Une guerre contre le pavot et contre les Talibans? Impossible

Les talibans avaient éradiqué la culture du pavot

Afghanistan après 2011, un narco-régime


«Peuple respecté de Helmand» : c'est ainsi que le message radio commençait. «Les soldats de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) et de l'Armée nationale afghane (ANA) ne vont pas détruire les champs de pavot parce qu'ils savent que beaucoup d'Afghans ne peuvent pas faire autrement que de cultiver le pavot. La FIAS et l'ANA ne veulent pas empêcher la population de gagner sa vie». Ce message était si raisonnable que ce devait être une erreur. Et, bien évidemment, ça l'était.
Le message, rédigé par un officier de la FIAS et diffusé dans la province de Helmand, la semaine dernière, sur deux stations de radio locales, a aussitôt été condamné par toute la hiérarchie des responsables afghans et américains, y compris par le président Hamid Karzaï. Doit-on comprendre qu'en réalité, la FIAS compte bien anéantir les champs de pavot des agriculteurs ?
La sale job par des civils
Eh bien, pas exactement. Aux dernières nouvelles, ce qu'elle a prévu, c'est que ce soit des civils qui aspergent d'herbicides les champs, tandis que les soldats occidentaux se contenteront d'empêcher toute représaille de la part des cultivateurs. Ainsi, la FIAS compte rallier beaucoup de gens à sa cause au Helmand et dans les autres provinces afghanes productrices d'opium, où l'ancien régime taliban tente de faire un retour en force par les armes.
Les soldats de la FIAS ne veulent pas être perçus comme des destructeurs de pavot parce que cela pourrait coûter la vie à un grand nombre d'entre eux (les cultivateurs étant capables de se transformer en combattants talibans du jour au lendemain). C'est apparemment un officier britannique (de réserve) de l'Armée territoriale, fraîchement arrivé de Grande-Bretagne qui se serait «un peu laissé emporter par la langue» et a délivré ce message offensant aux stations de radio locales de Helmand. En réalité, une majorité de soldats en Afghanistan, quelle que soit leur nationalité, partagent secrètement le même point de vue. On ne peut pas mener de front une guerre contre les talibans et une « guerre contre la drogue » et les remporter toutes deux en même temps.
Les talibans avaient éradiqué la culture du pavot
Cela avait été bien compris en 2001, au moment de l'invasion. Les talibans, tout fanatiques islamistes austères qu'ils étaient, étaient parvenus en 2000 à éradiquer toute culture du pavot, en faisant pendre tout bonnement quiconque se livrait à cette activité.
Les talibans avaient quémandé une aide auprès de l'Occident pour les agriculteurs en détresse qui, en cultivant des céréales et des légumes, gagnaient seulement le quart de leurs anciens revenus. Pourtant le Mollah Amir Mohammed Haqqani s'est montré catégorique : «Que nous obtenions une aide ou non, la culture du pavot ne sera plus jamais autorisée dans notre pays».
Puis les hôtes des talibans, Oussama Ben Laden et ses amis d'Al-Qaïda, ont mené les attentats du 11 septembre contre les États-Unis. Ben Laden s'était probablement gardé de prévenir les talibans parce qu'il était évident qu'après cet événement l'Afghanistan serait envahi. En fait, il est presque certain qu'il souhaitait que les États-Unis envahissent l'Afghanistan, car il imaginait la longue guérilla qui s'ensuivrait et finirait par provoquer l'humiliation des États-Unis, comme cela s'était passé en Union soviétique dans les années 80.
L'utilisation risquée des seigneurs de la guerre
Les États-Unis ont toutefois esquivé ce piège en évitant d'envahir l'Afghanistan. Ils se sont contentés de contacter les chefs militaires d'origines ethniques diverses qui étaient déjà en guerre contre le régime taliban, leur ont donné des armes plus perfectionnées et beaucoup d'argent, et les ont laissé combattre sur le terrain à leur place. Cela a très bien fonctionné et il n'y a pas eu de guérilla.
Mais, du coup, les États-Unis comptaient sur ces seigneurs de la guerre pour maintenir le calme en Afghanistan sans avoir besoin d'y envoyer massivement les troupes américaines (qui étaient en route pour l'Irak de toute façon). Or, ces seigneurs de la guerre avaient besoin de rentrées d'argent, et donc du pavot : l'opium et l'héroïne raffinée représentent plus du tiers du produit intérieur brut de l'Afghanistan et la quasi-totalité de ses exportations. Les Américains ont donc fermé les yeux jusqu'en 2002, pendant que leurs chefs militaires alliés encourageaient les agriculteurs à replanter du pavot. Washington n'a pas non plus protesté quand ces derniers ont été «élus» au parlement ou sont entrés au gouvernement de Karzaï.
La production d'opium a explosé
L'année dernière, la production d'opium a explosé pour atteindre 6 400 tonnes. Aujourd'hui, l'Afghanistan produit 92 % de l'héroïne mondiale. Le lobby étasunien en faveur de la « guerre contre la drogue » insiste pour que des mesures soient prises. Par conséquent, l'armée américaine et les armées alliées en sont venues à tenter de détruire le pavot des agriculteurs. Les talibans, quant à eux, ravalent leurs principes anti-drogue et promettent aux agriculteurs de les protéger. Et devinez qui est en train de gagner cette guerre…
«Nous ne pouvons pas échouer dans cette mission», affirmait en décembre dernier John Waters, le directeur du Bureau de la Maison Blanche chargé de la politique nationale de contrôle des drogues, comme s'il suffisait de vouloir pour pouvoir. Mais s'il voulait vraiment parvenir à ses fins Afghanistan, il pourrait déjà essayer de racheter le pavot afghan.
Les agriculteurs afghans sont payés bien moins de 100 dollars du kilo pour leur opium brut. Multipliez 6 400 tonnes par 200 dollars le kilo pour surenchérir sur les narcotrafiquants et la FIAS aurait pu acheter l'ensemble de la production afghane de l'année dernière pour 2,5 milliards de dollars. Qui plus est, l'argent serait allé directement dans les poches de la population qu'elle voudrait « rallier à sa cause » : les 13 % d'Afghans qui participent au commerce de l'opium.
Bien sûr, l'année suivante, les Afghans auraient planté deux fois plus de pavot, si bien que le coût de l'opération s'élèverait à long terme. Par ailleurs, rien n'arrêtera le trafic d'héroïne en direction de l'Occident : même si la production de pavot était complètement éradiquée en Afghanistan, elle ne ferait que se déplacer ailleurs, comme dans le Triangle d'Or en Asie du Sud-Est. En revanche, racheter les récoltes de pavot est à peu près la seule chose qui donnerait à la FIAS une chance de gagner cette petite guerre qui prend une vilaine tournure.
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Gwynne Dyer
Journaliste indépendant*
*L'auteur est un Canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, Futur Imparfait, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.


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