Tel un phénix

Pauline Marois - le couronnement

«Rien n'est fini, tout commence...» À trois semaines du référendum de 1995, ces quelques mots prononcés par Lucien Bouchard avaient suffi à électriser les militants souverainistes réunis dans le grand amphithéâtre de l'Université de Montréal. La campagne du oui avait alors décollé de façon fulgurante.

Le même courant a traversé la salle de l'hôtel Sandman, quand Pauline Marois est montée sur la scène dimanche matin. Alors que tout semblait perdu, les 200 militants ayant accouru l'acclamer à Longueuil ont eu le sentiment que leur parti renaissait de ses cendres.
Mme Marois fait elle-même figure de phénix. Le 15 novembre 2005, personne n'aurait parié sur ses chances de retour. Mardi dernier, l'annonce de la démission d'André Boisclair l'avait laissée presque froide. Elle a été aussi surprise que Gilles Duceppe de l'ampleur du mouvement réclamant son retour.
La façon dont elle a mis K.-O. le chef du Bloc québécois devrait suffire à rassurer ceux qui doutaient encore de sa pugnacité. Elle n'a pas de goût particulier pour la bagarre, mais elle ne la craint pas.
En 2005, elle avait été déconcertée par l'irrationalité de la boisclairmanie. Si elle avait semblé ménager son rival, c'était moins par mollesse que pour ne pas contribuer davantage à une victimisation qui le servait si bien.
Trois ans plus tôt, l'exécution publique du directeur général du PQ, Raymond Bréard, avait déjà démontré que Mme Marois pouvait être impitoyable. Réclamer et obtenir la tête d'un ami personnel de Bernard Landry, alors premier ministre, était un geste pour le moins audacieux.
Elle aurait certainement préféré éviter à M. Duceppe une humiliation qui l'a visiblement ébranlé et qui, par ricochet, va affaiblir l'ensemble du mouvement souverainiste, mais cette algarade a valeur d'avertissement. Même si les coups de pied au derrière ne sont pas son genre, elle ne laissera pas les «purs et durs» faire la loi au PQ. Elle a été très claire dimanche: cette fois-ci, le programme du chef sera celui du parti et non l'inverse.
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Les orientations qu'elle a présentées étaient d'une clarté qui contrastent avec les circonvolutions et les compromis auxquelles elle nous avait habitués. On a reproché à André Boisclair d'avoir tout sacrifié à son ambition de devenir chef, en acceptant sans discuter un programme avec lequel il était fondamentalement en désaccord, mais Mme Marois avait fait la même chose.
Soit, elle avait mis quelques bémols ici et là, mais elle se disait «tout à fait en harmonie» avec les décisions du congrès de juin 2005, y compris la promesse d'un référendum le plus vite possible dans un premier mandat, même si ses prises de position des années antérieures démontraient clairement le contraire.
Durant la course de 2005, l'équipe de Richard Legendre avait confectionné un amusant diagramme illustrant les «flip-flop de Pauline Marois» au fil des ans, aussi bien sur l'axe gauche-droite que sur la démarche vers la souveraineté.
La modernisation de la social-démocratie qu'elle propose aujourd'hui est simplement un retour à ce qu'elle disait au lendemain des élections de 2003, alors que Joseph Facal lui avait déjà inspiré une sérieuse remise en question du modèle québécois. «À quoi l'État est-il essentiel aujourd'hui? À quoi est il nécessaire? Où et quand doit-il se retirer?» demandait-elle.
À l'époque, elle était d'avis qu'au lieu de se précipiter vers un autre référendum, le PQ devait «offrir une véritable solution de remplacement au gouvernement Charest» dans le cadre constitutionnel actuel.
En attendant le jour où le Québec deviendrait un État souverain, il fallait plutôt rechercher «une plus grande autonomie», c'est-à-dire de nouveaux pouvoirs, grâce à la tenue de référendums sectoriels.
Les impératifs de la course au leadership avaient amené Mme Marois à mettre une sourdine à ces propositions hérétiques, mais les décisions du congrès de juin lui causaient un inconfort manifeste, qui lui inspirait des compromis parfois loufoques. Par exemple, elle proposait de tenir un référendum moins d'un an après l'élection d'un gouvernement péquiste, mais «à condition qu'il soit gagnant».
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La rapidité avec laquelle les coups de théâtre se sont succédé depuis une semaine a de quoi donner le tournis. Une fois que l'euphorie du couronnement sera passée, tout ne sera peut-être pas aussi facile qu'il n'y paraît.
Même s'il peut sembler à une personne sensée que le PQ n'a plus les moyens de s'entre-déchirer, l'expérience des deux dernières années montre qu'il ne faut jamais sous-estimer sa capacité d'autodestruction. Le premier ministre Charest le soulignait hier: «C'est plus facile de changer le chef que le PQ.»
Il s'en trouvera toujours pour expliquer la défaite du 26 mars par la trop faible insistance sur la souveraineté et pour plaider que le PQ doit se déplacer non pas vers le centre, mais vers la gauche.
Au contraire, même faites avec le sourire, les propositions de Mme Marois signifient un retour aux «conditions gagnantes» et un coup de barre à droite. Elle a également laissé entendre que le PQ appuierait Mario Dumont dans sa démarche autonomiste, si l'ADQ prenait le pouvoir.
Depuis la fondation du PQ, les éléments les plus radicaux ont toujours su courber la tête quand il le fallait, pour mieux la relever quand le chef devenait plus vulnérable. Le SPQ Libre accueille favorablement la candidature de Mme Marois, mais la «chance au coureur» est souvent un repli stratégique.
Les sondages effectués à chaud doivent être considérés avec prudence, mais il est clair que l'arrivée de Mme Marois chambarde le paysage politique. Devant un gouvernement qui subit l'usure d'un premier mandat très difficile et une opposition officielle dont la capacité de gouverner demeure un sérieux point d'interrogation, le PQ peut redevenir une solution de rechange attrayante pour l'électorat, s'il parvient à négocier son virage sans trop de heurts.
Heureusement, la barre ne sera pas trop haute pour Mme Marois. Aucun chef péquiste depuis Jacques Parizeau n'a eu droit à une deuxième chance après une défaite. À défaut du pouvoir, redonner au PQ son statut d'opposition officielle constituerait déjà un progrès.
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mdavid@ledevoir.com


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