Le Bas Churchill
Il y a quelques jours, l'Assemblée nationale condamnait unanimement la volonté des partis fédéraux d'offrir une garantie de prêt de 4,2 milliards de dollars pour financer un câble sous-marin qui permettrait à la province de Terre-Neuve-et-Labrador d'exporter l'électricité produite par sa future centrale du Bas-Churchill.
Le gouvernement du Québec a déclaré que le Québec a assumé seul le coût total de ses installations hydroélectriques et que l'intervention fédérale accorderait donc à Terre-Neuve-et-Labrador «un avantage indu». Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a renchéri: c'est «une coalition Canada contre les intérêts du Québec». M. Duceppe n'accepte pas «qu'avec notre argent, Terre-Neuve va nous concurrencer dans la vente d'électricité» et juge qu'une garantie de prêt est «une gifle au visage» du Québec. André Pratte, éditorialiste en chef de La Presse, affirme qu'Hydro-Québec sera «la principale victime de cette concurrence déloyale».
Cette indignation vertueuse est-elle justifiée? En 1996, lors d'un discours livré au club Rotary de Montréal, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Brian Tobin, affirmait que depuis la mise en service du complexe des chutes Churchill en 1976, Hydro-Québec avait réalisé des profits de l'ordre de 600 millions de dollars par année - soit 96% des profits de la vente de l'hydro-électricité du Labrador - tandis que Terre-Neuve-et-Labrador n'en avait retiré que 4%. M. Tobin rapportait aussi que l'entente prévoyait une augmentation de la part des profits d'Hydro-Québec à 98% de 1996 à 2016, soit 56 milliards de dollars pour la période restante du contrat.
Selon M. Tobin, Hydro-Québec avait formellement reconnu, dans une «déclaration d'intention» signée en 1984, la nécessité de renégocier l'entente sur le complexe des chutes Churchill pour permettre à Terre-Neuve-et-Labrador de «tirer une part équitable» de l'exploitation de ses ressources hydrauliques. Le premier ministre Tobin se disait confiant que les Québécois, informés des circonstances de l'entente, comprendraient qu'une grave injustice avait été commise envers les résidants de sa province - qui possédait jusqu'alors l'une des économies les plus faibles du pays - et seraient prêts à trouver une solution «en travaillant ensemble de bonne foi» qui comprendrait le développement conjoint du Bas-Churchill.
Comme il se trompait! Quinze ans plus tard, Hydro-Québec refuse toujours de renégocier. Des dizaines de milliards de dollars de profits sont versés à Hydro-Québec en vertu d'une entente injuste et inéquitable. Une somme faramineuse, dépassant largement les 4,2 milliards de dollars en garantie de prêt promis par Ottawa. De l'argent gagné sur le dos des résidants de Terre-Neuve-et-Labrador, les propriétaires de cette ressource hydroélectrique.
C'est dans ce contexte et devant le refus d'Hydro-Québec de lui accorder l'accès à ses lignes de transport que Terre-Neuve-et-Labrador s'est tourné vers le gouvernement fédéral - pas pour du financement - mais pour une garantie de prêt pour installer un câble sous-marin qui transportera son énergie en contournant le Québec. Avantage indu, concurrence déloyale ou justice immanente? Les politiciens au Québec qui cherchent quelqu'un à blâmer pour cette tournure des événements feraient bien de se regarder dans le miroir.
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Gerald Heckman
L'auteur est professeur adjoint de droit à l'Université du Manitoba, à Winnipeg. Il signe ce texte à titre personnel.
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