Trop d'économie?

2006 textes seuls


L'écrivain et dramaturge Michel Tremblay a lancé tout un pavé dans la marre en affirmant qu'il ne croyait plus à la souveraineté, parce qu'il n'arrivait pas à s'identifier à un projet qui ne parlait que d'argent et d'économie.
Je suis passionnément en désaccord avec Michel Tremblay, parce que je crois que l'économie est importante, qu'elle doit être présente dans nos préoccupations collectives, à condition qu'elle soit traitée intelligemment, que le succès économique ne soit pas une fin en soi, mais plutôt un moyen d'atteindre nos buts collectifs, que les réalités économiques ne soient pas vues comme une réalité distincte, mais plutôt comme une facette de notre vie collective, indissociable des réalités politiques, sociales et culturelles.
Cependant, je peux aussi comprendre ce qui nourrit le désenchantement de Michel Tremblay. Les porteurs de la souveraineté ne sont plus des poètes, mais des comptables. On ne retrouve plus le rêve et l'élan qui soutenaient le projet souverainiste dans les années soixante, lorsque ce combat était chargé de passion et d'énergie. Mais ce changement tient bien moins à la dérive des leaders du mouvement souverainiste qu'à l'évolution de la société québécoise.
Dans les années soixante, ce qui a nourri le mouvement souverainiste, c'était d'abord la colère face aux injustices et aux préjugés dont étaient alors victimes les Canadiens français, c'était le désir de lutter contre le sentiment d'impuissance et le complexe d'infériorité. S'affirmer comme Québécois, à l'époque, c'était un geste d'audace et d'espoir, un coming out qui demandait du courage. Et l'intense créativité de l'époque correspondait à celle que l'on retrouve chez les peuples opprimés où la littérature, la chanson, le théâtre, le cinéma sont des outils d'affirmation et de libération. L'élan était d'autant plus vif qu'ils s'inscrivait dans un vaste mouvement de libération des peuples, porteur de rêves.
Mais le Québec a changé, en bonne partie grâce à ces batailles. Les Québécois peuvent bien être inconfortables dans le régime fédéral, mais ils ne sont plus victimes d'injustices, leur sentiment d'infériorité a été remplacé par la fierté de leurs succès, ils se sont affirmés comme une nation qui ne se sent plus menacée de disparition.
Cela a affecté le mouvement souverainiste et le PQ, transformé par ces trois décennies où il a été un parti de pouvoir. Son projet n'est plus porté par la colère, le désir de briser ses chaînes, ou la peur de disparaître. Et surtout, le discours sur la pertinence même de la souveraineté a dû s'adapter au chemin parcouru par le Québec. L'indépendance n'est plus présentée comme un geste de libération nécessaire, mais plutôt comme l'aboutissement logique d'un processus, pour que le Québec dispose de l'ensemble des outils de gestion d'un État, qu'il ait une voix internationale, qu'il puisse compter sur des ressources financières accrues.
Ce sont des considérations techniques qui font plus appel à l'esprit qu'au coeur. Le déséquilibre fiscal est devenu l'argument principal contre le fédéralisme tandis que le budget de l'An 1 de François Legault est devenu l'outil de vente de la souveraineté. Comme si les Québécois allaient faire le choix de l'indépendance dans l'espoir, illusoire, que cela rapporte quelques milliards de plus au Trésor québécois.
Tout cela suggère que les enjeux se sont déplacés, et que les débats qui feront vibrer le Québec ne porteront plus sur le choix entre les deux avenues constitutionnelles. La réaction de Robert Lepage aux propos de Michel Tremblay est fort représentative, lui qui se sent canadien à l'étranger et qui est séduit par un modèle à l'européenne. Et le dramaturge regarde avec sympathie Québec solidaire. Il est évident que ce petit parti inspirera les artistes, comme le faisait autrefois le PQ, parce qu'il est porteur de rêve. Mais ce qui le rend attrayant, ce n'est pas tant son appui à la souveraineté, que les autres bonnes causes dont il est le champion. Québec solidaire est un bel exemple de ce déplacement des priorités.
Cela est également vrai de tous ceux qui, à partir d'horizons différents, de gauche comme de droite, si l'on tient aux étiquettes, souverainistes comme fédéralistes, en sont venus à la conclusion que la priorité la plus pressante n'était pas la constitution mais le renforcement de l'économie québécoise. C'est le coeur du discours de l'ADQ depuis longtemps. C'est le sens du manifeste des lucides et des prises de position de Lucien Bouchard ou de Pierre Marc Johnson.
Et c'est aussi ma conviction profonde. Le Québec doit d'abord créer plus de richesse qu'il ne le fait actuellement, pour préserver ses valeurs et ses institutions, pour améliorer le sort de ses citoyens, pour résister aux chocs qui l'attendent, pour se donner les moyens de ses choix.


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