Séparatisme, facteur de démocratie

Chronique de José Fontaine

Hier je lisais dans La Presse, grâce à VIGILE, un article où le séparatisme et l'indépendantisme étaient fustigés. On veut bien que ceux qui veulent rompre des unités humaines soient mal vus. Mais quand on voit ce qu'est le Canada prétendument «uni» et ce que donne la Belgique soi-disant «unie»... Est-ce que la démocratie ne naît pas toujours de quelque chose qui s'appelle négativement le «séparatisme», mais qui vaut mieux que ce méchant mot?
Une rencontre de type confédéral?
Les ministres du Gouvernement wallon et ceux du Gouvernement flamand se sont rencontrés à Namur hier dans ce que l'on appelle l'Elysette, c'est-à-dire le siège de la Présidence wallonne. On pourrait y voir le signe que les entités fédérées vont prendre le dessus sur l'Etat fédéral. Mais cet événement symbolique n'est pas de nature à rendre plus compréhensible la façon dont la Wallonie fonctionne.
A première vue cette rencontre serait de type confédéral. De fait ces deux gouvernements détiennent ou sont en passe de détenir bien plus de pouvoirs que le gouvernement fédéral. Et c'est bien le but du Président du Gouvernement flamand, Kris Peeters, de donner la primauté aux entités fédérées au sein de la fédération belge. Mais...

D'abord si la réunion a eu lieu à Namur ce n'est pas nécessairement à la demande des Wallons (du moins des dirigeants wallons actuels), qui peut-être auraient mieux aimé que la rencontre ait lieu à Bruxelles (hypothèse). En outre, il serait trop naïf de croire que deux seuls Gouvernements se sont rencontrés puisqu'il y en avait un troisième, celui d'une entité fédérée qui s'est appelée de divers noms au cours de sa pourtant brève existence, preuve de son inconsistance et qui s'appelle depuis peu Fédération Wallonie-Bruxelles qui, comme son nom ne l'indique pas, n'est justement pas une fédération (une fédération fédère des éléments distincts), mais le fait que le gouvernement wallon et le gouvernement bruxellois ne sont pas compétents en matière d'enseignement et de culture, ceci étant laissé aux Communautés flamandes et française, cette dernière étant baptisée «Fédération».
Ces Communautés étaient l'exigence flamande tandis que les Régions (Wallonie, Bruxelles, Flandre), étaient l'exigence wallonne au départ de la réforme de l'Etat belge. Le compromis institutionnel garde les deux. Mais comme la Flandre comme Région (6 millions d'habitants), n'a que quelque 100.000 ressortissants flamands à Bruxelles (au titre de la Communauté flamande), elle a décidé qu'il n'y avait qu'un seul gouvernement flamand qui gouverne tant la Flandre que la minorité flamande à Bruxelles où il s'est d'ailleurs installé. Au contraire, le Gouvernement de la Wallonie (3,5 millions d'habitants) est resté distinct de celui de la Communauté française (les Wallons, mais aussi 8 à 900.000 Bruxellois francophones). En outre existe également un Gouvernement bruxellois responsable de la Région bruxelloise. Il faut dire un mot de ce Gouvernement puisqu'il n'était pas invité.
Le Gouvernement bruxellois était exclu de la rencontre
A la rencontre de Namur, le Gouvernement bruxellois n'était pas invité dans la mesure où, du côté flamand, on considère que l'entité fédérée qui correspond à Bruxelles est d'une moindre importance que la Wallonie ou la Flandre et dans la mesure où l'on a la vision d'une Belgique plutôt à deux qu'à trois, le Gouvernement flamand siégeant, rappelons-le, à Bruxelles, qu'il a institué capitale de la Flandre.
Le fait d'appeler la Communauté française, «Fédération Wallonie-Bruxelles» est aussi, pour les Wallons et les Bruxellois francophones, une façon de rappeler qu'ils n'acceptent pas la vision de la Belgique à deux et aussi sans doute de faire en sorte, quoique indirectement, que Bruxelles soit représentée lors de rencontres de ce type. La fameuse «Fédération Wallonie-Bruxelles» étant d'ailleurs baptisée de cette manière avec l'accord non pas de l'ensemble du Gouvernement bruxellois, mais de sa seule composante francophone, certes de loin la plus importante. La possibilité existe d'ailleurs, étant donné la particularité du fonctionnement institutionnel de Bruxelles, que le gouvernement bruxellois (via une autre entité que contrôle, pourrait-on dire, l'aile francophone de de ce gouvernement, la Cocof - Commission communautaire française), gère lui-même son enseignement (francophone) et la culture (francophone). Ce qui permettrait au Gouvernement wallon d'en faire de même. C'est à quoi tendirent les responsables wallons au début des années 1990. Mais ils hésitèrent au dernier moment devant le transfert de toutes les compétences de la Communauté française à la Région de Bruxelles et à la Wallonie. Tout ce que je viens de dire n'est pas une bonne chose. Je voudrais dire pourquoi.
La Communauté française de Belgique nous tue

La rencontre entre un Gouvernement wallon et un Gouvernement flamand pourrait être symbolique au sens fort du terme. La politique est une question de symboles. Ils peuvent évidemment jeter de la poudre aux yeux comme dans les systèmes totalitaires. Mais la démocratie en a besoin aussi. L'intérêt des symboles c'est la faculté qu'ils ont de parler au plus grand nombre, de rassembler. C'est un peu ce que réalise un bon professeur. S'il donne bien cours, il permet que lui et ses étudiants soient rassemblés autour de la pensée, mettons, d'un grand écrivain, dont il veut transmettre l'inspiration centrale. Et tout professeur sait (en observant les visages de ses étudiants par exemple), si la «mayonnaise prend». Quand elle prend, il se produit quelque chose qui déborde professeur et étudiants, car un cours qui a été compris finit par annuler la distinction entre l'enseignant et les enseignés qui comprennent les choses ensemble.
Quelque chose de ce genre peut se produire en politique. On en arrive parfois, à travers des gestes symboliques, à ce que gouvernants et gouvernés vivent ensemble un projet. C'est comme cela que les peuples se libèrent et s'émancipent au travers de grandes actions collectives. La Communauté française de Belgique, à cet égard, tue le peuple wallon.
Pourquoi et comment elle nous tue
La Communauté française de Belgique (ou la Fédération qui ne fédère pas dite «Wallonie-Bruxelles»), nous tue parce qu'elle empêche cet accord entre gouvernants et gouvernés. On me dira que l'on pourrait expliquer (comme je viens de le faire, en espérant ne pas l'avoir trop mal fait), aux Wallons ce qu'est cette entité absurde. Il y a certains dirigeants qui nous disent la main sur le coeur que cette dualité ne les gênent pas, que cela leur permet de continuer à faire du bon travail et qu'ils saisissent les complexités institutionnelles, tout en en tirant même parti. Mais c'est là très clairement l'aveu de technocrates. Un technocrate, c'est quelqu'un qui comprend les choses, seul. Il tire même son pouvoir de cette solitude. C'est comme cela qu'un homme Di Rupo (un an de Gouvernement fédéral à la Saint-Nicolas, avec d'étranges priorités), aime à présenter les choses. Il faut lui faire confiance, mais il ne fait jamais rien avec ceux qui lui dont confiance. Les ministres wallons qu'il a désignés en grande partie (ou ses collègues de la présidentocratie), sont aspirés dans ce système qui a quelque chose de corrupteur.
Pourquoi la Wallonie était absente à Namur autant que Bruxelles
La meilleure preuve de ce que j'avance, c'est que, chaque fois que se produit un événement à même de faire comprendre aux Wallons ce qu'ils sont et où ils sont (on pourrait en dire de même pour les Bruxellois), il faut commencer par expliquer (comme pour cette rencontre), que le gouvernement de la Wallonie n'est pas à proprement parler le seul à la gouverner avec le fédéral. Il faut de longues explications, de trop longues explications et, au bout du compte, peut-être que certains peuvent comprendre, mais ils restent les seuls en ce cas et, en démocratie, il faut que tous ou du moins le plus grand nombre comprennent. Afin d'agir. Collectivement. Sans cet élan collectif, il n'y a rien. Il n'y a pas de démocratie. Il n'y a pas la République. Il n'y a pas de pays.

On pourrait en conclure que si, effectivement, le Gouvernement flamand était présent à Namur, là où siège le Gouvernement wallon, si la Flandre y était présente, la Wallonie, elle, en était absente. Rudy Demotte est d'ailleurs tant le chef du Gouvernement wallon que celui du Gouvernement de la Communauté française. Il n'y est pas en fonction de responsabilités que lui donne le peuple wallon, mais à, la suite d'une désignation par le Président du PS, Elio Di Rupo qui détient le vrai pouvoir, qui a même le pouvoir indirectement (comme les autres Présidents de partis), d'aller de fait jusqu'à pouvoir désigner les députés du Parlement wallon (ce n'est pas moi seul qui le dit, mais d'anciens grands politiques socialistes d'envergure). Di Rupo est aussi Premier ministre belge, bourgmestre de Mons, avec cette insigne folie de nos dirigeants de vouloir occuper tous les échelons de pouvoir, y compris ceux que la loi leur interdit d'occuper comme la direction de communes dont ils se disent les chefs empêchés. Hier, Face à l'Info nous apprenait même que l'on a changé de formule et que dans les communes dont le bourgmestre est empêché, on désigne maintenant un échevin (adjoint du maire), «délégué à la fonction maïorale» (de « maïeur », vieux mot wallon qui désigne le maire : dommage qu'il ait fallu cette entourloupe pour le réhabiliter).
Ces habitudes, certes analogiquement, font penser à la corruption, à la fraude. Quand le peuple a devant lui des responsables qui ne sont pas les vrais responsables, qui acceptent de revêtir autant de casquettes que celles qu'ils peuvent coiffer (et mêmes qu'ils ne peuvent pas), plus personne ne s'y retrouve. C'est dans cette impasse dramatique se se situe la démocratie wallonne et qu'elle y demeurera. Aussi longtemps que l'on n'aura pas fait la clarté en supprimant la Communauté française. Aussi longtemps qu'on n'aura pas interdit aux responsables des organes supérieurs de l'Etat (Etat fédéral et entités fédérées), de diriger aussi les pouvoirs subordonnés (les communes). Aussi longtemps que l'on n'aura pas agi pour que les dirigeants se limitent à l'exercice d'une seule responsabilité qu'ils assument devant un peuple et un seul.
Le Président du Gouvernement wallon, qui préside également le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (qui n'est même pas une fédération), est désigné lui-même à ces fonctions par le Président du PS, bourgmestre en titre (et en fait) de la Ville de Mons, également Premier ministre belge, Monsieur Elio Di Rupo, de qui il tire ses pouvoirs (de fait bien sûr, non de droit, mais on voit toutes les confusions possibles).
Le Président wallon, également aussi bourgmestre de Tournai n'est, malgré ses immenses qualités, pas qualifié pour diriger une communauté de destin comme l'est la Wallonie : insistons, c'est le système qui le disqualifie. A force de vouloir concurrencer, dans ce système absurde et néfaste, les dieux grecs capables de se métamorphoser à l'infini en une multitude de fonctions de fait, de droit, pour rire, pas pour rire (etc.), il conduit la Wallonie à la confusion et donc au désastre.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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