Lalande songe à poursuivre Bastarache

Commission Bastarache


Québec — Une quatrième poursuite judiciaire pourrait s'ajouter dans les dossiers Bastarache et Bellemare: l'ancien sous-ministre associé à la Justice Georges Lalande songe à traîner le commissaire Bastarache devant la justice. Ancien député libéral (1979 à 1981) et haut fonctionnaire à la retraite, M. Lalande a été le seul témoin — parmi la soixantaine qui ont défilé devant la commission — à corroborer la thèse de l'ex-ministre de la Justice Marc Bellemare au sujet des pressions de collecteurs de fonds libéraux dans le processus de nomination des juges.
M. Lalande pourrait ainsi demander aux tribunaux d'annuler les parties du rapport de l'ex-juge et «pourquoi pas tout son rapport qui à l'évidence est un [document] de complaisance ne visant qu'à discréditer les dires de Me Bellemare et les témoins qui ont eu l'outrecuidance de corroborer certaines de ses affirmations», a-t-il confié au Devoir hier.
M. Lalande estime que, dans les lignes qu'il lui a consacrées, l'ex-juge a commis plusieurs erreurs. «M. Bastarache s'autorise, à partir de faits carrément faux ou fallacieux, à mettre de côté mon témoignage et mes écrits tous valablement faits», soutient M. Lalande. Il se demande s'il s'agit d'un «manque de rigueur alarmant» ou bien «d'une intention volontaire de masquer ou d'interpréter des faits de façon à favoriser une partie par rapport à l'autre?» Il qualifie le résultat de «triste, mais aussi malicieux puisque cela porte atteinte à [sa] réputation», ce sur quoi un juge pourrait se pencher.
Prépondérance à l'écrit?
Premièrement, le commissaire affirme dans son rapport que les notes que l'ancien fonctionnaire a produites devant la commission — sur des autocollants de type post-it — «ne satisfont pas aux règles de fiabilité applicables». Pourtant, plaide M. Lalande, celles-ci ont été consignées directement dans son agenda personnel. Contemporaines aux événements, ces notes ont de plus été confirmées en grande partie par l'argentier libéral Franco Fava lui-même, soutient M. Lalande. De plus, «y a-t-il eu une seule note écrite déposée en preuve durant les audiences qui vienne contredire ou infirmer mes dires? La réponse est non. Alors pourquoi le commissaire donne-t-il plus de poids aux négations verbales de Fava? [...] Qu'en est-il de la prépondérance aux notes écrites?», un des principes que dit suivre M. Bastarache.
Deuxièmement, l'ex-juge écrit dans son rapport qu'il est «difficile de comprendre pourquoi Me Lalande aurait épuré ses agendas en 2004 en ne gardant principalement que les autocollants portant sur les questions qui relèvent du mandat de la commission». La phrase pique au vif M. Lalande, puisqu'elle «insinue» qu'il aurait pu «inventer des notes». La commission aurait pu constater elle-même, dans les agendas qu'elle lui a «confisqués» en août et qu'elle lui a remis le 20 janvier, que tout cela est faux. Sur 18 autocollants seulement 6 contiennent des notes pouvant être reliées à la commission, certifie M. Lalande: «Ou bien M. Bastarache n'a pas consulté mes agendas, qu'il avait pourtant en sa possession, ou bien il est incapable de compter jusqu'à 18! Mais, dans tous les cas, il commet une faute lourde.»
Landry et Rondeau
La troisième erreur du commissaire Bastarache, aux yeux de M. Lalande, a trait à la nomination de Guy Gagnon comme juge en chef à la Cour du Québec. M. Lalande soutient que Franco Fava lui a mentionné cette possibilité à l'été, «avant même que le nom de ce dernier n'ait été considéré par Me Bellemare», selon ce que M. Bastarache conclut dans son rapport. M. Lalande s'interroge: «Où était le commissaire quand il était mis en preuve devant la commission que Fava et Rondeau rencontraient régulièrement Mme Chantal Landry pour décider et aligner les nominations à venir? N'est-il pas apparu évident et logique au commissaire que cette façon de faire faisait partie du processus établi par le Bureau du premier ministre et que les nominations étaient décidées au moins quelque temps avant que le ministre n'en soit saisi?»
Par ailleurs, M. Lalande trouve inconcevable que le commissaire ne lui ait pas posé une seule question au sujet des tensions au ministère en 2003-2004: «Il a laissé l'ancien chef de cabinet [de Marc Bellemare] Michel Gagnon et l'ancien attaché de presse Jacques Tétreault s'épancher sur la situation alors que, moi, j'y étais aussi. J'étais sous-ministre associé à la Direction générale des services à l'organisation; autrement dit, j'étais aux ressources humaines!» Bien sûr, le ministère traversait une période difficile, admet-il, mais celle-ci était aussi due à la réingénierie de l'État, que les libéraux nouvellement arrivés au pouvoir avaient lancée. «Bellemare a son caractère, mais on a essayé de le faire passer pour un débile. Pourquoi le commissaire a-t-il laissé toute la preuve se faire dans ce sens? Pourquoi a-t-il refusé de me poser des questions sur ce sujet, pour lequel j'étais un des principaux témoins?»
M. Lalande souligne enfin que l'avocate du gouvernement, Suzanne Côté, qui aurait normalement dû le représenter (puisqu'il était un ancien haut fonctionnaire), lui a rapidement fait comprendre qu'étant donné la position qu'il allait adopter, il valait mieux qu'il trouve son propre avocat. «Cela me porte à penser que tout cela était téléguidé dès le début», conclut Georges Lalande.
Avant de déposer toute requête contre M. Bastarache, l'ancien haut fonctionnaire attendra de témoigner dans le cadre des poursuites réciproques en diffamation de MM. Bellemare et Charest. Rappelons que l'ancien premier ministre Jean Chrétien et son bras droit Jean Pelletier avaient réussi, en 2008, à faire invalider par la cour fédérale des parties du rapport Gomery dans lesquels les deux hommes étaient blâmés sévèrement pour scandale des commandites. Le jugement a été confirmé en appel en 2010.


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