Retour du «Beau risque»?

Chronique de Patrice Boileau


Au terme d'une rencontre préparatoire des députés du Parti québécois en vue de la rentrée parlementaire automnale, le chef André Boisclair a informé les journalistes qu'il ne comptait pas faire circuler dans la population certaines informations concernant des politiques nationales, et un plan de transition que son parti utiliserait pour réaliser la souveraineté.
Le programme politique du PQ adopté lors du congrès national de juin 2005 prévoyait pourtant la diffusion de tels documents avant le prochain scrutin. Avouons néanmoins qu'aucun pays en devenir ne s'est livré à cette tâche colossale. Les États-nations sont vivants : ils subissent les aléas du temps et tentent de composer du mieux qu'ils peuvent avec. Exiger que les péquistes planifient minutieusement tout ce qui arrivera avec la souveraineté est un travail impossible à accomplir. André Boisclair a raison : « l'analyse fine des textes » viendra plus tard et la société civile aura alors son mot à dire sur la version définitive. Pour l'heure, concentrons-nous d'abord sur l'objectif souverainiste.
Il serait intéressant par contre d'informer davantage les gens sur la forme de gouvernement qui caractérisera un Québec souverain. L'appareil politique, de type républicain, sera doté d'une chambre des régions où siègeront des élus qui veilleront à ce que les besoins des leurs soient efficacement comblés. Les institutions démocratiques d'un pays changent très rarement. Il est donc possible de dévoiler des détails intéressants sur celles qui définiront l'État québécois. Ces renseignements, jumelées aux états financiers que le député de Rousseau, François Legault, a publiés il y a environ un an, peuvent satisfaire les Québécois en attendant que l'indépendance se concrétise et qu'une constitution soit adoptée.
Pour la transition, on se doute un peu de ce qui surviendra. Québec devra en effet s'entendre avec Ottawa sur sa part de la dette canadienne à rembourser, exercice que nous assumons déjà au travers du montant que nous envoyons annuellement au gouvernement fédéral. Les milliards restants s'ajouteront alors aux autres qui forment bon an mal an le budget de l'Assemblée nationale. Le gouvernement du Québec rapatriera par la suite ses ressources humaines qui oeuvrent actuellement sur la scène fédérale et procèdera progressivement, sans doute par attrition, à l'élimination des postes responsables des dédoublements coûteux.
Curieux que le ministre libéral des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, ait conclu que le chef péquiste cherche à ranimer le « beau risque. » En 1984, René Lévesque avait décidé de « renvoyer la souveraineté aux calendes grecques » et d'entreprendre d'ultimes négociations constitutionnelles avec le gouvernement conservateur de Brian Mulroney. À ce que je sache, je n'ai pas entendu André Boisclair annoncer le report indéfini de l'article 1 de son parti! Il faut excuser le député de Chapleau, il est encore étourdi suite au mur qu'il a frappé à la conférence de Terre-Neuve... Le refus radical qu'il a essuyé de ses homologues des autres provinces, malgré des demandes misérabilistes, l'a ébranlé profondément. Depuis, le pauvre répète sans cesse que le programme péquiste est « radical », histoire d'essayer d'atténuer l'ampleur du désastre qui se prépare au chapitre des relations fédérales-provinciales.
Philippe Couillard résume mieux ce que le leader du PQ semble vouloir faire. Le ministre de la Santé du gouvernement Charest s'approche davantage de la vérité lorsqu'il accuse André Boisclair de tenter « d'occulter l'option souverainiste » qui est au cœur de sa formation politique. Ce dernier veut d'abord offrir aux Québécois un bon gouvernement... Provincial. Ensuite, si la conjoncture est favorable, il organisera l'ultime référendum. Cette consultation populaire n'est pas comme les autres. André Boisclair, tout comme la population, le sait. Ce n'est pas pour rien que les Québécois ne veulent pas se lancer dans cette aventure : un troisième NON affaiblira dramatiquement l'anémique rapport de force dont dispose présentement le Québec face au Canada. Le chef du Parti québécois préfère donc taire cette étape critique et désire seulement, dans l'immédiat, s'approprier le pouvoir. C'est ce que monsieur Boisclair appelle « une lecture réaliste de la situation politique. » Étonnant que son pragmatisme ne détecte pas que c'est le « quitte ou double référendaire » qui l'amène à agir de la sorte. Le PQ n'offre pas une réponse adéquate aux Québécois depuis la fraude fédérale de 1995.
Cette « stratégie » est un recul du dirigeant péquiste, puisqu'il louangeait encore dernièrement le programme de son parti. Soyez assurés que les fédéralistes et toute la machine médiatique qui est à leur service se chargeront de le faire savoir au peuple. André Boisclair vient de placer sa formation politique sur la défensive. Débuter une campagne électorale dans cette position est très mauvais et ne ravivera pas les appuis du PQ dans les prochains sondages. Des jours difficiles s'annoncent pour le député de Pointe-aux-Trembles. S'accrocher désespérément à un mode d'accession à la souveraineté qui n'offre dorénavant qu'une seule et dernière chance paralyse le Parti québécois depuis dix ans, au grand plaisir d'Ottawa. Tant pis pour lui. D'autant plus qu'il est possible de préconiser une autre démarche plus souple qui permettrait au PQ de passer à l'offensive.
Nous voilà donc retombés dans nos bonnes vieilles ornières attentistes qui hélas, nous sont que trop familières! Revoici aussi ce cliché archi usé qui veut qu'une élection ne doive que servir à juger le bilan du gouvernement sortant! Même Bernard Descôteaux du Devoir l'a encore écrit dans son éditorial du samedi 7 octobre dernier! Interdit donc de proposer quelque projet que ce soit durant une campagne électorale : cela mélangerait les gens... Un argumentaire aussi pitoyable évoque la déclaration tristement célèbre de Kim Campbell durant la campagne électorale fédérale de 1993, tant qu'à remémorer l'époque Mulroney...Celle-ci avait alors affirmé qu'il ne fallait pas discuter d'enjeux fondamentaux lorsque les gens sont appelés aux urnes. Son affirmation avait choqué : comme si l'électorat ne disposait pas de l'intellect requis pour réfléchir! La carrière politique de cette dame a par la suite coupé court, faut-il le rappeler?
Tout est donc en place pour nous servir une fois de plus du réchauffé : les libéraux accuseront les péquistes de camoufler leur projet référendaire, alors que le PQ rétorquera que ces insinuations essaient plutôt de détourner l'attention d'un bilan pitoyable. N'êtes- vous pas fatigués de réentendre ces sempiternels refrains? Avec l'hiver qui approche, je rêve de me transformer en ours et d'hiberner le temps d'éviter la campagne électorale! Il ne me restera qu'à espérer que mon sommeil se prolonge de quatre ans jusqu'au prochain scrutin, et qu'on me proposera alors de sortir le Québec d'une situation nocive qui ne peut plus durer.
Non, ce n'est pas le retour du « beau risque. » Seulement l'attente d'avoir « l'assurance morale de gagner » qui se prolonge. Simplement le maintien des « conditions perdantes...»
Patrice Boileau
_ Carignan, le 9 octobre 2006


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