Afghanistan

Harper jouait double jeu en 2009

La poursuite d'une mission militaire après 2011 était déjà une option envisagée

Afghanistan après 2011, un narco-régime



Stephen Harper participait à une cérémonie à la base aérienne de Kandahar, le 30 mai dernier

Photo : Agence Reuters Yiorgos Karahalis


Alec Castonguay - Le gouvernement Harper a considéré très tôt la possibilité de poursuivre la mission en Afghanistan au-delà de 2011, et ce, dès mars 2009, révèlent des documents inédits. Pourtant, jusqu'en novembre 2010, il répétait publiquement que tous les militaires canadiens allaient rentrer à la maison.
En mars 2009, «toutes les options» étaient sur la table au cabinet, même si une motion adoptée par la Chambre des communes un an plus tôt (mars 2008) stipulait clairement que la mission à Kandahar devait prendre fin en juillet 2011. Cette ouverture à réévaluer la mission afghane a été communiquée à l'ambassade américaine à Ottawa, ce qui a directement mené à la demande officielle de Washington, formulée le 2 avril 2009, de maintenir la présence canadienne dans ce pays en guerre après 2011.
Les notes diplomatiques qui racontent ces événements — et la surprenante réflexion secrète canadienne — ont été obtenues par WikiLeaks et consultées par Le Devoir. Elles émanent de l'ambassade américaine à Ottawa.
Le 10 mars 2009, une réunion du cabinet Harper aborde le dossier de l'Afghanistan. Les ministres présents s'entendent sur le fait que «toutes les options sont de nouveau sur la table» en ce qui a trait au rôle du Canada dans ce pays en guerre après juillet 2011, date prévue du retrait.
Cette information est transmise à l'ambassade américaine à Ottawa le 16 mars 2009 par David Fairchild, le conseiller senior du Groupe de travail sur l'Afghanistan au ministère des Affaires étrangères, un fonctionnaire d'expérience qui en est à sa troisième année dans ce poste.
Le document, rédigé le 17 mars 2009 par le diplomate américain Terry Breese, le numéro deux à l'ambassade d'Ottawa, était classé «secret», soit l'une des plus hautes cotes de sécurité. La note précise que le nom de David Fairchild doit être «strictement protégé».
Pendant sa rencontre avec Terry Breese, le représentant canadien affirme que la réflexion est confidentielle et ne correspond pas au discours public du gouvernement, qui affirme sur toutes les tribunes que le Canada retirera tous ses soldats d'Afghanistan en juillet 2011. Il parle d'une «nouvelle réalité» aux Américains. Le diplomate Breese écrit: «Ça va prendre un certain temps pour que la rhétorique du gouvernement s'adapte à cette "nouvelle réalité". Par conséquent, Fairchild a soutenu que les alliés devront être "patients". Il demande aux alliés, pour l'instant, de ne pas demander publiquement au Canada de prolonger le déploiement de ses troupes à Kandahar après 2011», peut-on lire.
L'un des scénarios qui circulent au Conseil des ministres à ce moment-là consiste à ramener au Canada, pour un an, le groupe tactique de combat, soit les 1200 soldats canadiens qui chassent les talibans en zone dangereuse. Il serait alors resté 1800 militaires canadiens à Kandahar après 2011, notamment les équipes de mentorat de l'armée et de la police afghane, l'équipe provinciale de reconstruction (PRT) et sa force de protection, les militaires responsables des projets de développement, etc.
Le commentaire de Terry Breese, à la fin de la note diplomatique, témoigne de la surprise à l'ambassade. «Après avoir dit clairement en public et en privé que la mission de combat des Forces canadiennes en Afghanistan se terminerait définitivement en 2011, selon les termes de la motion adoptée aux Communes en mars 2008, le premier ministre Harper et son cabinet vont s'enfoncer en territoire délicat en essayant de vendre de nouveau aux Canadiens une prolongation de la mission.»
L'ambassade américaine affirme que Stephen Harper pourrait tenter de miser sur la popularité de Barack Obama, qui venait alors de lancer une réflexion sur l'engagement américain en Afghanistan, pour préparer les esprits au Canada. «Cela pourrait lui donner assez de flexibilité pour continuer le rôle de combat du Canada en Afghanistan après 2011, en plus du rôle de reconstruction et de développement que le Canada veut jouer après cette date», peut-on lire.
Cette réflexion du cabinet Harper sur une prolongation de la mission de combat après 2011 n'a jamais été rendue publique.
La pression américaine
Ce message envoyé à l'ambassade américaine n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd à Washington. Dans une autre note diplomatique datée du 3 avril 2009, on apprend que les États-Unis ont officiellement demandé au Canada, la veille, soit le 2 avril 2009, de poursuivre sa mission à Kandahar après juillet 2011.
Le document, classé «confidentiel», est encore une fois rédigé par le diplomate Terry Breese. Il relate la conversation qu'il vient d'avoir avec Marie-Lucie Morin, la conseillère à la sécurité nationale du premier ministre Harper. Mme Morin était accompagnée de fonctionnaires du Conseil privé, le ministère du premier ministre.
La demande américaine se lisait comme suit: «Que le Canada demeure ouvert à reconsidérer sa décision de retirer ses forces de combat après 2011 en fonction de la situation sur le terrain ou, au minimum, laisse sur place l'Équipe provinciale de reconstruction, l'équipe de mentorat de l'Armée nationale afghane, l'équipe de mentorat de la Police nationale afghane et les atouts cruciaux que sont les capacités aériennes, de renseignements et les ingénieurs à Kandahar après 2011.»
Marie-Lucie Morin souligne au diplomate américain que le premier ministre Harper a toujours été clair dans ses commentaires publics et que «c'est à lui de décider s'il revient sur sa décision», et ce, «au moment où il le souhaite». Elle confirme que la demande s'est rendue rapidement au bureau du premier ministre.
L'ambassade américaine note que le 2 avril, la délégation canadienne menée par Stephen Harper était déjà à Strasbourg, en France, en prévision du sommet de l'OTAN du lendemain. «L'entourage du premier ministre et les fonctionnaires ont probablement travaillé toute la nuit pour tenter de trouver une réponse» à la demande américaine, écrit Terry Breese, qui ajoute: «Ça va probablement prendre une approche directe et personnelle au plus haut niveau pour faire le suivi à notre requête. Le statut minoritaire de son gouvernement et la possibilité d'élections dans les prochains mois vont probablement limiter les options du PM Harper.»
Le diplomate affirme que la demande américaine de prolonger la mission de combat en Afghanistan va «compliquer la position publique du premier ministre Harper». «Pendant et depuis la visite du président Obama à Ottawa le 19 février, le PM Harper a souvent répété que les États-Unis n'ont formulé aucune demande au Canada concernant l'Afghanistan. Comme Mme Morin l'a noté, Harper va devoir maintenant vivre avec les conséquences d'une demande précise des États-Unis», peut-on lire.
Or, même pendant le sommet de l'OTAN des 3 et 4 avril 2009, et dans les mois suivants, le gouvernement Harper n'a jamais confirmé avoir reçu une demande des États-Unis pour prolonger sa présence à Kandahar après 2011. Il faudra attendre le 29 mars 2010 — un an plus tard — et la visite à Ottawa de la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, pour savoir que Washington souhaitait que le Canada revoie sa décision.
Le gouvernement Harper a confirmé seulement à l'automne 2010 qu'il étudiait des options pour rester en Afghanistan après 2011, mais hors de Kandahar. En novembre 2010, le Canada a annoncé qu'il laisserait 950 militaires en Afghanistan après 2011, mais dans un rôle d'entraînement des forces afghanes à Kaboul.


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