Nation

Une idée qui dérange

Tribune libre - 2007

Il faut se l’avouer, au Québec, le concept de nation dérange beaucoup. Dans
cette situation, la notion culturelle en serait probablement la seule
responsable. En effet, elle cause beaucoup de vagues, autant au sein de la
classe politique que parmi la population. Elle est génératrice de
tensions, elle divise, blâme les uns, bénit les autres, bref elle provoque
une certaine zizanie de définitions et d’interprétations de celles-ci. Les
intellectuels québécois s’attèlent tous autour de leur propre définition de
la nation : dans presque tous les cas, celle qu’ils ont créée. Est-ce
peut-être la raison qui explique cette panoplie de versions de la nation?
Au début, à mon humble avis, ce débat en était un faux, car possiblement,
ma compréhension du sujet s’en trouvait très limitée. Pourtant, un ouvrage
très pertinent, qui porte sur le débat de la nation, m’a ouvert les yeux
sur cette matière plus qu’intéressante, et d’une importance capitale dans
l’actualité politique du Québec. Écrit par une jeune maître, diplômée de
l’Université du Québec à Montréal en science politique, l’œuvre Qui est
Québécois?
m’a procuré des outils essentiels à la compréhension du concept
de la nation, aux multiples définitions que l’on peut lui attribuer et de
la valeur ou de l’importance qu’elle porte en son sein pour le peuple
québécois – qu’elle soit civique ou culturelle –. Je vais élaborer sur le
contenu de cet ouvrage, sur la façon dont elle s’est inspirée pour l’écrire
et enfin, je vais opiner sur ce sujet qui est enfin, pour moi, porteur de
sens.
L’auteure Geneviève Mathieu s’interroge sur la piste que devrait prendre
la nouvelle définition de la nation, car pour elle, le mouvement
souverainiste est à la croisée des chemins et doit s’approprier une
nouvelle vision de la nation québécoise, fraîche et à l’heure du temps.
L’heure est au pluralisme dû à l’immigration. Afin de bien vendre son
projet sécessionniste, le PQ doit définir la nation québécoise, non
seulement à partir de ceux partageant l’héritage canadien-français, mais de
ceux issus d’origines diverses. Le débat s’ouvre donc sur quelle position
idéale le PQ devrait adopter afin de rallier une majorité à ses
convictions. Car le modèle dumontien, lequel a été à la base idéologique du
parti indépendantiste depuis sa création, ne suffit plus selon plusieurs
intellectuels qui ont alimenté le débat sur le sujet. Critiquée de toute
part, la nation de convergence de Fernand Dumont ne s’applique plus
parfaitement « à relever le défi de la pluralité » (Mathieu 2001 : 14).
Ainsi, l’auteure trace l’inventaire des nouvelles conceptions voyant le
jour, toutes issues des critiques portées à l’endroit du modèle dumontien
mais, plus fascinant encore, toutes trouvent leur source puisée à même sa
définition de la nation, « car ces derniers sont une réaction à la
définition qu’il a produite » (Mathieu 2001 : 14). Pour nous faciliter la
compréhension, Mme Mathieu présente, analyse et commente les principaux
modèles de la nation, autant celui de Dumont que ceux de ses belligérants.
Ces derniers sont le modèle de culture publique commune substantielle, le
modèle de culture publique commune procédurale ou la nation comme
francophonie nord-américaine de Bouchard, le modèle de nation exclusivement
civique ou patriotisme constitutionnel et finalement le modèle de la nation
sociopolitique de Seymour.

L’auteure nous apprend que, selon Dumont, le nationalisme culturel des
Canadiens-français aurait pris racine en opposition à la nation politique
du Canada, qui aurait fait de ces derniers une entité parmi tant d’autres.
C’est donc une culture de survivance qui s’est établie – une de combat –,
donnant genèse à un nationalisme culturel qui doit teinter le concept de
nation. Bref, « l’idée fondamentale qu’elle défend est qu’une nationalité
définie en termes exclusivement politiques mène à l’assimilation des
Français d’Amérique » (Mathieu 2001 : 26). La nation que définit Dumont
est précisément culturelle et historique et, en l’occurrence, s’étend à
toutes communautés françaises d’Amérique du Nord. À la lumière de sa
pensée, sa perception de la nation culturelle se bâtit sur une seule
fondation : la langue française. L’État du Québec n’est donc, par
contingence, qu’une base politique ayant le pouvoir d’assurer la pérennité
de la nation culturelle française. Bref, la nation est strictement
culturelle, lorsque l’État s’occupe, lui, de la citoyenneté. Le modèle de
Dumont est intimement lié au concept de culture de convergence qui « permet
d’intégrer les nouveaux arrivants dans le cadre de balises culturellement
définies » (Mathieu 2001 : 30), donc par leur assimilation.

Les critiques dirigées contre le modèle dumontien fusent de toutes parts.
En fait, c’est le pilier central de sa théorie, la culture ou la langue
française, qui s’effrite devant la culture anglo-saxonne des droits
individuels, maintenant considérés fondamentaux. En effet, le pluralisme,
maintenant réalité en terre québécoise, en plus des revendications des
immigrants afin de protéger leurs droits culturels, sont autant d’éléments
s’attaquant au projet assimilateur de Dumont, maintenant contraire aux
droits individuels en démocratie libérale. Bref, l’enchâssement de la
Charte des droits et liberté dans la Loi Constitutionnelle de 1982 rend le
modèle de convergence inapproprié avec la nouvelle culture imposée aux
Québécois. Autre cible de ces critiques multiples est la thèse
plurinationale à laquelle Dumont adhère. En fait, selon les dires de
certains auteurs, cette thèse ne fait qu’accentuer les spécificités
culturelles en jetant de l’huile sur le feu de l’ethnicisme et même de
l’exclusion. Alors, plusieurs modèles se disant dignes de remplacer celui
de Dumont nous sont présentés.

Pour la présentation de ces modèles, il importe de mettre l’accent sur le
concept de nation en tant qu’outil pratique, c’est-à-dire servant des
intérêts politiques d’acteurs du milieu afin de convaincre et de rassembler
une population autour d’un consensus, celui d’une définition de la nation
québécoise qui remoule la relation de territoire et de nation. « Le but est
donc de faire de cette représentation mentale, arbitraire qu’est le concept
de nation, une réalité objective, naturelle » (Mathieu 2001 : 122). Un
modèle qui s’octroie presque l’unanimité s’institutionnalise et peut ainsi
servir comme projet d’action politique, celui de la souveraineté de l’État
du Québec par exemple. Bref, on nous présente quatre modèles ayant un
niveau d’ethnicité nul à élevé. C’est par cette démarche que l’on peut
remarquer la faisabilité de la théorie à la situation sociale spécifique du
Québec. « En changeant le lien qui unit nationalité et citoyenneté, les
protagonistes du débat sur la nation au Québec espèrent construire un
modèle de nation conforme aux exigences d’ouverture et d’acceptation du
pluralisme du contexte politique actuel » (Mathieu 2001 : 127)

Le premier d’entre eux est le concept d’identité exclusivement civique
qui découle du patriotisme constitutionnel. Cette identité évacue tout
référent culturel ou historique et n’adhère qu’aux principes
juridico-politiques de la société libérale. Cette culture publique est
construite à partir des droits individuels, de l’État de droit et de la
démocratie libérale. Son niveau d’ethnicité est nul, mais permet
l’assimilation du groupe car l’imposition d’une langue est contraire à
cette doctrine.
Le deuxième concept est celui de la culture publique
commune procédurale. Il est porteur de cette même identité civique de
démocratie libérale, mais s’imprègne toutefois du bagage historique de la
collectivité. C’est à cette définition que Bouchard s’attaque, car le seul
élément culturel qu’il défend est la conservation de la langue française.
«Cette francophonie serait au cœur de la culture commune québécoise, culture
publique qui ne constitue pas le prolongement pur et simple de la culture
du groupe majoritaire […mais] représente plutôt le socle d’une culture à
élaborer à l’aide de l’ensemble des individus parlant français » (Mathieu
2001 : 129-130).
Le troisième est la culture publique commune substantielle
et le quatrième est la culture sociopolitique de Seymour. Ces deux derniers
modèles présentent un degré d’ethnicité fort élevé et sont rejetés par
l’ensemble des protagonistes.

Dans son ouvrage, Geneviève Mathieu conclut qu’elle n’est pas tout à fait
convaincue du potentiel de ces nouvelles définitions de la nation.
Pourtant, sa préférence se situe au niveau du modèle de Bouchard. La
francisation des immigrants comme outil d’identification à la nation, sa
relecture de l’histoire québécoise empreinte de diversité culturelle – car
effectivement, l’homogénéité de la nation est un mythe nourri par nos
élites – qui pourrait permettre aux immigrants de mieux s’identifier à la
nation québécoise sont des arguments de poids pour ainsi développer cette
notion de culture publique commune procédurale ou de francophonie
nord-américaine.
Mais, loin d’être satisfaite, Mathieu veut que ce débat
continue car « il n’en demeure pas moins qu’elle [nation] demande à être
nuancée et explicitée avant de pouvoir être transportée au plan politique »
(Mathieu 2001 : 134). Bref, Geneviève Mathieu réussit à baliser le débat sur
la question de la nation québécoise mais ne réussit pas à répondre au titre
de son ouvrage… Qui est Québécois?

***
Je dois tout d’abord affirmer que cet ouvrage m’a permis de me situer
dans ce débat de définitions portant sur la nation québécoise. Je connais
maintenant les grandes lignes qui me permettent, sur le champ, de condamner
cette idée farfelue du patriotisme constitutionnel. Dans ce modèle, j’y ai
constaté un lapsus. Cette définition se prétend exempte de référent
culturel, mais trouve pourtant sa source dans la culture anglo-saxonne.
Donc, c’est bel et bien une culture – individualisme, démocratie libérale,
État de droit, etc. – qui nous est transmise par une hypocrisie
tendancieuse toute naturelle – pure qualité anglaise –, précepte à une
assimilation des sujets autres de la nation. À mon avis, cette
dissimulation est un oubli d’une importance capitale, ou un oubli
volontaire, lorsque l’on parle de patriotisme constitutionnel. Toute idée,
tout concept ou toute invention humaine sont imprégnés d’une façon de voir
et de faire. Donc, on ne peut clamer l’universalité de la nation
exclusivement civique, car elle est, elle aussi, une construction humaine.
Tout ce qu'il y a d’universel dans cette définition, c’est la conclusion que
ses auteurs voudraient voir un jour réalisée, c’est-à-dire qu’elle s’étende
à tout individu. Bref, c’est une forme d’uniformisation à une seule
culture, déjà largement dominante, et c’est finalement ce qui causerait la
perte de ce qui nous distingue et nous unit : le référent culturel. C’est ce
qui nous reste et on veut nous le soustraire, c’est laver ou blanchir
l’être humain de toute couleur, émotions ou de tout sentiment
d’appartenance. C’est l’arracher de ses racines, de la terre qui l’a vu
grandir et de ses ancêtres qui ont fait en sorte de lui offrir le meilleur
cadre de vie qu’ils pouvaient se permettre de lui offrir, bref, c’est
effacer la mosaïque culturelle, celle qui est issue de l’adaptation humaine
à son environnement. C’est une conspiration de leur part ou une fabulation
de la mienne. Mais, il reste que ce modèle de la nation civique n’est rien
de moins qu’une tentative parmi tant d’autres d’assimilation – on revient
au modèle dumontien – afin d’assurer un certain contrôle sur chacun de
nous, à notre insu, témoin d’une mort lente, celle des cultures, fondements
de tant de peuples.
À la lumière des conclusions de l’auteure et de mes convictions, le
modèle de Bouchard reste un excellent modèle de nation, car selon moi, il
s’agit d’un concept intégrateur et non d’exclusion. Il est évident qu’au
Québec le référent culturel, peut-être le seul véritable, reste la langue.
C’est avec cet outil des plus rassembleur que la nation québécoise peut se
développer dans sa différenciation aux autres nations américaines.
Ainsi,
le référent culturel qui se limite à la propagation de la langue française
assura la survie du fait français en Amérique. Il est évident, comme je
l’ai mentionné ci-dessus, que l’on ne peut se permettre d’adopter une
culture d’autrui aux dépens de la nôtre, celle du patriotisme
constitutionnel. À l’autre extrême, je suis convaincu que l’assimilation
culturelle n’est pas pertinente, mais à condition qu’il y ait Unanimité
autour de la langue française au Québec. Une réforme dans le système
d’éducation pourrait effectivement assurer une pérennité plus solide du
seul référent culturel qui est intimement lié à l’État québécois : la
langue française.
Michel Thomassin
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/spip/) --


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