Gaz de schiste

Un test pour l'indépendance du BAPE

Gaz de schiste


Collectif de spécialistes en consultation du public - Sitôt que le mandat d'audiences publiques sur le dossier des gaz de schiste a été donné au BAPE (Bureau d'audiences publiques sur l'environnement), nombreuses ont été les dénonciations des limites de ce mandat. En restreignant la portée et surtout la durée du mandat d'enquête et d'audiences publiques sur les gaz de schiste, et sans la production préalable d'une évaluation environnementale, le gouvernement a contribué à accentuer une crise sociale bien enclenchée et à mobiliser davantage les citoyens des régions concernées.
Ce mandat impose des contraintes telles que le BAPE ne dispose ni du temps ni des ressources nécessaires pour susciter le débat public rigoureux et crédible requis afin de répondre aux questions et aux craintes exprimées concernant le développement de cette filière gazière en territoire québécois.
Pour une véritable consultation
Depuis sa création en 1978, le BAPE a développé des approches et des procédures de consultation qui sont devenues des références pour établir la qualité de tout mécanisme de participation du public. Ces règles de base sont enchâssées dans le règlement de procédures du BAPE et dans le Code de déontologie des commissaires. Ces règles définissent les conditions à mettre en place pour garantir la crédibilité de la démarche et une participation éclairée des citoyens. Elles portent notamment sur:
- l'accès pour les participants à une information complète, accessible et rigoureuse, y compris à des études environnementales, vérifiées et validées au besoin par l'enquête de la commission;
- la possibilité pour les participants de questionner les promoteurs et responsables des dossiers soumis à la consultation, renforcée par la responsabilité pour la commission d'obtenir les réponses aux questions;
- le recours à des experts indépendants pour permettre aux participants de vérifier la valeur des affirmations et des données scientifiques apportées par les experts des promoteurs;
- des délais suffisants accordés aux participants pour s'approprier toute l'information sur le dossier examiné et pour préparer la position à présenter à la commission;
- la possibilité pour tous les citoyens et organismes de toutes les régions de poser leurs questions et d'exprimer leurs opinions devant l'ensemble des participants et en des lieux facilement accessibles;
- le devoir pour la commission d'écouter et d'analyser tous les points de vue exprimés;
- l'accès aux séances publiques pour toutes les personnes intéressées au dossier examiné, par le choix des lieux de tenue des séances ou par le recours aux technologies de communication qui rejoignent l'ensemble de la population.
À moins d'élargir et de prolonger le mandat, le gouvernement rend très difficile pour le BAPE le respect de ces conditions d'une «véritable» consultation. Avec un mandat de cinq mois, sans disposer d'aucune étude indépendante ou évaluation préalable pouvant servir à informer les participants et à questionner les promoteurs, et avec l'obligation de proposer un cadre de développement, ainsi qu'un encadrement légal et réglementaire de la filière des gaz de schiste sans en remettre en question la justification, le BAPE peut-il raisonnablement s'acquitter de ce mandat? Certainement pas dans les délais accordés.
Rétablir la confiance
En utilisant au maximum les pouvoirs qui lui sont attribués par la loi constitutive du BAPE, la commission a la possibilité, sinon le devoir, de faire une interprétation large du mandat, ce qui va de soi en prenant en considération les principes et les approches du développement durable mentionnés dans le mandat et désormais intégrés de façon obligatoire dans les activités des organismes gouvernementaux par la Loi québécoise sur le développement durable. Ainsi, la commission aura à examiner non seulement la protection de l'environnement, la santé et la sécurité des populations et l'acceptation sociale pour les communautés comme suggéré par son mandat actuel, mais aussi d'autres éléments du débat comme la gouvernance et les dimensions économiques du développement de cette nouvelle filière gazière.
En ce qui concerne la disponibilité et l'accès à une information rigoureuse et crédible, la commission a aussi le pouvoir de constituer elle-même avec les experts requis ou de faire produire par les organismes compétents les études et les évaluations essentielles pour permettre aux participants de bien connaître les divers aspects du dossier examiné et de préparer une position en connaissance de cause.
Évidemment, cette étape requiert du temps. De plus, pour s'assurer de la rigueur des documents soumis à la consultation et de la confiance du public au processus d'examen public, la commission devra scruter attentivement et faire valider par des experts indépendants les documents remis par les promoteurs de la filière et obtenir d'eux qu'ils cessent leurs activités d'information et de promotion, laissant au BAPE l'initiative exclusive de l'information du public.
Quant à la procédure de consultation à mettre en place, la commission a toute la latitude pour décider du mécanisme le plus apte et des lieux les plus appropriés à la participation des intervenants concernés, à un débat serein et fructueux entre les différents acteurs, de même qu'à la recherche des solutions les plus consensuelles pour répondre aux préoccupations et attentes des participants. Dans un dossier similaire, celui des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent, les démarches d'évaluation ont commencé en 2004 avec une expertise scientifique et une audience du BAPE. Une évaluation environnementale stratégique est en cours et devrait être complétée fin 2011.
Le BAPE sous surveillance
Au cours des dernières années, à l'occasion de mandats d'importance, le BAPE a fait l'objet de sérieuses critiques d'ordre méthodologique et éthique portant sur les travaux et les rapports de certaines commissions. Ce fut le cas pour les audiences publiques portant sur le projet hydroélectrique d'Hydro-Québec de la rivière La Romaine sur la Côte-Nord, ainsi que pour les rapports des commissions ayant tenu les audiences publiques sur le projet d'autoroute 30 en Montérégie, sur celui du port méthanier Rabaska à Lévis et sur le projet éolien dans la MRC de L'Érable dans la région des Appalaches.
En donnant au BAPE de façon précipitée et improvisée un mandat trop restreint et trop court, le gouvernement expose davantage le BAPE aux critiques des acteurs concernés, qui craignent maintenant une perte d'indépendance du BAPE ou tout au moins une complaisance des commissions dans leurs avis sur les projets soutenus, sinon déjà décidés, par le gouvernement.
En limitant la possibilité pour le BAPE de faire une évaluation rigoureuse des enjeux de l'exploitation des gaz de schiste, et éventuellement de l'ensemble des activités de mise en valeur des hydrocarbures en sol québécois, le gouvernement risque de compromettre la crédibilité de l'organisme et sa capacité à mettre en place des consultations publiques crédibles et impartiales.
La commission qui examinera le dossier des gaz de schiste au Québec est désormais sous surveillance. Pour les citoyens et les organismes participant de bonne foi aux audiences publiques du BAPE, ce mandat constitue un test de l'indépendance, de la rigueur et de l'intégrité des commissions, même dans les cas où les autorités gouvernementales ont déjà exprimé leurs positions dans les dossiers. Désormais, la responsabilité de remettre sur les rails le débat public sur les gaz de schiste, et probablement sur l'ensemble des filières d'hydrocarbures au Québec, appartient aux dirigeants du BAPE et à la commission.
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Ont signé ce texte: Jean Baril (Centre du droit de l'environnement et auteur du livre Le BAPE devant les citoyens), Marie Beaubien (conseillère en communication et affaires publiques), André Beauchamp (conseiller en éthique et ex-président du BAPE), Michel Bélanger (Centre du droit de l'environnement et ex-commissaire additionnel au BAPE), Laurence Bhérer (professeur en sciences politiques à l'Université de Montréal), André Delisle (conseiller en participation du public et ex-vice-président du BAPE), Michel Gariépy (professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal et ex-commissaire additionnel au BAPE), Mario Gauthier (professeur et chercheur à l'Université du Québec en Outaouais), Luc Ouimet (Centre de consultation et concertation et ex-commissaire au BAPE), Louis Simard (professeur d'études politiques à l'Université d'Ottawa), André Thibault (professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières et ex-commissaire additionnel au BAPE)


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