Une commission pour la mafia et les gros bras de la construction?

Chronique de Louis Lapointe

Avant Noël, tout le monde parlait de l’industrie de la construction sous l’angle de la corruption et de la collusion, une perspective qui risquait d’éclabousser les entrepreneurs et les bureaux d’ingénieurs qui ont été nombreux à contribuer à la caisse du PLQ. Quelques mois plus tard, la donne a changé et la situation est maintenant favorable à Jean Charest pour qu'il ordonne une commission d'enquête sans que son gouvernement subisse trop d'inconvénients. Tous les indices sont là. Voyons pourquoi.
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Dans un billet que je signais en octobre 2009, Quand le béton craque, voici ce que j‘écrivais à ce sujet :
« Jean Charest voudra aussi bien circonscrire le mandat de cette commission afin d’éviter les inutiles dérapages inhérents à ce genre d’enquête, où de purs innocents sont parfois incriminés comme on l’a vu à la Commission Gomery. (…) Il voudra surtout éviter que des procès d’intention soient intentés contre des amis du PLQ qui auraient pu avoir des intérêts économiques à laisser perdurer la situation dans l’industrie de la construction. (…) Chose certaine, en politique, il faut savoir quand laisser la police décider de la pertinence d’une enquête, quand demander une enquête policière et surtout quand et comment bien organiser une commission d’enquête publique ! Et puis, Jean Charest sait d’expérience qu’il faut laisser les policiers et juges faire leur travail sans tenter de les influencer... Voilà pourquoi il prend tout son temps avant de nommer les bonnes personnes à la tête de cette commission !... »
Plus récemment, dans Des signes avant-coureurs d’une commission d’enquête, j’expliquais comment le gouvernement de Jean Charest allait circonscrire le mandat de cette commission :
« Je ne serais donc pas étonné que tout le temps gagné par Jean Charest cet automne ait probablement servi à préparer un semblable projet de loi qui sera certainement déposé dès la rentrée parlementaire en février 2010. Son objectif étant que lui et ses ministres n’aient pas l’air d’être incriminés à l’occasion de leur témoignage devant la commission. En plus d’un mandat extrêmement précis, contrairement à la commission Gomery, le ou les commissaires nommés par Jean Charest pourront donc compter sur une loi-cadre qui leur servira de garde-fous. (…) Une loi-cadre pour les commissaires qui protégera ses ministres et qui justifiera après le fait le temps qu’il a pris pour faire les choses correctement. Parions même que ce sera le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, qui en sera l’auteur. »
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Jean Charest a fait mieux que ça, il a laissé les médias imposer un nouvel ordre du jour qui serait maintenant favorable à son gouvernement. L’ennemi à abattre dans l'industrie de la construction ne serait plus la corruption et la collusion entre les entrepreneurs, les firmes d'ingénieurs et le PLQ, mais bien les gros bras qui intimident les travailleurs, les entrepreneurs qui les laissent faire et la mafia qui vend de la drogue sur les chantiers de construction. Une offensive médiatique qui a duré toute la semaine et dans laquelle l'opposition, ne voyant pas le piège qui lui était tendu, est embarquée les yeux fermés, réclamant à hauts cris une commission d'enquête sur l'industrie de la construction sur la foi des révélations qui ont fait la une des journaux et des bulletins de nouvelles ces derniers jours.
Tout d'abord, Radio-Canada qui fait ses choux gras au sujet de la violence qui règne sur les chantiers de la Côte-Nord contrôlés par la FTQ-construction. Marcel Blanchet, le directeur général des élections, qui trouve exagéré de surveiller les entreprises pour éviter qu'elles contournent les règles de financement des partis politiques. Patrick Lagacé, chroniqueur à La Presse, qui rappelle cette histoire d’un groupe d’hommes d’affaires italien qui demande des excuses à la SRC à la suite de la diffusion d’un sketch de RBO au "Tout le monde en parle" de fin d’année qui faisait un lien entre les Italiens et la corruption dans l’industrie de la construction. La SQ qui débarque chez Catania à Brossard pour y effectuer une perquisition. Sur les ondes de la radio de Radio-Canada, à l'émission de Christiane Charette, Jean Cournoyer, ancien ministre du Travail sous Robert Bourassa, qui spine et propose la tutelle des mauvais syndicats. Puis, Jean Charest qui déclare prendre au sérieux les allégations d'intimidations contre des travailleurs des chantiers de construction de la Côte-Nord et, enfin, le chroniqueur de La Presse spécialisé dans les affaires judiciaires, Yves Boisvert, qui écrit dans son papier de ce matin que "ça sent la commission" à cause des accusations de fraude portées contre l'ancien directeur général de la FTQ-construction, du travail au noir dans l'industrie de la construction et de l'intimidation qui règne sur les chantiers.
Quelle belle diversion! Jean Charest a maintenant les boucs émissaires rêvés pour déclencher une commission d’enquête sur l’industrie de la construction et bien circonscrire son mandat: la mafia et les gros bras de la FTQ-construction. Qui seront les acteurs pour faire le spectacle? En 1974 nous avions eu droit au juge Robert Cliche, à Bryan Mulroney, Guy Chevrette, Lucien Bouchard et Bernard Roy. Cette fois-ci encore, la commission devrait être présidée par un juge de la Cour du Québec, probablement une femme, elle sera appuyée de deux assesseurs d’expérience, un avocat indépendant qui a l’expérience des commissions et un représentant du milieu syndical. Le procureur principal devrait être un criminaliste chevronné qui a une forte expérience des commissions d’enquête.
Si Lucien Bouchard attendait les conditions gagnantes, Jean Charest parlerait plutôt d'angle approprié. Oubliez donc les présomptions de liens occultes entre les entrepreneurs, les firmes d’ingénieurs et le PLQ, ce seront encore les gros bras et la mafia qui vont faire le show cette année.
Gageons qu'on va parler un peu moins de la caisse électorale du PLQ, du salaire supplémentaire de Jean Charest et des urgences qui débordent et un peu plus des syndicats, de la mafia et des entrepreneurs qui ont des noms à consonance italienne dans les journaux et à la télévision au cours des prochains mois! Tant qu'à y être, pourquoi pas quelques bons vieux films ou séries sur la mafia pour nous mettre dans l'ambiance. Sortez votre pop-corn!

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 avril 2010

    Commissions d’enquête publiques réclamées sur les pertes de la CDPQ ou la construction à Montréal, il faudrait ajouter plus récemment les faramineux contrats liés à l’informatique sans oublier le sort réservé à ses propres fonctionnaires approchant l’âge de la retraite; cela peu importe leurs baguages de connaissances. Quel gaspillage de fonds publics!
    Que ces dernières soient capables de mettre le pays sur la carte, n’a aucune importance.
    Le ministre Béchard peut bien en avoir développé un cancer, d’être tombé parmi une bande d’incompétents ou de sans vision.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 mars 2010

    D'accord avec vous M. Lapointe.
    Charest a trouvé une porte de sortie. Il cherchait et cherchait depuis plusieurs mois. Il doit se frotter les mains tel un ponce pilate. D'ailleurs, il a déjà commencé à hausser le ton...
    Il est en train de vendre le Québec... Il donne même l'électricité à ses amis amerloches.
    Je me demande ce qu'il pense de lui lorsqu'il se regarde dans le miroir le matin et quand il regarde Michou et ses enfants...
    Mais que faut-il aux Québécois pour qu'ils voient clair ?...
    Enfin!

  • Archives de Vigile Répondre

    13 mars 2010

    Cette analyse est tout à fait juste. Les sujets autorisés par l'État Desmarais feront l'objet de l'éventuelle commission d'enquête.
    Power Corporation a des comptes à régler avec la FTQ et se sert notamment d'Alain Gravel et de Radio-Canada pour ce faire. Power Corporation n'aime pas, entre autres, que la FTQ rappelle aux Desmarais qu'ils se sont enrichis d'un milliard de dollars en revendant la poule aux oeufs d'or que fut la Consolidated Bathurst, largement subventionnée avec l'argent des contribuables québécois, et qu'ils sont allés investir tout cet argent en Europe et en Asie. (Voir le chapitre 10 du livre de Robin Philpot, Derrière l'État Desmarais: Power.)
    Merci, Louis.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mars 2010

    En lien avec votre hypothèse. La sortie de P M Johnson dans Le Devoir.
    Il nous dis que s'il y a une commission elle devra être bien circonscrite; jurisprudence à l'appui:
    http://www.ledevoir.com/politique/quebec/278769/une-commission-d-enquete-ca-peut-etre-tres-utile-dit-johnson
    .............
    Mon commentaire en bas de page:
    lundi 7 décembre 2009 09h22
    Les limites de l'enquêt publique.
    P.M. Johnson est le "souverainiste" de service que l'on sort pour controle les dommages. Il nous donne ici un indices de ce qui s'en vient: Cèdant à la demande populaire Charest consent à une enquête. sauf qu'elle sera limité à la grandeur d'un grade robe (jurisprudence oblige). Donc une stratégie pour détourner la vague de mécontentement vers un "side show" pendant que le Grand Inca Charest va quitter pour laisser la place le temps pour le PLQ de se refaire une virginité.
    La réalité est simple: Charest a ouvert les portes à de puissants réseaux d'amis qui squattent notre État à leurs profits et au détriment du bien publique. Quand il aura quitter le pouvoir il nous aura couter des dizaine de milliards. Mais ce n'es pas assez pour faire réagir nos "élites" .
    Non ne comptez sur les P M Johnson, ni sur Lucien Bouchard pour se porter résolument à la défense des intérêts supérieurs du Québec (on l'a bien sur la demande d'enquête sur les pertes de la Caisse).
    ...................
    JCPomerleau