Faute d’explication sensée à la crise actuelle, certains intellectuels qui se présentent comme pragmatiques qualifient les étudiants d’idéalistes influencés par leurs aînés syndicalistes, environnementalistes ou artistes, ces éternels opposants au changement. C’est faire trop d’honneur aux forces progressistes, qui, avouons-le, ont plutôt mal résisté aux assauts du conservatisme depuis quinze ans.
L'actuelle crise des droits de scolarité serait donc une preuve de plus que le Québec est incapable de s’adapter aux exigences de l’économie moderne. À ranger sur la même tablette que la résistance aux gaz de schiste, au Plan Nord, à la construction du Suroît et du terminal méthanier Rabaska, à la hausse des tarifs d’électricité, à l’imposition d’une contribution santé et d’un ticket modérateur…
Soyons sérieux. D’abord, plusieurs de ces projets ont quand même vu le jour malgré une opposition légitime. D’autres, heureusement, sont morts faute de justification suffisante. Qu’on pense au projet du Suroît : qui regrette cet avortement, alors qu’Hydro-Québec est aux prises avec l’obligation de verser chaque année 200 millions à TransCanada Energy pour ne pas produire d’électricité à la centrale jumelle de Bécancour ?
Notre social-démocratie en arrache, mais elle est encore vivante grâce aux pressions populaires. N’a-t-il pas été démontré que l’appartenance au secteur public constitue un facteur d’économies de premier plan pour toute société qui veut assurer l’accessibilité universelle à des services comme la santé et l’éducation ?
Lorsque nos institutions publiques ne produisent pas les résultats escomptés, on montre facilement du doigt la bureaucratie trop lourde, mais il arrive que le favoritisme soit en cause, ou encore qu’on emprunte aveuglément à la logique du privé. Pensons aux privilèges accordés aux dirigeants de sociétés d’État ou à la rémunération des médecins qu’on a laissé grimper de 55 % depuis cinq ans !
La social-démocratie, c’est aussi la possibilité de participer collectivement aux grands débats d’orientation de l’État même en dehors des périodes électorales. Or, depuis l’arrivée au pouvoir du Parti libéral de Jean Charest, il y a neuf ans, et de Stephen Harper à Ottawa, on n’en a plus que pour le monde des affaires.
L’actuelle génération de jeunes Québécois n’est ni plus ni moins idéaliste que celles qui l’ont précédée et certainement très peu influencée par les centrales syndicales et les intellectuels de gauche, plutôt absents de la scène politique depuis vingt ans. En début de conflit, aucun étudiant n’avait envisagé de devoir sacrifier sa session pour combattre le gouvernement et ses politiques. Tous ont été pris au jeu des rapports de forces dans lequel M. Charest les a poussés petit à petit par son entêtement à les traiter de haut.
Une fois ce conflit terminé, le Québec fera toujours face à un endettement élevé, une structure d’imposition progressive mais coûteuse et des services publics sous tension. Comment les jeunes s’impliqueront-ils ? Seront-ils les nouveaux défenseurs du modèle social qu’ils ont appris à connaître, ou deviendront-ils, au contraire, les partisans d’un modèle de société qui confond volontairement les mots liberté et laisser-faire, responsabilité et individualisme ?
Une chose est certaine, le cours de politique 101 qu’ils suivent depuis plus de trois mois leur aura appris tôt dans la vie que la démocratie n’est pas seulement une affaire d’élections, mais aussi d’émotions à contrôler, de convictions, de jeux d’influences… et malheureusement de rapports de forces.
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