Théorie du chaos

Le libéralisme sauvage, la lutte des classes primaire, l’idéologie gauchiste et droitiste et le discours doctrinaire sont des artefacts d’une société en voie de disparition.

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise


Mais de quoi nos jours et nos nuits étaient-ils remplis avant que nos rues soient envahies par des étudiants ? De quoi parlions-nous au temps d’avant la colère, les revendications, les débats et les affrontements idéologiques autour du thème de l’éducation ? Nous ennuyions-nous avant la violence, les émeutes, les déploiements policiers avec gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc et toute la panoplie des casseurs : briques, bâtons de golf, boules de billard ? Que nous montraient donc les journaux télévisés avant ces images sans cesse renouvelées qui donneraient à penser à un extraterrestre que le pays est à feu et à sang ?
Certaines théories mathématiques nous enseignent que le frémissement d’une aile de papillon au-dessus des îles de la Sonde dans l’archipel indonésien serait susceptible de déclencher un ouragan dans l’Atlantique Nord. Et si le frémissement estudiantin au Québec il y a plus de quatre-vingts jours était le point d’origine d’une implosion sociale qui n’épargnera aucune institution et laissera à moyen terme la société divisée non plus traditionnellement entre fédéralistes et souverainistes, mais entre un réalignement gauche-droite tel qu’on ne l’a jamais connu, mais qu’on trouve en Europe, et en France en particulier ? À moins que la dichotomie actuelle où il devient périlleux de tenter la distance critique n’accélère brutalement un recul de la démocratie parlementaire au profit d’une gestion sociale par les groupes de pression et les lobbys dont on connaissait déjà les répercussions perverses sur la gouvernance de l’État.
Dans le rapport de force actuel, à moins d’une régression volontaire vers les années de désordre social de la décennie soixante-dix, les partis politiques susceptibles de gouverner ne devraient pas se réjouir du rôle actuel dans la crise des syndicats, pourvoyeurs d’argent, de stratégies et de tactiques aux jeunes irréductibles. Le PQ de Pauline Marois, au-delà du frémissement de l’aile, en est à l’étape du battement, voire de l’envol, pour reprendre la métaphore du papillon. Le PQ est-il en train d’ignorer la majorité des étudiants en classe, ces jeunes qui eux aussi iront voter aux prochaines élections et qui sont les oubliés de ce conflit perturbateur ?
Et que dire du gouvernement qui chambranle, donnant l’impression d’avoir besoin des centrales syndicales, étrangères au conflit dans la mesure où leurs membres ne sont pas en cause, pour sortir de l’impasse ? Pourquoi l’opinion publique derrière le gouvernement à hauteur de 67 % ne le conforte-t-elle pas dans sa position ferme du début de la prise de possession de la rue par les étudiants ? Le déclenchement de l’élection serait-il le seul moyen désormais qui s’offre à Jean Charest ? Cet enfermement apparent entre céder ou déclencher l’élection de tous les dangers illustre la détérioration du tissu social au Québec. Après avoir voulu renverser le gouvernement par une pétition sur Internet, voilà que des citoyens souhaitent s’en débarrasser sur une décision politique qu’ils exècrent. Les mêmes reprochent au gouvernement de manquer de courage dans l’exercice du pouvoir.
Depuis cinquante ans, les Québécois oscillent entre euphorie, déception, frustrations et, lâchons le mot, dépression. L’évolution sociale a tendance à se vivre par spasmes, par soubresauts, par psychodrames où l’on a, chaque fois, l’impression de se réinventer dans l’oubli du passé et du sens tragique de l’Histoire. En démocratie, par exemple, céder à une minorité dans la rue signifie renier le processus électoral.
Par contre, l’époque ne pardonnera plus aux politiciens à vision à oeillères. Elle condamnera désormais les dirigeants, quels qu’ils soient et quels que soient leurs secteurs d’activité, à plus de largeur de vue, plus de compétence et plus d’imagination créatrice. Le libéralisme sauvage, la lutte des classes primaire, l’idéologie gauchiste et droitiste et le discours doctrinaire sont des artefacts d’une société en voie de disparition. La gratuité scolaire à tous les niveaux, la gratuité universelle dans le domaine de la santé sont des utopies portées par Québec solidaire, dont on sait qu’il est le repoussoir des sociaux-démocrates du PQ et à cet égard instrumental. Comme le libéralisme anti-État d’une frange de la CAQ pour le PLQ.
Cette fronde printanière dont les retombées secouent désormais les établissements d’enseignement et éventuellement le marché du travail enivre encore ceux qui la poursuivent comme ceux qui en sont les compagnons de route ou les porteurs de valise. Les étudiants qui par conviction mettent à mal leur scolarité actuelle, repoussent leur entrée sur le marché du travail, et donc en paient un fort prix, ont droit à notre respect. Mais on ne peut s’empêcher de leur dire qu’ils errent en continuant de faire perdurer un combat dont ils ont perdu la première manche. C’est ce qu’on appelle la dure école de la vie, où les rapports de force supposent victoire ou défaite. L’important, c’est que le vaincu d’aujourd’hui puisse devenir le vainqueur de demain en convainquant la majorité. La démocratie permet cette alternance. Quant à cette minorité très agissante aux relents anarchistes qui souhaite un chaos social duquel surgirait un homme nouveau pour une société nouvelle, on peut la renvoyer dans les cataclysmes de l’Histoire où sévissent des barbares. Et honte à ceux qui dans l’ombre de ces marginaux prennent leur pied de l’implosion sociale, pantouflards des réseaux sociaux et autres « trolls », ces masqués friands d’anonymat.


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