Lucien Bouchard est dans la merde, et il le sait. Il fallait le voir en entrevue hier soir tenter de trouver le bon angle et le ton juste pour défendre une cause qu’il sait très mal engagée. Il est handicapé en partant par la pitoyable façon dont le dossier a été géré jusqu’ici, et par la découverte très rapide de l’information sur qui le paie. Tout le monde sait maintenant que Bouchard est l’homme de Talisman. Et ça limite singulièrement sa marge de manoeuvre.
Il tente de récupérer la mise en se présentant comme un médiateur, un négociateur, une fonction somme toute assez respectable alors que la situation dans laquelle il est placé va nécessairement ne faire de lui qu’un « peddleur » de bas étage. Pour un homme qui a une si haute opinion de lui-même, la déconvenue risque d’être brutale.
Ce dont il va rapidement se rendre compte, c’est qu’il ne s’agit pas tout simplement pour lui de vendre aux Québécois l’idée du développement de leurs richesses naturelles, il lui faut vendre l’idée que ces richesses vont être exploitées par des voleurs. Oh, il a bien dit que les entreprises allaient devoir accepter de payer de justes redevances et qu’il se ferait fort de les en convaincre, mais il s’est bien abstenu de parler de la façon par laquelle, et des conditions auxquelles, les entreprises du secteur du gaz et du pétrole ont obtenu les droits qu’elles détiennent.
Or, c’est justement là où le bât blesse. En effet, le gouvernement de Jean Charest a cédé pour une bouchée de pain les droits d’exploration sur le territoire québécois. Là ou la Colombie-Britannique a cédé ces mêmes droits pour de 1 000 à 10 000 $ l’hectare, le gouvernement Charest les a cédés, lui, pour 0,10 $ l’hectare, soit à un prix de 10 000 à 100 000 fois moindre.
Le scandale il est là, et Bouchard aura beau séduire, menacer, appâter, semoncer, cajoler, morigéner, flatter, ou tancer, il ne parviendra jamais à corriger ce premier faux pas qui vicie tout le reste de la démarche. Les Québécois se sont fait escroquer des centaines de millions, voire même quelques milliards. Grosso modo, le coût du stade olympique ! Ou pour prendre un exemple plus actuel, le coût du CHUM !
Bouchard n’est pas un imbécile, tant s’en faut. Alors comment peut-il prêter son prestige et l’autorité morale que les Québécois sont encore assez naïfs pour lui reconnaître à une cause aussi pourrie ? Ne se regarde-t-il pas dans un miroir, le matin ?
Vous croyez que j’exagère ? Hélas non. Regardez la suite. Dans l’entrevue qu’il donnait à Anne-Marie Dussault, cette dernière l’a questionné sur l’opportunité d’un moratoire en lui citant l’exemple de l’état de New York. Pas question, a-t-il répondu. Le BAPE va imposer des conditions très dures, et l’industrie va les respecter, foi de Bouchard. Or on sait que le mandat du BAPE avait été restreint en partant afin que le principe du développement des gaz de schistes ne puisse être remis en question. Ensuite, en fin négociateur qu’il est, Bouchard ne sait que trop bien qu’un moratoire, d’abord imposé pour des raisons de sécurité, pourrait ensuite devenir un levier qui permettrait au Gouvernement du Québec de renégocier les droits d’exploration. Et le moratoire resterait en place tant que les entreprises n’accepteraient pas de rouvrir le dossier des droits d’exploration. Comprenez-vous maintenant pourquoi l’industrie ne veut rien savoir d’un moratoire ?
Fin renard, Bouchard savait qu’il ne pouvait pas braquer les Québécois sur tous les fronts. Alors, suavement, sur le ton de celui qui fait ça à contrecœur, il a sacrifié le « soldat » Charest en lui plantant un coup de poignard dans le dos. Oui, a-t-il dit, une enquête sur la corruption serait nécessaire, sachant très bien que la tenue d’une telle enquête aurait pour effet de détourner l’attention des Québécois du dossier des gaz de schistes et de laisser à ses clients tout le temps et l’espace dont ils ont désespérément besoin pour consolider leurs acquis.
Pour Bouchard, trop fort casse pas. Il en a rajouté une bonne mesure en se positionnant comme un indépendantiste déçu des résultats du référendum de 1995, mais suffisamment réaliste pour reconnaître qu’un autre référendum n’est pas dans les cartes à court ou moyen terme. Cette « astuce » lui permet de réduire le nombre de ses adversaires en plus de ramollir la véhémence de l’opposition qui était en train de se mobiliser contre lui et « ses clients ».
À ce propos, depuis qu’est sorti le nom de Talisman, les médias s’imaginent que la piste s’arrête là. Personne ne trouve bizarre qu’une seule entreprise se trouve à assumer tout le fardeau des honoraires de Lucien Bouchard. C’est bien mal connaître cette industrie. Ce n’est pas un milieu où l’on se fait des « cadeaux ». Faire porter le chapeau à Talisman, une entreprise qui n’est pas établie au Québec, c’est bien commode. Beaucoup trop commode pour que ce soit vraisemblable. Il faut continuer à fouiller, on risque d’avoir des surprises.
Alors, voilà le « messie » que nous avions élu comme premier ministre. Il vous plaît toujours autant ? Pour ma part, j’ai la satisfaction de me dire que je n’ai jamais été dupe, depuis le premier jour où je l’ai rencontré, et je rajouterai pour que ce soit bien clair que c’était à sa demande.