Gaz de schiste

Un autre rapport critique

Le commissaire au développement durable montre du doigt le laxisme du gouvernement Charest

Gaz de schiste



Depuis le début de 2011, trois rapports produits par des instances crédibles sont venus démontrer qu’on en sait trop peu pour se lancer dans l’exploitation gazière.

Photo : - archives Le Devoir


Alexandre Shields - C'était cette semaine au tour du commissaire au développement durable de rendre public un rapport qui fait état d'importantes lacunes dans la gestion gouvernementale du dossier du gaz de schiste. Ce document n'est pas le premier à démontrer le peu d'attention accordée jusqu'ici par les libéraux à l'étude des impacts économiques, environnementaux et sociaux du développement de cette filière fossile.
En réagissant au rapport du commissaire au développement durable publié mercredi, la ministre Nathalie Normandeau a affirmé sans hésiter que celui-ci n'avait absolument «rien d'accablant», malgré les durs constats livrés dans le document. Invitée à dire si le gouvernement retenait certaines critiques contenues dans ce rapport très étoffé, elle a simplement répondu que «notre ministère doit améliorer ses pratiques. S'il y a une admission à faire, c'est celle-là».
L'optimisme de la ministre des Ressources naturelles n'est cependant pas partagé par tous, à commencer par le commissaire Jean Cinq-Mars. Son rapport conclut en effet que, depuis le début des travaux de l'industrie du gaz de schiste au Québec, le gouvernement a fait preuve de laxisme dans pratiquement tous les aspects du dossier. Des critiques qui visent directement le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) de Mme Normandeau, mais aussi celui du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs.
M. Cinq-Mars déplore ainsi une quasi-absence de contrôle aux étapes critiques des travaux de forage — dont la fracturation hydraulique — effectués par l'industrie. Ces opérations posent pourtant des risques environnementaux certains. Très peu d'inspections de ces travaux ont été faites et le ministère ne fait même pas appliquer sa propre réglementation, note-t-il. «Ces lacunes démontrent à quel point les ministères concernés ont de la difficulté à assumer leur rôle de régulateur de ce secteur d'activité», affirme le commissaire. Il note aussi le manque «d'arrimage» entre le développement de cette filière et la planification territoriale par les élus régionaux ainsi que le retard mis par Québec pour consulter et faire participer les citoyens.
Faute d'une étude d'impact socioéconomique à long terme, Jean Cinq-Mars souligne par ailleurs que rien ne prouve que le développement de cette filière énergétique fossile aura le moindre impact positif pour la société québécoise. Le MRNF ne surveille même pas si les entreprises effectuent les travaux qu'elles sont obligées de réaliser pour conserver leurs permis d'exploration.
Une autre tuile
Le document produit dans le cadre des travaux du Vérificateur général n'est pas la première tuile à s'abattre sur le gouvernement depuis le début de la crise du gaz de schiste, au début de l'été 2010. Le rapport déposé il y a quelques semaines par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) concluait à la nécessité de mener une évaluation environnementale stratégique (EES) afin de mieux évaluer les risques imputables à cette filière. «Une base solide de connaissances techniques et scientifiques est à construire sur la ressource, notamment en matière de géologie, d'hydrogéologie, de traitement des eaux usées, d'aménagement du territoire ou de cohabitation avec la population.» Bref, on ne sait toujours rien des impacts sociaux et environnementaux que pourrait avoir le forage de 250 puits chaque année, comme le prévoit à terme l'industrie si le gaz est abondant.
Le ministre de l'Environnement, Pierre Arcand, n'a pas tardé à annoncer la tenue d'une EES, mais sans décréter le moratoire que réclament une majorité de Québécois. Québec permettra même aux gazières de mener librement toutes les étapes de l'exploration, sauf celle de la fracturation hydraulique, qui pourra tout de même se faire dans le cadre de l'EES. Le président de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), Lucien Bouchard, a tout de même prévenu que les entreprises pourraient exiger une compensation pour les restrictions qu'impose l'évaluation environnementale.
Les redevances
Le gouvernement a pourtant ménagé l'industrie en incluant dans le dernier budget un régime de redevances qui permettra aux entreprises, dans certains cas, de payer aussi peu que 2 % de redevances, en plus de profiter d'un crédit pour leurs dépenses d'exploration. Et pas question, pour le moment, de réviser le système de prix des permis d'exploration, comme le proposait le BAPE. Ces droits sont cédés à l'heure actuelle pour 10 ¢ par hectare. «On ne peut pas faire ça dans l'improvisation, parce que les détenteurs de permis ont des droits sur le plan juridique. On ne peut donc pas faire ça du jour au lendemain», estime Mme Normandeau. Un rapport produit par une firme spécialisée en énergie a démontré que les permis détenus par l'entreprise Molopo pourraient valoir jusqu'à 575 $ l'hectare.
Avant le BAPE et le commissaire au développement durable, l'Institut national de la santé publique du Québec avait répondu en janvier à l'optimisme de l'industrie et du gouvernement Charest en soulignant d'importantes lacunes en matière d'information quant aux impacts sur la pollution atmosphérique, la contamination de l'eau, la santé et les milieux de vie. «La recension des écrits réalisée a permis d'identifier quelques dangers, réels, soupçonnés ou potentiels, mais ne permet pas pour l'instant d'évaluer les risques à la santé pour la population québécoise, soulignaient les auteurs dans un rapport produit à la demande du ministère de la Santé. Pour chacune des thématiques abordées, l'absence de certaines informations essentielles à cette évaluation doit être notée, notamment quant aux techniques employées, aux substances utilisées ainsi qu'à la quantité de polluants émise.»
Des constats pour le moins préoccupants, dans la mesure où le développement gazier, une première au Québec à si grande échelle, se ferait essentiellement entre Montréal et Québec, de part et d'autre de l'autoroute 20. Un secteur habité et dont les droits d'exploration ont été entièrement cédés au privé avant même que les Québécois apprennent l'existence du gaz de schiste.
Seulement depuis le début de 2011, ce sont donc trois rapports produits par des instances crédibles qui sont venus démontrer qu'on en sait trop peu pour se lancer dans l'exploitation gazière, exploitation dont on ne sait pas si elle sera profitable pour la société. Sans compter les nombreuses sorties publiques d'experts qui, depuis des mois, ont livré une série de constats allant des risques potentiels pour l'environnement à la nécessité de nationaliser la ressource. Pendant ce temps, aux États-Unis, on découvre de plus en plus que les impacts de cette industrie sont bien réels, malgré les discours rassurants de l'industrie.
L'industrie, justement, tente visiblement de calmer le jeu en insistant pour dire que le potentiel en gaz de schiste n'est pas encore démontré. Cela n'a pas toujours été l'opinion de l'ancien président de l'APGQ, André Caillé. Lors d'une première entrevue sur le sujet accordée au Devoir à la fin de mai 2010, il avait parlé avec enthousiasme d'une ressource qui pourrait générer des milliers d'emplois au Québec et qui ne représentait pas de risques particuliers. À ce moment, le gouvernement préparait déjà un projet de loi censé encadrer l'exploitation des hydrocarbures. L'APGQ comptait alors de 38 lobbyistes inscrits pour «représenter» ses intérêts auprès de tous les ministères concernés. L'industrie en a aujourd'hui au moins 55 à son service.
Le préjugé
Faute de débat public, le lobby de l'énergie fossile pouvait d'ailleurs compter sur un gouvernement qui n'a jamais caché son «préjugé favorable» envers le gaz de schiste. Le budget 2009 incluait notamment un congé de redevances de cinq ans pour les puits gaziers qui entreraient en production d'ici le 1er janvier 2011. Un tel puits est habituellement exploité pendant cinq ans.
En entrevue au Devoir, toujours à la fin de mai 2010, la ministre Normandeau rejetait même à peu près tous les risques environnementaux. «On s'emploie, avec l'Association pétrolière et gazière du Québec, à développer des outils de communication pour faire tomber un certain nombre de préjugés, expliquait la ministre. On s'emploie à ce que les citoyens aient accès à la bonne information. Par exemple, dans le domaine du gaz, les gens se demandent si on cause un préjudice aux nappes phréatiques lorsqu'on fait un forage. La réponse est non. Est-ce que les substances auxquelles on a recours pour forer sont polluantes? La réponse est non.» On connaît la suite.
On peut donc se demander ce qu'il serait advenu du développement de cette filière aux impacts économiques, environnementaux et sociaux encore largement méconnus si les citoyens et les médias ne s'y étaient pas intéressés.Les enjeux sont majeurs. Selon les diverses évaluations, de 3900 à 18 000 puits pourraient être forés au Québec au cours des prochaines décennies.
La vice-première ministre en avait donné un aperçu lors du congrès de l'APGQ en octobre 2009. Elle avait alors dit vouloir présenter «une loi plus moderne, plus proactive» pour encadrer l'exploitation des hydrocarbures. «En fait, on veut mettre de côté la bureaucratie. On veut faciliter votre vie, parce qu'on est bien conscients qu'en facilitant votre vie, on va permettre de créer plus de richesse au Québec. On va vous permettre de déployer vos ailes et, dans ce sens, on souhaite une loi qui nous permette d'être plus efficaces.» À la lecture du rapport déposé cette semaine par le commissaire au développement durable, il semble que Québec avait tout mis en place pour tenir parole.


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