Québec — C'est «un des pères fondateurs de la Francophonie» que le Québec a perdu en Jean-Marc Léger, lance l'ancienne ministre Louise Beaudoin, au téléphone. Ancien journaliste à La Presse et au Devoir, M. Léger s'est éteint dans la nuit de dimanche à lundi, à l'Hôtel-Dieu, des suites d'un cancer, à l'âge de 84 ans. Son ami Yves Michaud n'hésite pas à parler d'un «intellectuel remarquable», «un des plus grands hommes que le Québec ait produits».
Après avoir créé, dans les années 1950, une organisation de journalistes francophones, Jean-Marc Léger a déployé des efforts «colossaux» (selon les mots de Louise Beaudoin) qui conduiront, dans la décennie suivante, à la création de l'Agence de coopération culturelle et technique des pays de langue française (ACCT), ancêtre de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Il n'a que 26 ans, en octobre 1953, lorsqu'il se rend à Paris pour faire connaître son idée d'une organisation francophone, entre autres au ministre des Affaires étrangères français de l'époque, Georges Bidault. Les journaux de l'époque sont enthousiastes: on parle de ce jeune «Canadien français», «rédacteur à La Presse», proposant la création «d'un organisme central siégeant à Paris qui convoquerait chaque année une réunion générale dans laquelle les représentants des divers pays où l'on parle le français [notamment le Canada, la Belgique et Haïti] rencontreraient les délégués de la France et des territoires outre-mer pour discuter leurs intérêts culturels communs». La Francophonie était là en puissance.
Au terme des conférences de Niamey, en 1969, Jean-Marc Léger se voit confier un important rôle: il devient premier secrétaire, de 1969 à 1974, de l'ACCT. Mais la convocation du premier véritable Sommet de la Francophonie n'aura lieu qu'en 1986. L'année suivante, à l'occasion du Sommet de Québec, il publie un livre au titre éloquent: La Francophonie, grand dessein, grande ambiguïté (Hurtubise, HMH). Bien que le Québec, à son sens, n'ait qu'un «strapontin» dans la Francophonie, elle lui est «indispensable», puisque c'est le seul forum international où le Québec a une présence distincte.
Culte de la langue
«Très tôt, j'ai eu le sentiment qu'une langue commune pouvait solliciter la solidarité», disait-il en entrevue au Devoir, en 2005. Jean-Marc Léger racontait avoir hérité de ses parents «le culte de la langue»: «Ils souhaitaient que leurs enfants puissent faire les études qu'ils n'avaient pas eu la possibilité de faire. Ils ont réussi. Au collège, je me suis intéressé à toutes les formes d'expression de la langue. Rapidement, j'ai compris qu'elle était importante, non seulement pour ce qu'elle était, mais aussi pour ce qu'elle pouvait incarner.»
En 1961, il fut d'ailleurs le premier directeur de l'Office de la langue française du Québec, créé par Georges-Émile Lapalme. En 2005, d'ailleurs, il reçoit le prix du Québec Georges-Émile-Lapalme, remis annuellement à une «personne ayant contribué de façon exceptionnelle, tout au cours de sa carrière, à la qualité et au rayonnement de la langue française parlée ou écrite». À l'époque, le linguiste Jean-Claude Corbeil soutient que, peu importe les fonctions qu'il a occupées, «Jean-Marc Léger fut l'un de ceux qui ont ouvert la voie, qui ont inventé les instruments de la modernité et de l'ouverture au monde du Québec». Des fonctions, Jean-Marc Léger en a occupé d'innombrables: délégué du Québec à Bruxelles, sous-ministre adjoint aux Relations internationales, à l'Éducation; direction de la Fondation Lionel-Groulx.
«Un peu d'internationalisme éloigne de la nation, beaucoup y ramène», aurait dit Jean Jaurès en paraphrasant Bacon. La phrase résume bien le parcours de Léger. «Il a été indépendantiste avant nous tous», se souvient Yves Michaud. Ce dernier souligne qu'il fut l'un des premiers journalistes à se dire ouvertement en faveur de l'indépendance. Il participe à des assemblées du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN). À la mort de Pierre Bourgault, en 2003, Jean-Marc Léger en célèbre d'ailleurs l'«admirable intransigeance, devenue véritable vertu».
L'idée d'indépendance, il en parlera, en entrevue en 1998, comme d'«une sorte de foi» à laquelle il est toujours resté fidèle (comme à l'autre d'ailleurs). «Lui, il ne changera jamais d'idée», rappelle Louise Beaudoin. En 1964, l'idée d'indépendance lui a même en quelque sorte coûté la direction du Devoir. Alors qu'il était pressenti pour succéder à Gérard Filion, on lui préféra Claude Ryan. Un peu plus tard, «de façon cordiale et justifiée», raconta un jour Léger, Ryan lui demanda de quitter l'éditorial et de redevenir «simple journaliste», invoquant la «cohérence» des positions. En 2000, encore, dans son livre de souvenirs, Le Temps dissipé (Hurtubise), il s'en prend d'ailleurs avec force à la duplicité «naturellement inscrite au coeur du fédéralisme canadien».
Un de ses cinq frères, Jacques, rappelait hier qu'au dernier chapitre du Temps dissipé intitulé «Pour prendre congé», Jean-Marc Léger écrit: «Ce qu'il y a dans chaque instant de fragile et de furtif me désole et m'enchante à la fois. L'éphémère est accablant et merveilleux: lui seul autorise, appelle et prépare les difficiles, souvent douloureuses, mais nécessaires et fécondes métamorphoses.»
Jean-Marc Léger (1927-2011)
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