Donc, il y eut en effet un dénouement ultra prévisible à la commission Bastarache...
(Cette commission créée l'an dernier par Jean Charest suite aux allégations de Me Marc Bellemare à l'effet qu'il aurait subi une influence indue et colossale des argentiers libéraux Franco Fava et Charles Rondeau dans la nomination de trois juges alors qu'il était ministre de la Justice en 2003. Plus important encore, cette «influence», selon Me Bellemare, aurait été avalisée par le premier ministre en tête à tête avec lui lors de rencontres privées.
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L'ex-juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, a donc blanchi M. Charest tout en minant la crédibilité de Me Bellemare. La chose, avouons-le - et on le dit depuis des mois -, était écrite dans le ciel.
Le commissaire a également formulé près de 50 recommandations pour rendre le système de nomination des juges moins «perméable» à des «risques» d'influences indues.
Les optimistes croiront sûrement qu'il se vendra moins de post-its rouges à Québec dans les prochains mois...
Bon. Ça, c'est pour le côté juridique du rapport. Je le laisserai donc aux nombreux avocats, juristes, professeurs de droit et autres spécialistes en la matière qui, de toute évidence, se délectent de voir que l'on porte ainsi autant d'attention à la magistrature québécoise. Certes pas une vilaine chose en soi.
Mais dans le fond, ce rapport, il est très politique. Normal. La commande à l'origine de sa création l'était.
Trancher sans trancher
Le commissaire précise ceci de très important: «j'estime que mon mandat n'est pas de décider quels témoignages sont véridiques. À mon avis, le portrait général des événements fournira le meilleur indice pour établir les faits.»
Or, s'il a en effet refusé de «blâmer» Jean Charest ou Marc Bellemare dans cette histoire, il répète à plusieurs reprises avoir jugé le détail des allégations de Me Bellemare non fondées pour raison d'absence de preuve «claire et convaincante»
Au-delà des arguties juridiques habituelles, en termes politiques, c'est surtout là une manière fort élégante de dire qu'on ne croit pas quelqu'un... Ou, si vous préférez, qu'il ne dit pas la vérité.
Pour arriver à cette conclusion, Me Bastarache dit avoir accordé une importance toute particulière aux preuves documentaires et testimoniales. Notez par contre qu'il indique du même souffle avoir «accordé une grande valeur probante aux notes prises par les fonctionnaires, sous-ministres et autres employés des ministères».
À l'opposé, il dit avoir jugé que le «carton» de Me Bellemare, de même que les autocollants rédigés par Me Georges Lalande - par hasard le seul témoin ayant corroboré les dires de l'ex-ministre de la Justice - ne satisfont pas au «critère de fiabilité».
Lorsqu'il est question de cette fameuse rencontre du 2 septembre 2003 entre Me Bellemare et Jean Charest au bureau du PM à Québec (Me Bellemare allègue que ce dernier lui aurait dit de «nommer» comme juges ceux que le collecteurs de fonds Franco Fava lui avait dit de nommer, mais M. Charest nie qu'elle ait eu lieu), on apprend quelque chose de proprement étonnant.
Alors que l'agenda du PM ne fait aucune mention de cette rencontre (le commissaire semble ignorer que plusieurs versions des ces agendas sont produites quotidiennement par tout bureau de PM), on apprend donc que dans l'agenda de Me Bellemare (sur disquette et retrouvé in extremis par son épouse), il est bel et bien inscrit «19H30 - BUREAU DU PM QUÉBEC». Et que cette vieille disquette fut bel et bien authentifiée par un expert.
Me Bastarache conclue néanmoins que la «preuve est entièrement contradictoire» quant à savoir si cette rencontre aurait eu lieu ou non.
Qu'à cela ne tienne, le commissaire «considère qu'il n'est pas nécessaire que je me prononce sur l'existence de la rencontre du 2 septembre 2003 ou sur la nature des propos qui auraient été tenus par le premier ministre».
Et, il considère cela parce que, selon lui, «l'ensemble de la preuve documentaire et testimoniale n'appuie pas le prétention de Me Bellemare quant aux pressions qu'il aurait subies de la part de tierces personnes liées au financement du Parti libéral du Québec pour la nomination de certains juges.»
Bref, du moment où le commissaire juge les allégations de Me Bellemare non fondées, tout le reste, incluant à savoir si le PM disait ou non la vérité sur la tenue même de cette rencontre du 2 sept. 2003 - ce qui n'est tout de même pas un détail -, prend le bord.
En d'autres termes, Me Bastarache a «blanchi» M. Charest tout en refusant à Me Bellemare la moindre parcelle de vraisemblance.
Ce qui, on en conviendra, risque de ne faire aucun bien à Me Bellemare dans le cadre de la poursuite en diffamation de 700 000$ intentée contre lui par M. Charest, suivie de la contre-poursuite de 900 000$ de Me Bellemare contre M. Charest.
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Un combat très personnel
Ce qui nous amène à un problème politique majeur dans toute cette saga: la confusion des genres. Ou, si vous préférez, l'apparence d'un conflit d'intérêts - d'intérêts politiques.
Je m'explique. Le 14 avril dernier, le jour de la création de la commission par Jean Charest, un ver s'introduisait dans cette pomme.
Voir: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/09/03/affaire-bellemare-charest-le-ver-dans-la-pomme.aspx
Ce ver, c'était la décision du PM d'intenter en même temps une poursuite en diffamation contre Me Bellemare.
Voici ce que j'en écrivais le 3 septembre dernier:«De fait, le problème ici pour M. Charest, comme je l'expliquais la semaine dernière à l'émission C'est bien meilleur le matin, est le suivant: poursuivre Me Bellemare tout en instituant la Commission Bastarache introduisait un dangereux ver dans la pomme de toute cette saga en plaçant le premier ministre dans une situation de conflit potentiel d'intérêts.
Sans présumer de «qui dit vrai», politiquement, M. Charest se devait plutôt de choisir entre les deux.
Ou bien, en tant que particulier, il poursuivait en diffamation Me Bellemare. Ou bien, en tant que premier ministre, il créait une commission chargée d'enquêter les allégations de son ancien ministre de la Justice. Et il le faisait, comme on dit, pour «aller au fond des choses» et donc, sans présumer lui-même de «qui dit vrai».
Mais la pire décision était de faire les deux à la fois. Pourquoi?
Parce que si M. Charest, le citoyen, estimait que les allégations de Me Bellemare étaient fausses, il n'avait qu'à poursuivre ce dernier. Mais le faire, point à la ligne.
Or, le ver dans la pomme ressemble fort à ceci: le premier ministre usant des fonds publics pour tenir une commission chargée d'«enquêter» des propos qu'il jure être faux dans sa propre poursuite contre celui qui les a tenus - Me Bellemare.
Ce qui, on ne s'en sort pas, à tort ou à raison, créé l'impression d'un premier ministre se servant de fonds publics pour «laver» sa réputation en plus de sa propre poursuite en diffamation.»
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«Deux instances distinctes»?
Dans son rapport, Me Bastarache prend néanmoins la peine d'avancer que «la Commission et l'action judiciaire intentée par Jean Charest sont deux instances distinctes.»
Peut-être. Techniquement.
Mais à la lumière des propos tenus par le premier ministre en réaction à la sortie du rapport, il est permis d'en douter. Pourquoi?
Primo: parce que M. Charest a tenu Me Bellemare entièrement responsable de la création et des coûts élevés encourus par la commission Bastarache. Et ce, même s'il a pris la décision lui-même de créer une commission que d'aucuns ont vu comme une diversion à la commission d'enquête élargie qu'il se refuse d'instituer depuis presque deux ans.
Secundo: parce qu'il a fortement insisté sur l'impact que les allégations de Me Bellemare auraient eu, en tout premier lieu, sur sa vie «personnelle». Une déclaration surprenante de la part d'un chef de gouvernement. Surprenante de par son côté, justement, très personnalisé.
D'ailleurs, c'est après avoir confirmé que sa poursuite contre Me Bellemare allait procéder devant les tribunaux que M. Charest déclarait ceci en réaction au rapport:
«Cependant, l'année 2010 aura été marquée par les accusations de Monsieur Bellemare, et je vous dirai franchement que ça été une des années les plus difficiles de ma vie sur le plan personnel. (...) Je fais un constat. Les allégations et le traitement médiatique qui en a été fait m'ont causé des torts considérables, ainsi qu'au Parti libéral du Québec, ainsi qu'au gouvernement et à la magistrature. Des torts qui vont mettre du temps à être réparés.»
À noter: dans sa nomenclature des «victimes» de ces «torts» présumés, M. Charest place ici sa personne («m'ont causé des torts considérables») avant même le PLQ, le gouvernement et la magistrature.
On dirait presque une déclaration faite sur mesure pour épouser les formes d'une poursuite en diffamation déjà intentée...
Bref, au-delà d'un discours de «victimisation» tout aussi surprenant de la part d'un premier ministre, on revient inexorablement au ver dans la pomme.
Car même cette réaction du PM continue de créer l'impression, à tort ou à raison, que politiquement, cette commission aura essentiellement servi à «laver» la réputation de M. Charest entachée par les allégations de Me Bellemare.
Que Me Bastarache ait été choisi sur un simple coup de fil de l'ex-ministre Jacques Dupuis; que son mandat ait été rédigé par le gouvernement; qu'il ait été nommé lui-même à la Cour suprême sous les critiques portant sur ses liens rapprochés avec le PLC; que pendant les audiences, il ait été souvent très, très impatient avec les procureurs de Me Bellemare - eh bien, tout cela ne fait rien pour dissiper cette impression.
Difficile, en effet, pendant ces audiences, de ne pas avoir aperçu le jupon politique de Me Bastarache dépasser de sa toge virtuelle. Et ce, à plusieurs reprises.
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L'impact politique
Il reste à voir. Mais il est peu probable que ce rapport redonne au PM et son gouvernement, les appuis qu'ils ont perdus depuis plus d'un an.
D'autant plus que M. Charest continue de refuser la création de LA vraie commission d'enquête demandée par une majorité massive de Québécois depuis le printemps 2009.
Soit celle sur le 5 «C»: corruption, collusion, construction, collecte de fonds des partis politiques et copinage.
D'ailleurs, il n'y a pas une semaine qui passe sans de nouveaux reportages et de nouvelles allégations sur un ou plusieurs de ces «C» - un véritable feu roulant.
Et, d'autant plus que les audiences de la Commission ont permis aux Québécois d'apprendre comment se fabriquait la saucisse partisane au bureau même du premier ministre, là où sa dorénavant légendaire adjointe Chantal Landry, accompagnée du collecteur de fonds Charles Rondeau, passait des heures et des heures à monter des banques de candidats de la «bonne» couleur politique pour combler un nombre impressionnant de postes au gouvernement, les sociétés d'État et une brochette de conseils d'administration...
Ce qui leur aura aussi permis d'apprendre que leur premier ministre se sentait tout à fait «à l'aise» avec ce type de modus operandi.
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En conclusion
Terminons sur un autre aspect particulièrement étrange de cette saga.
Soit le fait par ailleurs étonnant qu'un ex-juge de la Cour suprême soit responsable de faire des recommandations dans le but de modifier le processus de sélection et de nomination de juges relevant de la juridiction du Québec.
Un peu plus et on entendrait le son des premiers ministres du Québec décédés, tous partis et options constitutionnelles confondus, se retourner en choeur dans leurs tombes.
Pourtant, comme je l'écrivais plus tôt cette semaine, une commission parlementaire ou un comité d'experts aurait très bien pu faire ce travail. Et à bien moindre coût que ces 5 millions de dollars.
Il faut donc croire que de modifier le processus de nomination des juges n'était peut-être pas tout à fait la motivation principale derrière la création de cette commission.
À la fin de sa présentation, Me Bastarache a laissé tomber cette réplique: «La suite appartient à la classe politique».
Pourtant, la genèse de sa propre commission en est venue... puisqu'elle fut décidée et encadrée de près par le gouvernement lui-même...
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@ Pour consulter le rapport et son sommaire: http://www.cepnj.gouv.qc.ca/rapport.html
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