Un gouvernement dépassé par les événements

Au romantisme anarchiste, Jean Charest oppose le pragmatisme comptable

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Robert Dutrisac - Le mouvement étudiant québécois est maintenant suivi à l’étranger.
Dimanche dernier, après la victoire de François Hollande, TV5 organisait une table ronde avec des journalistes et commentateurs des quatre coins de la planète. De façon surprenante, plusieurs d’entre eux ont évoqué la crise étudiante au Québec pour établir un lien entre cette contestation et l’opposition aux mesures d’austérité imposées en Europe. Ce qui a commencé comme une simple grève contre la hausse des droits de scolarité est devenu un mouvement contre le néolibéralisme et pour la justice sociale. Pas étonnant que, dans ce contexte, le gouvernement libéral apparaisse dépassé par les événements.
Certains s’en désoleront, mais en raison de la grève étudiante, le Québec retient l’attention des médias étrangers. La semaine dernière, le respecté Guardian de Londres consacrait un long article à cette grève qui prenait l’allure d’une « contestation, inspirée par Occupy, contre l’austérité et les inégalités », écrivait le journaliste Martin Lukas. L’article, qui prenait parfois le ton du commentaire, était éminemment favorable aux étudiants grévistes. « Dans le douloureux tumulte des manifestations quotidiennes, une génération entière de la jeunesse québécoise apprend une leçon politique qu’aucune classe ne saurait jamais leur enseigner : la violence sous-tend toutes les inégalités de la société, et le pouvoir ne cède pas un pouce sans une bataille », peut-on lire.
Jean Charest préférera sans doute l’article du magazine The Economist qui, sous le titre « Free lunches, please », écrit que « la ligne dure pourrait aider M. Charest dans un moment difficile. […] Si les libéraux peuvent associer le PQ à l’intransigeance du mouvement, M. Charest pourrait risquer une élection hâtive et se ménager une victoire ». Ou encore celui du Figaro, qui affirmait lundi dernier que « les étudiants québécois cessent leur grève ». Un peu prématuré comme nouvelle.
Jean Charest pourrait aussi se tourner vers les journaux du Canada anglais qui, tous sans exception, ont dénoncé les grévistes. Pour la plupart, ils n’ont pas été tendres envers le premier ministre, qu’ils taxent de mollesse, mais, à tout le moins, ils ont vilipendé les étudiants, qu’ils accusent de mépriser la démocratie élective et d’afficher une culture des droits acquis (« culture of entitlement »). Selon The Globe and Mail, Jean Charest a su imposer ses vues : « les droits acquis du Québec ne sont pas sacrés ».
L’ineffable Tasha Kheiriddin, du National Post, a sévi : elle écrit que le mélange de la démocratie et du sentiment que tout nous est dû conduit tout droit à l’anarchie. « La notion d’étendre le droit de vote à toutes les classes, toutes les races et tous les sexes est une notion très récente. […] Le suffrage universel ne va nulle part. Les États providence doivent réexaminer la culture que leurs politiques créent, sinon ils risquent de glisser dans des bourbiers auxquels sont confrontés à l’heure actuelle le Québec et la Grèce. »
Quoi qu’on pense de cette opinion, il n’en demeure pas moins que la question des droits de scolarité ne semble plus le seul enjeu de la crise actuelle. Dans une entrevue que trois représentants de la CLASSE, dont Gabriel Nadeau-Dubois, accordaient en anglais à RealNews, un site Internet d’information alternatif, le leader étudiant expliquait que l’enjeu de la grève, quand elle a débuté, était bel et bien la hausse des droits de scolarité. « Mais après quatre, cinq, six sept semaines de grève, […] il y a eu un bouillonnement d’idées. Cette conjonction de ces gens très nombreux qui n’ont rien à faire de leur vie, sauf de parler de politique, de participer à des actions et à des manifestations, ça crée un climat de changement social. »
Un organisateur de la CLASSE, Jérémie Bédard-Wien, l’exprimait autrement. « Après plus de deux mois de grève, ils [les étudiants] réalisent que les droits de scolarité, c’est la pointe de l’iceberg, l’iceberg néolibéral. » Pour lui, « il ne faut qu’une étincelle pour allumer un incendie ».
« Tout ce qui traîne se salit », conclut, pour sa part, Marc Parent, le chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Évidemment, on peut soutenir que la CLASSE est l’aile radicale du mouvement (bien qu’il y ait plus radicaux qu’elle, comme Force étudiante critique, un mouvement qui prend au mot les thèses de Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques à l’UQAM). Mais il fallait entendre le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Léo Bureau-Blouin, reconnaître mardi qu’il avait « sous-estimé la détermination » de ses membres et se surprendre que la priorité des étudiants, ce n’est pas de sauver le trimestre, mais d’obtenir « quelque chose de tangible ».
Au romantisme anarchiste de la CLASSE, Jean Charest oppose un pragmatisme comptable. Il ne faut toutefois pas croire que pendant ces 13 semaines le gouvernement Charest s’est tourné les pouces. Au contraire, il avait une stratégie, il a agi. Le problème, c’est que ses stratégies n’ont pas fonctionné, ses tactiques n’ont pas marché.
Au début de la grève, le gouvernement n’a pas voulu reconnaître la légitimité des associations étudiantes. Il ne la reconnaît d’ailleurs aujourd’hui que du bout des lèvres. Se drapant dans le légalisme, il soutient toujours qu’il ne s’agit pas d’une grève mais d’un boycottage.
Puis, changement de stratégie, le gouvernement libéral a reconnu une certaine légitimité aux associations étudiantes. Mais il a tenté de créer une division en associant la CLASSE à la violence. À plusieurs reprises, Jean Charest a affirmé que son gouvernement ne s’assoira pas avec la CLASSE, ce qu’il a finalement fait.
Le gouvernement Charest a refusé pendant 11 semaines de négocier avec les associations étudiantes. Il a tenté de régler le conflit en proposant des améliorations au régime de prêts et bourses sans parler aux étudiants.
Par ailleurs, le gouvernement a misé sur les injonctions pour briser le mouvement de grève.

Les médias ont révélé d’ailleurs que, parmi les premiers étudiants à demander des injonctions il y a un mois et demi, figuraient des militants libéraux. Puis, il y a un mois, Line Beauchamp tentait un coup de force en obligeant les cégeps et les universités à ouvrir leurs portes. Le cégep de Valleyfield devait servir d’exemple. Ce fut un échec.
Enfin, il y a eu cette négociation de la dernière chance, dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne fut pas concluante. Tant Line Beauchamp que Jean Charest ont commis l’erreur de minimiser la portée de l’entente avant que les étudiants ne votent. Le gouvernement semble miser à nouveau sur les injonctions, qui seraient aujourd’hui mieux formulées pour en forcer le respect.
Si les étudiants en grève, notamment les cégépiens, perdent leur session, c’est le gouvernement qui sera à blâmer ; c’est du moins ce que l’opinion publique croit, si on se fie aux sondages. En définitive, il y a un responsable, et c’est le gouvernement.
Mais Jean Charest est le premier à reconnaître qu’un gouvernement peut faire des erreurs. Parfois, le gouvernement ne sait même pas ce qu’il fait. Dans son autobiographie, le chef libéral écrit : « Je dis souvent qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité des gouvernements de se tromper. […] S’il y a une chose qui me fait frémir, c’est quand j’entends des gens dire : « Après tout, c’est le gouvernement ; ils doivent savoir ce qu’ils font. » Il ne faut jamais présumer qu’ils savent ce qu’ils font. »
Rappelons donc cette parole d’Évangile : « Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » C’est ce que bien des électeurs libéraux se diront bientôt avant de voter.


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