes veulent écrire l’histoire sans tenir compte de leur passé. Ils prétendent le connaître tellement bien qu’ils le répètent continuellement.

Nous avons un chemin critique à suivre. Pour y arriver, il faudra mettre de la pression non seulement sur le PQ mais sur nous tous.

Premièrement. Il faut prendre position d’abord.

Il n’y a pas plusieurs indépendances possibles mais une seule et une seule seulement qui est la lutte nationale pour la suprématie qui est le troisième degré : avoir la prépondérance collective. Ce n’est donc pas une lutte qui se situe principalement au niveau des sentiments et du rejet de l’autre qui est le premier degré : celui de l’animosité ou qui, différemment, se rapporte aux divergences de politique, de mentalité, de façon de voir, etc., ou du deuxième degré de philosophie politique. « La lutte nationale, à ce deuxième degré, signale Maurice Séguin, couvre des points très précis et peut facilement être décrite. » (Dans Histoire de deux nationalismes au Canada, p. 127). C’est ce que nous vivons brutalement en ce moment. Quant au troisième degré de la lutte nationale, Maurice Séguin l’a défini ainsi :

C’est la lutte
_ - pour la prépondérance (ascendency) ;
_ - pour être la majorité dans un état séparé ;
_ - pour être indépendant ;
_ - pour réussir son propre séparatisme :
_ - pour être maitre chez soi.

En histoire, on pourrait se rapporter au lendemain de 1791 pour se faire une bonne idée de ce conflit. Maurice Séguin s’explique au sujet de cette lutte nationale au troisième degré. Il explique :

C'est évidemment l'aspect le plus important dans un conflit qui dresse, à l'intérieur d'un même État, une nation contre une autre nation. Généralement, ce conflit national au troisième degré se ramène à ceci : conserver la majorité ou devenir la majorité dans un État séparé. On se bat pour conserver la majorité ou devenir la majorité dans un État séparé. On se bat pour conserver la majorité dans un État séparé.

La lutte nationale au troisième degré est plus abstraite que la lutte nationale au deuxième degré. Mais encore une fois, elle est infiniment plus importante.

Deux nationalités en conflit se heurtent, se querellent sur un grand nombre de points secondaires : lois, coutumes, mœurs, institutions. Ces divergences du second degré accaparent les esprits à 99 p. 100. Presque toutes les récriminations entre les deux nationalités se font probablement à ce niveau. Ce n'est donc que très rarement que l'on rencontre, affirmée exclusivement et clairement, et surtout sciemment, la lutte nationale au troisième degré pour la prépondérance, pour la suprématie, pour l'indépendance dans le séparatisme.

Source : Histoire de deux nationalismes au Canada. p. 127 et aussi 141.

Dans cet esprit, il est normal de lire ce qui suit dans l’éditorial de Vigile : « La conjoncture menaçante sur les plans économique et politique, extérieur et canadian, nous oblige à plus de conscience, plus de rigueur et plus d’audace. » Cette audace doit être située au troisième degré de la lutte nationale et non dans des ailleurs nébuleux de la politique courtisane ou électoraliste. Il faut nous mettre dans le cerveau des idées claires plutôt que d’ergoter autour de l’agitation politicienne actuelle. Je viens, personnellement, d’exposer quelques idées sur le sujet dans une émission présentée à la Radio Télévision suisse, « Un dromadaire sur l’épaule », le 29 août (ICI : http://www.rsr.ch/#/la-1ere/programmes/un-dromadaire-sur-l-epaule/?date=29-08-2011 N. B. Choisir la date du Lundi, 29 août 2011 et l’onglet « Écouter »).

Deuxièmement. Les indépendantistes doivent prendre une décision finale et irréversible.

Raymond Aron écrit : « ... Il ne peut pas plus y avoir deux souverains, à l'intérieur d'une collectivité politiquement organisée, qu'il ne peut y avoir deux généraux en chef à la tête d'une armée. » (Dans Paix et Guerre antre les nations, 1962, p. 725. Rééd., Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l'esprit », 2001 et 2006 (coll. « Pérennes »), 794 p. Voir Le Rond-Point des sciences humaines. http://www.rond-point.qc.ca/histoire/commission-11.html

Il faut comprendre deux choses : primo, l’indépendance n’est pas une marchandise ; secundo, la vie nationale d’un État transcende les rapports sociaux et les projets de sociétés à répétition.

Finalement, l’indépendance est acquise quand l’ouverture sur le monde passe par la présence par soi de la nation indépendante dans le monde.

Si l’on pouvait s’animer autour d’idées communes comme celles-ci au lieu d’imaginer des stratégies ponctuelles pour tout bêtement sauver les meubles, on verrait probablement poindre à l’horizon une énergie qui permettrait de renforcer le cadre idéologique indépendantiste qui guiderait la vision politique des Québécois. À quoi s’ajouterait une conduite pragmatique qui poserait les balises incontournables de l’action politique face à l’univers brouillé et discordant qui existe malheureusement à l’heure actuelle parmi les rangs souverainistes débridés.

Les indépendantistes peuvent-ils former le prochain gouvernement ? Au moment où l’on se parle, c’est NON. Toutefois, ce qui doit être fait devrait permettre de former une équipe initiale susceptible d’entreprendre de grandes manœuvres « diplomatiques » qui rendraient possible une plus forte cohésion des indépendantistes eux-mêmes. Une force assez grande pour tranquilliser les péquistes et suffisante pour faire peur aux autres formations politiques réelles ou en gestation.

En ce moment, ça ne peut venir ni du PQ ni du Conseil de la souveraineté ni de cette tentative d’états généraux. Il faut un fer de lance ailleurs que dans ces milieux par la réunion d’une « équipe » solide d’indépendantistes aguerris. La pression populaire ou la souveraineté populaire doit s’exercer sur tout le champ politique au Québec. Cette approche doit être celle de la lutte nationale au troisième degré.

Bruno Deshaies

http://blogscienceshumaines.blogspot.com/

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Bruno Deshaies209 articles

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BRUNO DESHAIES est né à Montréal. Il est marié et père de trois enfants. Il a demeuré à Québec de nombreuses années, puis il est revenu à Montréal en 2002. Il continue à publier sa chronique sur le site Internet Vigile.net. Il est un spécialiste de la pensée de Maurice Séguin. Vous trouverez son cours sur Les Normes (1961-1962) à l’adresse Internet qui suit : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-1-20 (N. B. Exceptionnellement, la numéro 5 est à l’adresse suivante : http://www.vigile.net/Les-Normes-en-histoire, la16 à l’adresse qui suit : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-15-20,18580 ) et les quatre chroniques supplémentaires : 21 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique 22 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19364 23 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19509 24 et fin http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19636 ainsi que son Histoire des deux Canadas (1961-62) : Le PREMIER CANADA http://www.vigile.net/Le-premier-Canada-1-5 et le DEUXIÈME CANADA : http://www.vigile.net/Le-deuxieme-Canada-1-29 et un supplément http://www.vigile.net/Le-Canada-actuel-30

REM. : Pour toutes les chroniques numérotées mentionnées supra ainsi : 1-20, 1-5 et 1-29, il suffit de modifier le chiffre 1 par un autre chiffre, par ex. 2, 3, 4, pour qu’elles deviennent 2-20 ou 3-5 ou 4-29, etc. selon le nombre de chroniques jusqu’à la limite de chaque série. Il est obligatoire d’effectuer le changement directement sur l’adresse qui se trouve dans la fenêtre où l’hyperlien apparaît dans l’Internet. Par exemple : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-1-20 Vous devez vous rendre d’abord à la première adresse dans l’Internet (1-20). Ensuite, dans la fenêtre d’adresse Internet, vous modifier directement le chiffre pour accéder à une autre chronique, ainsi http://www.vigile.net/Le-deuxieme-Canada-10-29 La chronique devient (10-29).

Vous pouvez aussi consulter une série de chroniques consacrée à l’enseignement de l’histoire au Québec. Il suffit de se rendre à l’INDEX 1999 à 2004 : http://www.archives.vigile.net/ds-deshaies/index2.html Voir dans liste les chroniques numérotées 90, 128, 130, 155, 158, 160, 176 à 188, 191, 192 et « Le passé devient notre présent » sur la page d’appel de l’INDEX des chroniques de Bruno Deshaies (col. de gauche).

Finalement, il y a une série intitulée « POSITION ». Voir les chroniques numérotées 101, 104, 108 À 111, 119, 132 à 135, 152, 154, 159, 161, 163, 166 et 167.





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5 commentaires

  • Bruno Deshaies Répondre

    5 septembre 2011

    5 septembre 2011, par Bruno Deshaies
    Au sujet de cette chronique sur l’« urgence nationale », il faut se rappeler mutuellement que nous devons choisir d’abord de penser dans l’optique indépendantiste qui n’exclut pas de « Vivre avec les autres, mais par soi » et avec « Collaboration dans l’autonomie » tout en étant « Avec les Autres dans l’agir (par soi) collectif ». Il s’agit donc de l’un des postulats le plus important si l’on veut penser en indépendantiste.
    Dans cet esprit, nous renvoyons nos concitoyen(ne)s à notre chronique du 19 décembre 2002. ICI : http://www.archives.vigile.net/ds-deshaies/docs/02-12-19.html
    ««« INDÉPENDANCE DU QUÉBEC
    L’ACADÉMIE DE L’INDÉPENDANCE
    Sur la nécessité de penser selon l’optique indépendantiste
    « ... la promotion de l’indépendance
    n’est pas une déviation de l’esprit
    ni une maladie sociale. » (Bruno Deshaies)
    Consulter les références signalétiques de Raymond Savard sur le site de « La Ligue pour l’indépendance du Québec » à l’adresse Internet qui suit : http://pages.infinit.net/liq/vigile-hebdo.htm
    Monsieur Savard est un indépendantiste depuis longue date. Dans sa chronique intitulée « VIGILE-HEBDO » qu’il a tenue régulièrement, entre 2002 et 2006, il nous offre à lire des textes qu’il commente brièvement pour nous montrer l’« urgence nationale » de prendre position.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 septembre 2011

    Je veux bien faire la lutte nationale au troisième degré.
    Il faut un fer de lance ailleurs que dans ces milieux par la réunion d’une « équipe » solide d’indépendantistes aguerris.
    Je ne sais pas si je suis aguerri, je me crois solide et je sais que je suis indépendantiste. Mais à ma connaissance je ne fais pas partie de l'équipe. Par ailleurs, avant de juger de la valeur de votre proposition, encore faudrait-il que j'en sache d'avantage. Je dois vous dire que l'idée d'une équipe n'est pas mauvaise en soi. Cependant je tiendrais à ce que son action soit transparente. Je crains comme la peste les manigances et les ententes secrètes.

  • Bruno Deshaies Répondre

    3 septembre 2011

    3 septembre 2011 par Bruno Deshaies
    « Vous obtiendrez la liberté en faisant savoir à votre ennemi que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour obtenir votre liberté. Ce n’est qu’alors que vous l’obtiendrez. C’est le seul moyen de l’obtenir. (...) Mais si vous êtes suffisamment nombreux à être radicaux et que vous le restez suffisamment longtemps, vous obtiendrez votre liberté. » Howard Zinn (Cité dans le menu déroulant des citations de Vigile.net)
    @ Couture et @ Presseault
    Je vous remercie d’avoir exprimé votre point de vue au sujet de cette chronique où je soutiens que « la pression populaire ou la souveraineté populaire [pro-indépendantiste] doit s’exercer sur tout le champ politique au Québec. »
    À mon avis, les Québécois-Français doivent travailler à trouver le chemin critique susceptible de réaliser l’indépendance nationale du Québec. L’approche géopolitique est certes intéressante pour analyser des situations ou décrire des rapports entre des nations indépendantes ou non mais elle ne décide pas du sort des nations en tant que tel. C’est la nation, c’est-à-dire la population organisée autour d’un État qui a conscience de sa distinction dans le monde et qui est inspiré par un sentiment national, même provincial, qui peut comme société nationale entreprendre la lutte qui doit conduire à l’indépendance nationale. Le capital collectif de la nation, c’est ce sur quoi le Québec-Français doit miser pour devenir indépendant et l’exprimer démocratiquement et majoritairement. C’est le premier grand défi de la lutte nationale, soit celui de la prépondérance (ascendency).
    L’approche constitutionnelle ou juridique, pour importante qu’elle soit, ne peut se substituer à l’effort d’une nation libre et démocratique qui veut obtenir son indépendance nationale par des rapports de force(s) qui nécessiteront probablement une Déclaration d’indépendance et qui officialisera la volonté de la souveraineté populaire qui aura été exprimée sans équivoque. Dans ce cas de figure, la constitution de la nation indépendance ne viendra que confirmer le code fondamental du régime politique que cette nation veut se donner pour exister officiellement comme État souverain. « La vraie souveraineté, explique Maurice Séguin, consiste à agir collectivement et majoritairement à tous les paliers, sur le plan central et sur le plan régional. » (Cf., Les Normes, Chapitre troisième, L’optique indépendantiste.)
    L’approche NATIONALE constitue la meilleure solution pour la majorité québécoise-française au Québec. Elle doit viser la confirmation de son indépendance comme unité politique ou unité internationale reconnue par ses pairs dans le monde. Donc, cette lutte collective est une lutte nationale au troisième degré pour la prépondérance comme nous l’avons signalé supra. Elle doit être cette lutte au troisième degré pour être la majorité dans un état séparé, pour être indépendant, pour être maitre chez soi et finalement, pour être présent au monde sans une autre nation interposée qui nous remplace. C’est là où se situe l’urgence nationale.
    Il est clair que toutes les divisions conceptuelles d’ordre politique, sémantique, partisane, idéologique, émotive ou presque irrationnel, interpellent la nécessité d’un regroupement fort d’une « équipe » pro-indépendantiste qui mettra en place le cadre conceptuel susceptible d’éclairer la population québécoise et lui faire réaliser que le CHOIX de l’indépendance nationale du Québec est la BONNE SOLUTION.
    Ce travail n’a rien à voir, dans l’immédiat, avec un quelconque programme politique de gouvernement des formations politiques qui se présenteront pour faire la prochaine élection provinciale. Cette « équipe » doit s’assurer de faire comprendre à une majorité de Québécois que l’INDÉPENDANCE NATIONALE vaut 10 fois, non, cent fois plus et cent fois mieux que ce calvaire du fédéralisme canadian qui empoisonne la vie des québécois pris individuellement et de la population québécoise actuelle qui représentent la nation québécoise.
    En terminant son analyse du sort de la France dans l’Union européenne, le géographe et géopoliticien français, Yves Lacoste, conclu que les Français doivent s’assurer à la fois une représentation collective et une représentation personnelle de leur rapport à l’idée de nation. Finalement, il résume sa pensée où il se donne les allures d’un combattant :
    « Il nous faut donc discuter, expliquer, commenter, discourir, réfuter. Raisonner, publier, parler haut et clair, et lutter pour que Vive la nation… » (Dans Vive la nation. Destin d’une idée géopolitique, Paris, Fayard, 1997, p. 330.)

  • Élie Presseault Répondre

    1 septembre 2011

    Merci à vous. Votre diagnostic de la situation rejoint le mien. Qui vivra verra bien... quand même, je vous sais gré de ne pas avoir été trop explicite sur les modalités de cette action à venir. Il est important de laisser une certaine initiative s'exprimer et s'affirmer de par ses prérogatives premières qui sont d'indiquer le chemin à venir.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 août 2011

    Merci pour votre analyse. Entièrement d'accord. On doit donc se servir, d'abord, des outils et conseils démocratiques disponibles. EQUITAS QUÉBEC se veut la Référence Constitutionnelle de la Nation Québécoise. Le site procure déjà un formulaire (sondage) pour ceux et celles voulant participer à l'élaboration de la Constitution nationale. C'est du nouveau, et c'est du sérieux. Avec pareil document entériné par le Peuple, le reste, c'est du gateau.
    Daniel Couture
    EQUITAS QUÉBEC
    www.eqqc.org