MOTION SUR LA NATION

Une avancée plus politique que juridique

La nation québécoise vue du Québec


La motion sur la « nation » québécoise adoptée hier aux Communes n'aura aucun impact juridique, prédisent unanimement les constitutionnalistes. Elle représente toutefois une avancée pour le Québec de l'avis des politologues.
Pour Andrée Lajoie, professeure de droit spécialisée dans le domaine constitutionnel à l'Université de Montréal, la motion adoptée hier « n'a aucun impact juridique. Les avocats peuvent l'utiliser pour plaider, mais cela n'a aucune force contraignante. C'est uniquement symbolique. »
En Cour suprême, un procureur du Québec pourra mettre la reconnaissance du Québec comme « nation » dans ses arguments, « mais de là à dire que cela a du poids, c'est une autre question, les juges ne seront pas tenus d'en tenir compte », a précisé Me Lajoie, qui avait été choisie comme spécialiste constitutionnelle lors de la commission Bélanger-Campeau après le naufrage du Lac Meech.
« Cela n'a aucune valeur juridique. Tout dépendra ce qu'en feront les acteurs politiques. L'avenir seulement dira si ce moment, cette résolution, aura été à l'origine de pratiques politiques structurantes pour le fonctionnement des institutions », observe Ghislain Otis, constitutionnaliste de Laval.
Après sa courte victoire référendaire en 1995, le gouvernement Chrétien avait adopté une motion semblable aux Communes pour reconnaître alors que le Québec constituait une « société distincte ». Or, soulignent Henri Brun de l'Université Laval et Gérald Beaudoin d'Ottawa, l'adoption de cette résolution n'a jamais été même évoquée pour servir les arguments du Québec devant les tribunaux.
Sénateur à la retraite, le constitutionnaliste Beaudoin souligne que cette résolution « a une certaine force politique » surtout parce qu'elle obtient l'appui d'un large consensus aux Communes. « Cela n'est pas neutre... cette résolution est pour moi une très bonne chose, elle vient prolonger l'Acte de Québec (1774) qui reconnaissait le droit civil d'origine française pour une province pas comme les autres », observe M. Beaudoin.
Les conséquences juridiques sont infimes toutefois. La reconnaissance de la « nation » ne fait pas partie d'une loi, elle est encore moins intégrée à la Constitution comme l'était la « société distincte », prévue dans l'entente du Lac Meech, rappelle l'ancien professeur d'Ottawa.
Pour Henri Brun, professeur de droit constitutionnel à Laval, cette résolution est « globalement un plus pour le Québec », mais elle reste « essentiellement symbolique ». « Il n'y a rien de sensationnel là dedans. Il n'y a pas de rupture... Il y a là un geste politique qui est posé... mais qui n'est pas juridique », résume M. Brun, contredisant le premier ministre Charest qui avait prédit des conséquences juridiques au geste des Communes. Dans l'éventualité de la souveraineté du Québec, ce texte « ne pourra avoir de conséquences négatives » pour la reconnaissance internationale du Québec, « c'est peu mais ce n'est pas rien », dira l'universitaire proche de la mouvance souverainiste.
Utiliser le mot « nation » est pour le Québec « plus intéressant que les formules comme société distincte ou culture unique ». Mais « c'est un acte politique qui ne lie personne juridiquement. Il y a pas un juge ou une cour qui va décider en fonction de cette reconnaissance » selon lui. Rien n'empêcherait toutefois un tribunal de relever cette indication des élus, pour s'en inspirer.
Pour M. Brun la différence apparente entre les versions française et anglaise n'aura pas d'impact réel. En anglais comme en français on dit que les « Québécois » forment une nation. En anglais, cette désignation pourrait limiter aux seuls Québécois de souche, l'appartenance à la nation.
Chez les politologues en revanche, on voit davantage de conséquences au texte adopté hier aux Communes. « La Cour suprême dans la référence sur la sécession, a amassé une série de déclarations faites par les premiers ministres. Cette motion pourrait alimenter aussi leur réflexion », observe le politologue de Sherbrooke, Jean-Herman Guay.
« L'impact est dans la sphère symbolique, mais c'est aussi important. Le naufrage de Meech a eu une résonance symbolique importante », illustre-t-il. Le camp souverainiste « n'avait pas le choix de cautionner la motion. Autrement ils auraient eu l'air de favoriser l'idéologie plutôt que les intérêts du Québec », observe M. Guay. Stephen Harper et le gouvernement conservateur « peuvent y gagner en disant tout haut ce que tout le monde sait depuis des années ».
« M. Harper vient de l'aile la plus hostile à toute volonté de spécificité du Québec. Son geste peut déclencher une nouvelle quête du Québec pour plus de pouvoir, il aura mis le bras dans le tordeur », résume le spécialiste. « Pour M. Harper, il s'agit d'un cheminement très important », renchérit Guy Laforêt de l'Université Laval. Cette résolution reste « un progrès modeste » surtout quand on considère les limites que comporte l'expression « Québécois » dans la version anglaise - ce qui donne une connotation ethnique.
Pour M. Laforêt, le Québec ne pourra faire l'économie d'un travail d'auto-reconnaissance, par la rédaction d'une Constitution interne. Dans l'entente de Meech, la clause de la société distincte était « interprétative » et devait éclairer l'interprétation de la Charte, avec la motion sur la nation, « on est dans un autre univers » souligne l'ancien président de l'Action démocratique du Québec.
Pour l'avocat de l'École nationale d'administration publique (ENAP), Christian Dufour, cette reconnaissance du Québec comme nation « est clairement positive pour le Canada qui accepte davantage la réalité de ce qu'il est ». C'est aussi un plus pour le Québec qui souffre « d'un profond et malsain déficit de reconnaissance de son expérience historique au pays ». « Les souverainistes auraient pu avoir une vraie victoire, mais désarçonnés, ils ont l'air de sauver les meubles maintenant. »
Pour lui cette reconnaissance comme nation, « n'a rien d'incompatible avec le fait que le Québec constitue une société distincte au sein du Canada ». N'en déplaise à Gilles Duceppe, « l'un complète l'autre » souligne M. Dufour.


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