Le mouvement étudiant s’est retrouvé à l’avant-plan d’un large mouvement social émergeant d’une crise latente, qui se manifestait à travers de nombreux problèmes, celui du logement, de la précarisation et de la délocalisation de l’emploi, du recul du français, de l’itinérance, du pillage des ressources naturelles et du saccage de l’environnement, des attaques antisociales du gouvernement fédéral, etc. Pas plus que le Mouvement des Indignés, il ne peut assumer la direction de ce mouvement social global, et encore moins se constituer en véhicule politique pour défaire le gouvernement du PLQ aux prochaines élections. Par ailleurs, les fantasmes “insurrectionnels” d’une frange étudiante animée par une mauvaise conscience de classe, s’ils servent à l’occasion de “carburant” militant, peuvent s’avérer constituer un des pires ennemis du mouvement.
Alors que le mouvement était en voie de marginalisation, c’est le coup de force antidémocratique du gouvernement (Loi 78), faisant suite à des parodies de négociation, qui a permis à la mobilisation étudiante d’éviter un isolement qui aurait pu lui être fatal.
Face à un gouvernement qui dispose d’une artillerie lourde, avec des forces policières transformées en milices politiques par la Loi 78 (sans compter un possible recours à l’armée), à des institutions judiciaires massivement détournées de ce qu’on appelle la Justice, ainsi qu’à un immense appareil médiatique de propagande, le mouvement, placé dans une étrange situation de lock-out et de grève prolongée, a devant lui un défi stratégique considérable et en partie inédit !
Quelques éléments stratégiques, parmi d’autres
Il s’agit pour le mouvement étudiant, de bien expliquer ses revendications pour élargir le soutien de la population (sans oublier l’ensemble du milieu étudiant…), mais aussi de maintenir et développer son unité interne au delà des sensibilités politiques et du fractionnement organisationnel, de préserver ses forces militantes affectées en partie par un épuisement inquiétant conjugué à une forme de jusqu'au-boutisme, sans compter les effets d’une répression policière et judiciaire massive.
Si le mouvement commence à briser un certain clivage générationnel accentué par la structure d’une société vieillissante, il a encore fort à faire pour faire refluer l’indifférence voire l’hostilité d’une partie des “moins jeunes”... Il en est de même pour le fractionnement géosocial qui oppose Montréal, la “ville rouge”… aux régions.
Par ailleurs, implicitement ou explicitement, le mouvement est traversé par la question nationale du Québec, ne serait-ce que dans la perspective d’un modèle éducatif postsecondaire québécois, qui serait en rupture avec la tendance néolibérale de l’Amérique du Nord. L’incontournable problématique sociopolitique du lien entre la question sociale et la question nationale refait ici surface. Une nouvelle Révolution tranquille, celle du XXIe siècle dans le contexte d’une société-monde, pourra-t-elle se faire sans notre indépendance nationale ? Peut-on être citoyen du monde sans être d’abord citoyen du Québec ?
La question sociologique et stratégique des classes sociales
Parmi de nombreux éléments d’un défi stratégique global, soulignons la question des classes sociales qui a toujours constitué le talon d’Achille du mouvement. En effet, en tant qu’émanation d’un milieu social majoritairement issus de la petite-bourgeoisie ou destiné à cette classe, le mouvement doit clarifier et mettre en œuvre une alliance avec la classe ouvrière et en particulier la jeunesse ouvrière qui a subi la sélection sociale et culturelle opérée par l’école primaire et secondaire.
Alors que le mouvement étudiant bénéficie actuellement d’un certain soutien de la part du mouvement syndical et populaire, il doit démontrer, au delà de la sympathie suscitée par le courage des militants, qu’il ne représente pas les intérêts d’une future élite socioéconomique, mais qu’il se comporte en allié du monde ouvrier et populaire. Cela suppose d’extraire de son discours les représentations antisociologiques d’une fausse “classe moyenne”, qui masque des différences de classe réelles, entre la classe ouvrière, la petite-bourgeoisie, et les différentes fractions de la bourgeoisie, et ceci afin de clarifier les enjeux d’une alliance stratégique entre la classe ouvrière et la petite-bourgeoisie (classe “caméléon”, par nature).
C’est dans une perspective à la fois lucide et solidaire, avec la refondation d’une alliance entre le monde ouvrier et la petite-bourgeoisie, que le mouvement étudiant pourra devenir un des acteurs d’une nouvelle Révolution tranquille, essentielle pour préserver notre société d’un naufrage planifié par un capitalisme financier renouant avec la barbarie de ses origines.
Pour conclure dans une considération d’urgence: faut-il laisser aux seuls stratèges du pouvoir, le savoir politique selon lequel la répression peut engendrer autant la démobilisation que la résistance ?
Yves Claudé
NB: Merci de bien vouloir ne pas considérer les éléments qui précèdent comme une “leçon à l’usage des jeunes générations” et encore moins comme un énoncé de “vérités”…, mais plutôt comme la modeste contribution d’un sociologue et d’un ancien militant du mouvement étudiant.
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1 commentaire
Dominique Beaulieu Répondre
26 mai 2012C'est tout de suite qu'il faut commencer : http://rolandricher.org/
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