Un devoir de réserve

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012





D'emblée, je pose un point: je ne me définis ni comme libéral, péquiste, caquiste ou autre. Je crois sincèrement que les enjeux du conflit ont maintenant laissé partiellement derrière la question des droits de scolarité pour déborder sur la question des appartenances politiques et de savoir qui pisse le plus loin à gauche ou à droite.
Je ne dis pas non plus que cette question est futile: j'affirme toutefois que ce n'est pas le bon forum, et que ce sont tous les étudiants qui paieront maintenant pour discuter des enjeux sociaux qui ne peuvent se régler en quelques mois au détriment de leur session, de leur diplôme, de leur emploi.
Le gouvernement actuel est en fin de mandat, il est certes d'une impopularité abyssale, mais il a été élu démocratiquement. Tous les citoyens en âge de voter auront le loisir d'en mettre un autre à sa place en lui donnant, en accord avec leurs idéaux, le mandat de diriger en leur nom: c'est, je crois, le principe de la démocratie parlementaire.
Mon point majeur concerne le rôle joué par les professeurs et leurs syndicats dans le présent conflit. Je ne possède pas la vérité ni ne me réclame d'une quelconque expertise dans le domaine. Je ne suis qu'un professeur: mais un professeur de tous mes étudiants, peu importe leur appartenance au camp pour ou contre la grève. Je crois sincèrement, comme certains de mes collègues, que les professeurs devraient avoir un devoir de réserve dans ce conflit.
Il ne faut pas oublier que les professeurs sont en position d'autorité (ce qui n'est pas dénigrant, mais un simple fait reconnu). De par cette position, l'influence des professeurs est disproportionnée et peut aussi être toxique.
Nous semblons oublier que plus de 50% des étudiants sont en classe, dont une part non négligeable (et non méprisable) qui s'oppose à la grève. Les professeurs arborant la cocarde rouge ou qui militent vigoureusement auprès des grévistes prennent de facto position dans un camp et, inévitablement, contre l'autre camp qui est aussi composé de leurs étudiants. Cette situation m'apparaît intenable: elle est soit à courte vue, soit à trop longue vue.
Je peux aussi comprendre, sans toutefois l'accepter sans discussion, que les syndicats appuient tous azimuts tout mouvement qui se définit comme une grève, même au sens large. Mais les syndicats de professeurs doivent représenter tous leurs membres; ce qui comprend aussi la nécessité de s'assurer que la majorité desdits membres appuient la position du syndicat dans le présent conflit.
J'ai parfois la triste impression que les syndicats, dans leur idéologie socialement noble, choisissent d'ignorer les étudiants qui veulent suivre leurs cours. Ils sont laissés derrière et certains peuvent certainement se sentir abandonnés par leurs mentors. Ce n'est pas rien. N'oublions pas que plusieurs associations étudiantes ont voté pour le retour en classe et que leurs membres sont parfois brimés par les grévistes d'autres associations. Les deux invoquent la démocratie (terme galvaudé à gauche et ... à droite) sans que l'on sache de quelle démocratie il est question. Les droits individuels existent et doivent aussi être protégés.
Je conçois que les professeurs peuvent se sentir coincés entre l'arbre et l'écorce. Ils auront à assurer la réalisation des objectifs de leur cours dans un contexte sous-optimal. Mais il faut replacer les désagréments dans la juste perspective: ce sont les étudiants qui paieront le lourd tribut, pas les professeurs qui garderont leur salaire, leur emploi et leurs vacances. Le débat est sain, le contexte l'est moins.
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Jean Barbeau
L'auteur est professeur à l'Université de Montréal.


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