L’auteur est un militant antiraciste et antifasciste
On a vu dernièrement le premier ministre du Québec, Monsieur Philippe Couillard, s'indigner suite à l'intrusion de membres du groupe Atalante dans les locaux du média Vice et, par ailleurs, la mairesse de Montréal, Madame Valérie Plante, s'émouvoir à juste titre de la présence d'un drapeau nazi sur le toit d'un immeuble à Montréal.
S'il est ainsi opportun de dénoncer une violence symbolique provenant de l'extrême droite (faible numériquement et marginalisée au Québec), on peut cependant s'étonner et s'inquiéter du silence assez généralisé de nos élus, relativement à la violence physique, souvent très grave, perpétrée par des milices s'autoproclamant indûment « antifas » (« antifascistes »), contre des citoyens pacifiques, ainsi qu'à propos d'actions organisées de vandalisme contre des biens privés ou publics, sans compter les émeutes annuelles ritualisées du 15 mars et du 1er mai à Montréal.
Quelles seront les réactions de nos élus face aux violences appréhendées de la part des milices de cagoulards à Québec à l'occasion du G7, déstabilisant et discréditant un mouvement altermondialiste légitime, et alors que face à la menace de ces groupes, on assiste honteusement à la fermeture de l'Assemblée nationale ?
Des agressions physiques graves : de simples « faits divers »?
Le 11 avril dernier, à Montréal, des miliciens « antifas » attaquaient une réunion de membres de La République en Marche, le parti du président français Emmanuel Macron. Dans sa section « faits divers », le quotidien La Presse, faisait état de deux personnes gravement blessées par les assaillants : «Un traumatisme crânien, des côtes cassées, du gaz poivre dans le visage (...)». Cette attaque, affectant la liberté d'association et de réunion, a été amplement médiatisée au Québec et en France. Je ne suis pas un sympathisant du parti de Monsieur Macron, mais j'ai été troublé par le silence de nos élus (Madame Plante, Monsieur Couillard, etc.) à ce sujet, alors qu'il s'agissait d'une atteinte intolérable à la démocratie !
En dérive, depuis son apparition il y a une trentaine d'années, vers des pratiques violentes et fascisantes empruntées en bonne partie au mouvement néonazi et au Ku Klux Klan, et plus récemment vers des actions relevant du terrorisme, le mouvement « antifa » constitue au Québec une force politique clandestine organisée, bénéficiant d'une étonnante impunité, avec des centaines d'individus impliqués dans divers types d'actions. Alors que depuis quelques années, de nombreuses enquêtes pour voies de faits graves, pour vandalisme et saccage, menées par les services policiers de Montréal et de Québec ainsi que par la Sûreté du Québec peinent à aboutir, nos élus semblent indifférents à la montée de ce mouvement et de ses violences.
Le mouvement prétend lutter contre l'« extrême droite’ (sic), mais ce sont en fait de plus en plus des personnes et groupes progressistes qui sont l'objet de menaces et d'agressions ayant pour objectif de nier leur liberté d'expression. C'est ainsi que le 8 septembre 2017 à Montréal, une conférence féministe a dû se tenir sous haute protection policière. Il en a été de même à Montréal pour des manifestations contre les politiques du PLQ dans la santé et l'éducation (23 avril 2017 et 15 avril 2018), alors que la Marche des Patriotes est régulièrement l'objet de tentatives d'agression de la part des cagoulards « antifas ». De nombreuses autres exactions et menaces à la démocratie ont ainsi été banalisées, et passées dans la catégorie des « faits divers » !
Une mouvance « antifa » très diversifiée
Il faut souligner le fait que la mouvance « antifa », qui recrute principalement des membres de la petite-bourgeoisie, de formation universitaire (étudiants, enseignants, etc.), constitue un ensemble très diversifié avec, par exemple, un pôle maoïste minoritaire et, d'autre part, une variété de sous-groupes de tendance « anarchiste ». Le mouvement, qui s'expose et recrute à travers de nombreuses entités (surtout anonymes) dans le monde virtuel d'internet et des médias sociaux, dispose aussi d'une base associative concrète importante (coopératives, implantation dans le milieu communautaire, etc.), avec des activités artistiques et musicales, avec une section « syndicaliste », mais aussi des groupes d'entraînement aux sports de combat, et des sections spécialisées dans différents types de violence (organisation d'émeutes, sabotage industriel, agressions d'individus, etc.).
Le rapport à la violence est cependant variable, et il importe d'être nuancé à ce sujet: si la violence physique et matérielle constitue un principe de base pour lutter contre le « fascisme » (sic), alors que certains s'organisent en commandos pour agresser sauvagement des citoyens ciblés, effectuer du vandalisme et du sabotage, etc., d'autres individus émettent discrètement des réserves à ce sujet, en particulier sur les pratiques de lynchage perpétrées par des bandes masquées, comme celle dont a été victime Monsieur Éric Roy à Québec, le 20 août 2017.
Organisation et division du travail
On ne devrait pas sous-estimer le degré d'organisation d'une mouvance qui affiche extérieurement sa « spontanéité » et l'« autonomie » de ses entités, mais qui s'est fortement structurée depuis une dizaine d'années, développant une culture et une identité forte et attractive, détournant massivement des ressources matérielles et financières d'associations étudiantes vidées de leur démocratie, s'imposant jusque dans le milieu des sympathisants de Québec solidaire et du NPD. La mouvance « antifa » québécoise est intégrée dans un réseau transnational, notamment à travers les liens entre le site anarcho-terroriste « Montréal Contre-Information » et la plate-forme virtuelle mondiale « 325.nostate ».
Il s'est établi une division du travail entre :
- Les propagandistes (étudiants et enseignants universitaires principalement) qui s'emploient à élaborer et diffuser une idéologie insurrectionniste (inspirée par les théoriciens du « Comité invisible »), à légitimer les différents types de violence, etc. Cette propagande a cependant tendance à se réduire à des slogans (ex: « Tout le monde déteste la police », etc.) et à une représentation simpliste des questions sociopolitiques, alors qu'elle véhicule de plus en plus des fantasmes de lutte armée.
- Les enquêteurs (individus ou entités le plus souvent anonymes, ou agissant sous de fausses identités) qui ciblent des citoyens d'une manière généralement mensongère et diffamatoire, publiant leurs noms et photographies, identifiant leurs employeurs (tentatives pour faire perdre leurs emplois), et de plus en plus, les adresses de leurs résidences. À travers ces différentes entités virtuelles anonymes (« Montréal Contre-information », « On jase », etc.) plusieurs centaines de citoyens sont ainsi ciblés et menacés. Il suffit d'ailleurs de dénoncer la violence des « antifas » pour être ciblé !
- Les miliciens : individus et groupes clandestins, agissant masqués et cagoulés, qui vont effectuer des actions violentes contre les personnes ou entreprises précédemment ciblées et menacées. Ces unités de miliciens comprennent des sections de skinheads, et sont maintenant constituées formellement dans certaines universités (UQAM, Université Concordia) et dans quelques cégeps. Une des milices les plus violentes, le RASH (« Red and Anarchist Skinheads », récemment implantée à l'UQAM...), avertissait ainsi des citoyens préalablement agressés : «Combien de voyages à l'hôpital ça va vous prendre, pour comprendre qu'on ne rigole pas !» (Facebook).
Le Parti québécois, nouvelle cible de la mouvance « antifa »
Qualifié de « parti raciste » par la propagande « antifa » (tracts diffusés en 2017 et 2018, etc.), c'est principalement du fait de sa défense des valeurs modernes, en particulier l'égalité femmes-hommes et la laïcité, que le PQ est actuellement ciblé. L'association des « antifas » et de l'islam politique s'est d'ailleurs affirmée dans le contexte d'une offensive intégriste contre la « Charte des valeurs », alors que l'on a pu observer dans la même manifestation anti-laïcité (14 septembre 2013 à Montréal) la présence de cadres du mouvement « antifa » et, d'autre part, de jeunes recrues jihadistes proches de l'organisation de cette mobilisation.
L'équation propagandiste est simple : les partisans de la laïcité sont « islamophobes », donc « racistes », donc « fascistes »... ce qui autorise des entités anonymes à dresser des listes de membres ou sympathisants du PQ, et à les désigner implicitement aux violences des miliciens.
Un nouveau fascisme en émergence ?
Il pourrait paraître étonnant voire déraisonnable de faire le constat, ou simplement l'hypothèse, de l'émergence d'un nouveau fascisme au sein d'une mouvance qui se proclame « antifasciste », « anticapitaliste », « antiraciste », etc.
Cependant, dans un contexte de brouillage et de mutation des repères et notions politiques, d'inversion des pôles idéologiques, alors que les valeurs du Québec moderne sont stigmatisées comme étant « racistes » et « fascistes », il importe de s'interroger sur la nature d'un mouvement qui prend de plus en plus pour cible les valeurs progressistes et la démocratie.
De par sa volonté de s'approprier les espaces urbains et ceux des institutions, ce mouvement se présente comme une formation politique totalitaire. Ainsi, dénaturant le slogan rassembleur et mobilisateur du mouvement étudiant de 2012 (« À nous la rue ! »), les milices « antifas » proclament que la rue « leur appartient », ainsi que certaines institutions (universités, etc.) : cela signifie que toute expression politique « non conforme » sera l'objet de menaces et d'agressions, et éventuellement de violences extrêmes (suivant le principe qu'« Un bon fasciste est un fasciste mort »). Il s'agit donc de contester à l'État moderne le monopole de la violence légitime, pour y substituer une violence anonyme et factieuse.
Il est opportun de rappeler que c'est au sein d'une mouvance semblable, anarcho-révolutionnaire, que le fascisme mussolinien s'est élaboré et développé dans l'Italie des années 1920, et que le nazisme a d'abord pris la forme d'une organisation politique ouvrière « anticapitaliste » ! À la différence du fascisme du XXe siècle, produit politique contradictoire ayant servi objectivement à préserver les intérêts des bourgeoisies nationales dans un capitalisme en crise, le fascisme émergent du XXIe siècle est en phase avec un capitalisme financiarisé et mondialisé, d'où son offensive contre les États, leurs frontières, contre les nations et leurs identités en résistance face à l'uniformisation mondialisante.
Le nouveau fascisme, symbolisé par la figure d'individus cagoulés, se constituant à travers les violences de minorités anonymes et clandestines, orienté vers une mythique « insurrection », est donc en rupture avec la démocratie, et avec la majorité des valeurs des sociétés modernes.
Pour un antifascisme pacifique et démocratique !
Les citoyens qui sont véritablement antifascistes et antiracistes doivent se dissocier radicalement des milices de cagoulards et de leur idéologie, pour relancer le mouvement antifasciste, sur des bases authentiques, pacifiques et démocratiques.
Quant aux élus et représentants des partis politiques, ils doivent sortir de leur lourd silence et dénoncer clairement la violence des milices fascisantes et la menace qu'elles représentent pour la démocratie, ceci concernant tout particulièrement les députés de Québec solidaire, alors que Madame Manon Massé a eu l'imprudence de s'associer à une manifestation de cette mouvance, le 12 novembre 2017 à Montréal.
Il ne s'agit pas de s'en prendre à des individus comme le font les cagoulards, mais de mener un véritable combat politique, de défendre efficacement et courageusement les valeurs de notre société moderne, face à ce qui apparaît comme l'émergence d'un nouveau fascisme, antisocial et antinational, dissimulé derrière son masque « antifa » !
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[Illustrations : Publications du RASH (« Red and Anarchist Skinheads ») de Montréal sur Facebook: «Combien de voyages à l'hôpital ça va vous prendre, pour comprendre qu'on ne rigole pas !» / Figures identitaires de cagoulards «Jeune Garde - Montreal Street Warriors»]