Un singulier nationalisme

Chronique de José Fontaine

Il y a 50 ans éclata en Belgique la « grève du siècle », la plus longue grève générale jamais organisée dans le pays depuis 1830.
Une répression militaire d'une grande brutalité
Les leaders syndicaux wallons et la classe ouvrière tinrent bon pendant cinq semaines, un temps anormalement long pour une grève générale affectant tous les secteurs du pays, mais, bien vite, de la seule Wallonie quadrillée par deux divisions d’armée (18.000 gendarmes et 18.000 militaires), qui réprimèrent brutalement. Le leader de la grève André Renard, un syndicaliste liégeois exceptionnel, sentit l’isolement du pays wallon et, le 6 janvier 1961, donna à la grève un objectif autre que l’opposition au programme d’austérité d’un gouvernement belge à prépondérance flamande qui l’avait d’abord provoquée : il réclama le droit pour la Wallonie de disposer d'elle-même. C’était la première fois qu’un mouvement social ou syndical prenait aussi ouvertement position dans la question nationale belge. La plus radicale revendication d’autonomie ne partit donc pas du peuple flamand méprisé dans sa langue et sa culture, avec des souvenirs d’humiliation liés surtout à la condition terrible des soldats durant la Grande guerre (leurs officiers étaient francophones). Mais des Wallons. Même si ce sont les Flamands qui semblaient avoir éprouvé tout le poids de ce mépris qui crée les questions nationales. Mépris, ici, de la bourgeoisie francophone, de même langue que le peuple wallon, mais installée surtout en Flandre et plus étrangère à la Wallonie que la Flandre. Surtout cette Wallonie de 1960-1961 faisant cesser toute activité économique durant 35 jours, organisant 300 manifestations, faisant sauter les voies de chemin de fer, engagée dans de durs et sanglants combats de rue. Dans la dernière quinzaine de janvier 2.000 syndicalistes furent arrêtés dont la moitié firent un mois de prison, souvent plus encore. Curieuses relations Flandre/Wallonie où de part et d’autre, il n’y a que des dominés.
La classe ouvrière dessine la Wallonie comme Nation
Par cette insurrection, la classe ouvrière a dessiné pour la première fois les frontières de la Nation wallonne et revendiqué pour celle-ci un autogouvernement. Aux yeux des Wallons de droite et d’esprit petit-bourgeois, l’origine de la Nation wallonne en est profondément viciée. Les institutions wallonnes de plus en plus largement responsables sont encore très mal vues par ces Wallons étrangers à leur peuple. Et dont les visions méprisantes pour la classe ouvrière contaminent tout et beaucoup de monde. Assez étrangement, ce n’est pas la minorité wallonne pourtant fameusement grugée dans l’Etat unitaire qui réclame plus de compétences, mais des leaders nationalistes flamands, très à droite et qui ont aussi comme but un un affaiblissement de la Sécurité sociale. Les dirigeants wallons et francophones actuels, très éloignés du syndicalisme, face à cela, se posent même en défenseurs d’une Belgique qui a failli faire périr la Wallonie. Curieux encore.
Une forte Assemblée wallonne à Charleroi le 22 novembre
L’Assemblée wallonne extraordinaire qui se tiendra à Charleroi le 22 novembre prochain prend des allures de rendez-vous historique. Y prendront essentiellement la parole des syndicalistes des deux grands syndicats ouvriers et employés (le syndicat chrétien et le syndicat socialiste), mais aussi le syndicat agricole wallon (à qui le compagnonnage avec les syndicats ouvriers ne fait plus peur depuis longtemps). Des politiques et des universitaires s’exprimeront également. Tout cela va bien ensemble, finalement. Il s’agit toujours, comme en 1960, de bâtir un pays et un pays socialement solidaire, où les préoccupations sociales prennent le pas sur les préoccupations ethniques. Tel est le nationalisme wallon qui en raison des circonstances qui l’ont vu naître, peine à se désigner justement sous ce vocable de nationalisme qui rappelle les pires choses en Europe. Et la présence des syndicats dans la lutte wallonne n'est pas sans rappeler le Québec.
Ce mouvement syndical wallon porte les espoirs du peuple wallon que la classe politique qui cultive le centrisme et le « moyen » (le médiocre même) a les plus grandes peines du monde à assumer. Cinquante ans après le sursaut de fierté nationale d’un peuple et d’une classe dont la détermination de 35 jours de faim, de sang et de larmes n’a pas encore obtenu la vraie réponse démocratique et sociale. Les dirigeants wallons évitent d’ailleurs de plus en plus de parler de Wallonie, exaltent le génie belge du compromis et attaquent les Flamands. Vraiment de quoi ne jamais en sortir. Ils seront rejetés.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • José Fontaine Répondre

    14 novembre 2010

    Les unitaristes belges en viennent même à imaginer que la Wallonie et Bruxelles continueraient à former la Belgique sans la Flandre, ce qui est juridiquement impossible et politiquement impossible.
    En même temps on comprend pourquoi ils veulent cela et l'article suivant le montre et montre en outre ce qui se produit en cas de sécession: le Canada par exemple demeurerait-il le Canada? A mon sens, non.
    Voyez
    http://www.larevuetoudi.org/fr/story/belgique-résiduelle-wallonie-bruxelles-juridiquement-impossible