Littérature québécoise - "Bénédicte sous enquête" - Andrée Ferretti

Tranquillement subversif

Livres - 2008

Féministe, militante indépendantiste de la première heure, Andrée Ferretti s'est tournée vers l'écriture au début des années 1980 avec la fougue et l'ardeur qui ont balisé son engagement politique et féministe. L'analyse historique, la réflexion philosophique et l'oeuvre de fiction ont peu à peu remplacé les discours, sans rupture toutefois, puisque chez elle l'oeuvre n'existe qu'enracinée dans la lutte contre toutes les formes de domination.
Dans [Bénédicte sous enquête, son troisième roman->15788], l'auteure redonne vie et pensée à une mystérieuse philosophe du XVIIe siècle. La découverte d'un document manuscrit par une archiviste et latiniste dans l'entretoit de sa maison tricentenaire située à Neuville, près de Québec, signé du seul prénom de Bénédicte, constitue le point de départ d'une enquête sur l'énigmatique personnage. L'alternance des mémoires (huit fragments) de la philosophe et le déroulement des recherches de la narratrice maintiennent le lecteur dans l'incertitude jusqu'au dernier mot.
Née au XVIIe siècle dans une famille de négociants juifs portugais installée à Amsterdam, la philosophe hollandaise latinise son prénom Baruch («béni» en hébreu) en Benedictus, fréquente le Talmud Torah (école juive élémentaire) et acquiert une parfaite maîtrise de l'hébreu et de la culture rabbinique. Plongée dans un doute sérieux à propos du judaïsme, de ses dogmes et de ses pratiques, elle est excommuniée de la communauté séfarade pour ses opinions jugées hérétiques, professant qu'il n'y a de Dieu que philosophique, que la loi juive n'est pas d'origine divine et qu'il est nécessaire d'en chercher une meilleure. La philosophe prend ses distances de toute pratique religieuse («de la pensée ecclésiale et de ses concepts qui entravent le développement d'une connaissance vraie»), mais non de la réflexion théologique grâce à ses nombreux contacts interreligieux.
Même si la Hollande est l'une des nations les plus tolérantes de l'époque, la philosophe, de plus en plus fréquemment attaquée, voit ses oeuvres (dont L'Éthique est la plus importante) interdites. Elles ne seront éditées qu'après sa mort.
Deleuze l'appelait le prince des philosophes. Des générations de philosophes se sont attachées à rendre sa philosophie effective et présente. Peut-être avez-vous reconnu Spinoza? Vous vous demanderez sans doute alors pourquoi la romancière lui a donné une identité féminine et a dissimulé son personnage, de sa naissance à sa mort, sous des habits d'homme? Pourquoi cette double vie?
Au XVIIe siècle, une femme philosophe ne pouvait qu'essuyer «un rejet méprisant de sa pensée par la société misogyne des philosophes». Dès lors, Andrée Ferretti, que la foi tenace dans la vie, le besoin de liberté, l'affirmation de l'identité féminine et le goût de la réflexion sans concession animent, donne libre cours à son imagination rêveuse. Elle invente une femme libre, à la pensée audacieuse, qui s'épanouit pleinement comme femme et comme mère, revendique haut et fort la beauté et la noblesse du corps féminin, explore et exalte les plaisirs dont il est le lieu, célèbre le désir et la jouissance, le «banquet des banquets». Elle revendique pour son personnage la liberté d'avoir accès, autant qu'un homme, à la pensée et le raconte dans un livre tranquillement subversif, d'une sagacité imparable.
Récit dense et emporté
Plus qu'un simple récit de la vie de Spinoza, c'est un voyage au coeur de la communauté juive d'Amsterdam au XVIIe siècle que nous propose Andrée Ferretti, en ressuscitant de façon vivante et animée le contexte politique, social, intellectuel et religieux de la ville cosmopolite de la jeune République hollandaise de l'époque.
La première qualité de Bénédicte sous enquête est de redonner à l'un des penseurs les plus révolutionnaires et les plus controversés de son époque un vivre philosophique qui lui a été contesté, et ce, dans un récit dense et emporté, grave dans le propos, léger dans le ton, et une écriture passionnée qui conjugue rigueur, émotion, sensualité, jubilation. Sans doute Andrée Ferretti a-t-elle été séduite par la quête du philosophe, celle de «la plus haute qualité de l'existence inexorablement liée à la connaissance et à son rejaillissement, la joie».
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Collaboratrice du Devoir
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Bénédicte sous enquête
Andrée Ferretti
Vlb éditeur
Montréal, 2008,160 pages


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