Simple mésentente?

Au sommet du G8 qui s'ouvre aujourd'hui, l'atmosphère risque d'être glaciale entre Bush et Poutine

G8 à Berlin 2007

Vladimir Poutine est en colère. Le déploiement d'éléments du système de défense antimissile américain aux frontières de la Russie, dit-il, menace la sécurité de son pays et il va prendre les moyens afin d'en contrer les effets déstabilisateurs. Absurde, répond-on à Washington. Le système est défensif et vise à contrer la menace des États voyous. Poutine est invité à se calmer et à régler cette question par le dialogue. Simple mésentente? Non.
Contrairement à ce que peuvent laisser croire la diatribe du président russe et la réaction américaine, la défense antimissile n'est qu'un élément à l'origine de la tension entre les deux pays. Le malaise est bien plus profond et les deux pays portent une part de responsabilité dans la dégradation de leurs relations.
Vladimir Poutine revient de loin. Dans le numéro de mai-juin du trimestriel américain The National Interest, le spécialiste russe Alexey K. Pushkov décrit comment la Russie en général et Poutine en particulier ont été accommodants envers les États-Unis depuis la chute du mur de Berlin et comment ils ont été à chaque fois déçus.
À peine installé au pouvoir en 2000, le président russe a poursuivi l'approfondissement des relations avec les États-Unis engagé par ses prédécesseurs en espérant être payé de retour. Le 11 septembre, il a été le premier chef d'État à manifester sa solidarité auprès du président Bush. Contre l'avis de plusieurs de ses conseillers, il a appuyé la guerre contre les talibans en donnant son feu vert à l'installation de bases américaines dans plusieurs ex-républiques d'Union soviétique et en fournissant quantité d'informations confidentielles. Il ne s'est pas opposé farouchement à l'élargissement de l'OTAN aux pays de l'Est à condition qu'aucune base militaire n'y soit installée.
En retour, Poutine a demandé que la voix de la Russie sur les grandes questions internationales soit respectée et que les États-Unis lui reconnaissent une influence dans l'ex-empire soviétique. Peine perdue, écrit Pushkov. Les États-Unis se sont mêlés de tout. Ils ont poussé de petits pays comme la Moldavie et la Géorgie à défier Moscou. Ils ont appuyé, sinon suscité, des révolutions démocratiques en Ukraine ou ailleurs. Ils ont discrètement appuyé des oligarques - soudainement transformés en démocrates - dans leur lutte contre Poutine et ses politiques visant à soustraire la propriété du gaz et du pétrole de leurs mains et de celles de l'étranger. Ils ont envahi l'Irak et tentent de déstabiliser l'Iran, un partenaire commercial de premier plan pour la Russie.
Enfin, et c'est sans doute la goutte qui a fait déborder le vase, ils ont poussé la Roumanie, la Pologne et la République tchèque à accueillir des installations militaires sur leur sol. D'où, depuis quelques mois, les violentes sorties de Poutine contre l'"impérialisme" américain. Et le président russe n'est d'ailleurs pas le seul à voir les choses sous cet angle en Russie. Dimanche, son prédécesseur, Mikhaïl Gorbatchev, a vivement critiqué les rêves d'empire des États-Unis.
La Russie se sent donc de plus en plus assiégée et elle n'a pas tout à fait tort. Elle n'est toutefois pas une victime innocente dans ce jeu subtil et complexe entre puissances déterminées à maintenir leur suprématie. Les ingérences russes, parfois brutales, en Ukraine et au Belarus, le chantage sur l'acheminement du gaz vers l'Europe, les assassinats d'opposants et de journalistes, les menaces envers les ex-pays communistes trop alignés sur l'Occident fragilisent chaque jour un peu plus les relations entre la Russie et ses partenaires occidentaux.
Et que dire des facéties burlesques du président russe? La semaine dernière, s'adressant à des journalistes occidentaux, il s'est comporté comme Hugo Chavez. Il a affirmé sans rire qu'il était le seul vrai démocrate sur la planète et que les États-Unis étaient minés par la violence, la pauvreté et les violations des droits humains. Devant la résurgence de la puissance russe et le comportement de son président, qui peut blâmer les pays d'Europe centrale et orientale de vouloir s'ancrer fermement à l'Ouest?
Cette collision entre les deux Grands était-elle inévitable? D'une certaine façon oui, écrit Pushkov. La Russie a cru un instant à un grand partenariat d'égal à égal avec les États-Unis. Il n'en a jamais été question du côté américain, où la Russie était vue comme un partenaire parmi d'autres. Poutine a-t-il été trahi? Il veut bien le croire.
Au sommet du G8 qui s'ouvre aujourd'hui en Allemagne, l'atmosphère risque d'être glaciale. La question du déploiement du système de défense antimissile sera abordée. Ce système n'a aucune utilité, la menace des missiles iraniens et nord-coréens étant inexistante. Si elle devait s'avérer un jour, elle peut être contrée par le système déjà en place en Alaska. Il est malheureusement trop tard pour reculer sans faire perdre la face aux États-Unis, à la Pologne et à la République tchèque dont l'extrême imprudence dans cette affaire frise la provocation. Il faudrait plutôt trouver un compromis sous la forme d'une participation de l'OTAN et de la Russie à la mise au point d'une défense antimissile européenne où les États-Unis ne joueraient pas un rôle prépondérant. Quant à la suite des choses espérons qu'à Moscou et à Washington le bon sens prévale.
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L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal. j.coulon@cerium.ca


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