Dérives du socio-constructivisme...

Réactions du CEQ

Coalition pour l’histoire


Collectif pour une éducation de qualité

Agora vendredi 28 avril 2006
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Réactions du CEQ au projet de programme d'« Histoire et éducation à la citoyenneté » rendu public par Le Devoir, 27 avril 2006
Projet d'Histoire et éducation à la citoyenneté, Programme de formation de l'école québécoise, secondaire, 2e cycle.
Montréal, le 27 avril 2006 - Le Collectif pour une éducation de qualité a obtenu copie du document de travail produit par le Ministère de l'Éducation. C'est après l'avoir lu que nous formulons cette réaction.
Commentaires préliminaires :
Il est tout à fait normal que l'enseignement de l'histoire évolue :
En fonction des découvertes et des nouveaux intérêts des historiens (par exemple, l'histoire des autochtones, l'histoire des femmes, et ainsi de suite).
À la faveur d'un nouveau rapport au passé ou de l'émergence de valeurs nouvelles : c'est ainsi qu'on ne fête plus Dollard des Ormeaux, mais bien les Patriotes ; qu'on a aujourd'hui plus d'intérêt pour les réalités industrielles de la fin du XIXe siècle que pour les congrégations religieuses de la Nouvelle-France.
Cela dit, qu'en est-il de ce projet de programme dont nous avons obtenu copie ?
1. Ce nouveau programme s'inscrit tout à fait dans la perspective « socio-constructiviste » au cœur de la réforme scolaire, et que nous dénonçons. Pour les auteurs du document, les « connaissances factuelles de type encyclopédique » (p. 497) n'ont aucun intérêt ; ce qui importe avant tout, c'est « interpréter les réalités sociales » d'aujourd'hui. Idem pour les méthodes d'investigation du passé, propres à la discipline historique ; l'histoire est utile seulement dans la mesure où elle « apprend à chercher de l'information », « mobilise les compétences langagières » (p. 503).
Il y a là une prémisse incontournable de laquelle on peut tirer les deux critiques suivantes:
a. On souhaite que les jeunes « interprètent » les réalités sociales, mais on discrédite l'apprentissage des « faits ». Ce qui signifie qu'on procède à l'envers car c'est la connaissance des faits qui permet, le cas échéant, d'interpréter le passé et le présent. Avant de rédiger de la poésie, d'écrire des romans ou des essais, il faut connaître ses règles de grammaire. Les « faits » sont un peu la grammaire de l'histoire, sa matière brute à partir de laquelle on peut travailler, habiter le passé, saisir une continuité.
b. Ce qui ressort de ce document c'est que l'histoire, en tant que telle, n'a aucune valeur intrinsèque. Elle est, d'une certaine façon, tout entière justifiée de manière instrumentale, et notamment par ce qu'elle permet de dire des problèmes actuels envisagés comme autant de « réalités sociales ». On ne retient plus du passé que ce qui annonce le présent. Le message sous-jacent est le suivant: étudier le passé pour le comprendre en lui-même et pour lui-même n'a aucun intérêt. L'histoire est au service de l'actualité, non plus de la culture ; elle sert à décrypter les journaux quotidiens, non pas à donner de la perspective ou à instituer une certaine distance au monde. Pour être utile, l'histoire doit éviter tout dépaysement, elle ne doit traiter que de sujets familiers.
2. Le nouveau programme ne s'intéresse plus au Québec comme « peuple » ou « nation ». Le Québec est réduit à un « territoire », composé d'une « population » faite d'individus aux identités multiples. C'est toute la trame nationale qui est évacuée (que l'on ne doit pas confondre avec la trame « nationaliste »), c'est-à-dire les événements-clefs qui composent la mémoire collective des Québécois. Des événements comme la « découverte du Canada », la « conquête », les « rébellions de 1837 », « l'infériorité économique des Canadiens français » ne sont pas abordés directement. Par crainte que l'histoire ne divise et au nom d'une histoire qui rassemble, on gomme les conflits fondamentaux qui ont fait le Québec d'aujourd'hui et on interdit de le comprendre.
Cette approche est privilégiée parce qu'on souhaite mettre de l'avant une « histoire plurielle » dans laquelle les nouveaux arrivants pourraient se reconnaître. À notre humble avis, en gommant les conflits nationaux, on fait le contraire ; on bloque l'accès à une meilleure compréhension du passé aux nouveaux arrivants ; on les empêche de comprendre le rapport souvent trouble des Québécois d'ascendance canadienne-française à la France, sinon à la langue française qui se fait jour à partir de la Conquête ; on ne leur permet pas de saisir des concepts comme ceux de « grande noirceur » ou « nègres blancs d'Amérique ». On obtient en somme le contraire de l'effet visé. L'histoire plurielle privilégiée ne donne pas accès aux nouveaux arrivants à ce qui fait l'imaginaire québécois, elle continue de les tenir à l'écart d'une sorte de grammaire nationale qui habite la conscience québécoise.
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Lettre ouverte au Ministre
Deux résolutions pour l'année 2006
Monsieur le ministre,
Nous sommes un groupe de citoyennes et de citoyens inquiets de la direction qu'a prise au cours des dernières années l'éducation au Québec. Bien que notre société y consacre beaucoup d'efforts, il nous semble que la finalité première de l'éducation s'est perdue dans le méli-mélo des réformes. Nous avons donc créé le Collectif pour une éducation de qualité, le « CEQ », voué à la défense d'une vision humaniste de l'éducation, dont la fin première est la transmission des connaissances, en vue d'aider chacun à s'accomplir, à développer sa pensée critique et à comprendre le monde auquel il prend part. L'école ne doit pas seulement préparer au marché du travail, mais aussi donner accès à tous au patrimoine culturel de l'humanité et du pays.
À cette fin, il faut, notamment, des méthodes pédagogiques qui ont fait leurs preuves et des maîtres bien formés. Durant la dernière année, la « réforme » que votre ministère implante dans les écoles secondaires et la formation des maîtres ont fait couler beaucoup d'encre. Sur ces deux questions fondamentales, il importe de prendre des décisions rapidement.
Moratoire sur la « réforme »
La réforme, lancée en 1997-1998, comporte des intentions bien sûr louables, telle que recentrer les enseignements sur les matières de base (français, histoire, sciences). Pour favoriser la « réussite » des élèves, cette réforme prévoit cependant une série de mesures audacieuses, pour ne pas dire hasardeuses, comme la « pédagogie par projet » centrée sur l'enfant et la disparition, à terme, des moyennes de groupe et du système de notation traditionnelle.
La « réforme » est présentement en vigueur dans nos écoles primaires. Selon toute vraisemblance, elle serait même vigueur en première année du secondaire, même si les manuels ne sont pas prêts. Avant d'aller plus loin, nous vous recommandons vivement un moratoire sur cette réforme.
Les raisons qui le justifient sont nombreuses. En premier lieu, il serait sage de s'inspirer de l'expérience des autres. En butte à une réforme semblable imposée au milieu des années 1990, plus de 28 000 parents du Canton de Genève ont signé une pétition réclamant le retour de la notation traditionnelle. Un référendum sur la question sera d'ailleurs tenu au cours de la prochaine année. Les pressions des parents sont telles que le ministre de l'Éducation a fait marche arrière et proposé un retour partiel des notes. Par ailleurs, en mars dernier, dans une entrevue accordée à La Presse, le principal inspirateur de la réforme genevoise, le sociologue Philippe Perrenoud, jugeait que la réforme québécoise allait beaucoup trop loin. En outre, tout indique que l'approche pédagogique à l'origine de cette réforme repose sur des prémisses théoriques pour le moins contestables, qu'il serait périlleux d'étendre à l'ensemble du réseau scolaire sans preuve de leur bien-fondé.
De plus, il n'est pas établi que cette réforme favorise la réussite des élèves. D'une part, comme l'ont signalé MM. Bissonnette et Péladeau il y a quelques semaines, une enquête internationale montre que les élèves québécois de la 4e année du primaire de 2003 ont moins bien performé que ceux de 1995 en sciences et en mathématique. D'autre part, selon le professeur Clermont Gauthier, la « pédagogie par projets » par laquelle les élèves sont amenés à construire leur propre savoir, qui considère l'enseignant comme un simple « guide » qui « accompagne les élèves dans leurs apprentissages », stimule certes les enfants dont les parents sont scolarisés mais défavorise ceux issus des milieux défavorisés. Des recherches empiriques menées en Europe montrent que l'enseignement « explicite » obtient, en général, une meilleure mise à niveau chez les élèves de l'ensemble des milieux sociaux.
Voilà qui donne à penser que cette réforme n'est pas la panacée attendue. Avant de l'introduire au secondaire, il est impératif d'évaluer sérieusement son impact auprès de nos élèves du primaire, d'examiner ce qui s'est fait ailleurs. Tout dans la réforme n'est certainement pas à rejeter, surtout s'il s'agit de redonner la priorité aux matières de base. Toutefois, gare aux modes pédagogiques, Monsieur le Ministre, ne faites pas des élèves du Québec les cobayes de théories incertaines! Trop d'entre nous ont payé cher ces dérapages didactiques.
Diversifier l'accès à la profession enseignante
Paraît tout aussi problématique l'accès trop restrictif à la formation enseignante. Depuis 1994, les aspirants maîtres dans nos écoles n'ont d'autres choix que de s'inscrire au baccalauréat de 4 ans en sciences de l'éducation, ce qui écarte de facto d'excellents candidats qui ont choisi de compléter un baccalauréat, voire une maîtrise en sciences, en histoire, en littérature française, soit les matières de base privilégiées par la « réforme ». Et le nouveau régime réserve le droit d'enseigner à des bacheliers qui ont acquis au plus deux années de formation dans une discipline, souvent sans étude approfondie.
Il faut rapidement mettre fin à cette situation injuste et improductive. D'une part, parce que les facultés des sciences de l'éducation n'arrivent pas à former assez de candidats pour répondre à la demande. Dans le Bulletin statistique de votre ministère de février 1999, on prévoyait qu'en 2012, 80% du personnel serait renouvelé. Nous voilà arrivés dans cette période de transition. Ce qui explique pourquoi, l'an dernier seulement, votre ministère a accordé aux écoles 716 « tolérances d'engagement ». Ces « sans papiers » de l'enseignement, qui n'ont pas suivi le baccalauréat de 4 ans en sciences de l'éducation, ne pourront jamais accéder à la permanence, situation inacceptable et indigne d'un Québec qui a tant fait pour s'ouvrir les portes du savoir.
D'autre part, pour échapper à ce long baccalauréat, de plus en plus de diplômés québécois se sont réfugiés dans les universités ontariennes pour décrocher un certificat d'un an en pédagogie. Entre 2001 et 2004, leur nombre a bondi de 127%. La demande d'enseignants dans nos écoles est telle que votre ministère a octroyé un permis d'enseigner à tous ces talents exilés. Notez que pour obtenir le droit d'enseigner au Québec, ils ont dû débourser des frais de scolarité de 6000$. Au reste, le baccalauréat québécois décourage plusieurs immigrants compétents qui ne demandent qu'à transmettre leurs connaissances à nos élèves.
Quoi faire ? Rétablir le certificat d'un an en pédagogie, quitte à exiger des stages d'une durée appropriée. Inutile d'abolir le baccalauréat de 4 ans en sciences de l'éducation. Laissons aux futurs maîtres le choix de la formation qui leur convient le mieux. Les uns choisiront une formation pédagogique plus poussée, les autres, une formation disciplinaire plus solide. De même, laissons aux écoles la liberté de choisir le profil de leurs enseignants. Votre gouvernement saura se convaincre que le monopole existant, qui restreint le liberté de formation des individus, dévalue le savoir comme base de la compétence et du prestige de l'enseignant et chasse en bout de ligne des talents de nos écoles, n'a pas sa place dans un Québec de plus en plus instruit.
La prudence en matière de « renouveau pédagogique » et l'amélioration de la formation des maîtres, voilà deux résolutions d'éclat qui feraient débuter l'année du bon pied. Deux résolutions qui imprimeraient votre marque sur l'éducation au Québec en favorisant son retour sur le chemin de l'excellence.
Veuillez croire, Monsieur le Ministre, à l'expression de notre plus haute considération.
Éric Bédard

Normand Baillargeon

Marc Chevrier

Jacques Dufresne

Marie-Éva de Villers
Cette lettre a été appuyée par plusieurs sympatisants qui partagent les mêmes inquiétudes.


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