La ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel, pointe l’« âge avancé » de la reine Élisabeth II pour souligner une « certaine urgence » d’adopter le projet de loi sur la dévolution de la couronne. La bonne marche des activités du Parlement, du gouvernement, mais également des tribunaux en dépend, selon elle.
« La reine Élisabeth est quand même âgée présentement de 95 ans. […] On peut comprendre qu’il y a ici une certaine urgence pour notre Parlement de légiférer pour se prémunir des effets juridiques liés à cette dévolution [de la couronne à venir] », a-t-elle soutenu en commission parlementaire mardi. « Il y a aussi la possibilité qu’un souverain […] qui est moins fragile au niveau de l’âge pourrait abdiquer pour des raisons quelconques et, à ce moment-là, si on n’intervient pas, […] on serait tributaire de ce qui se passe à Londres », a-t-elle poursuivi.
Le projet de loi 86 vise à éviter la « mis[e] en péril » ou l’interruption des « trois pouvoirs » — législatif, exécutif et judiciaire — après le décès ou l’abdication de la reine Élisabeth II à qui les membres de l’Assemblée nationale, du Conseil des ministres ou encore de la magistrature ont prêté serment d’allégeance.
Le professeur de science politique à l’UQAM, Marc Chevrier, a rappelé aux élus que « la Couronne est à la fois une personne physique et une personne perpétuelle en droit ». « Et l’État, sous la forme de la Couronne dans le système britannique, se construit notamment par des liens sous la forme d’un serment qui lie la personne du souverain à ses serviteurs, ses vassaux », a-t-il expliqué à la commission des institutions.
Faute d’action, le Parlement court le risque de voir l’Assemblée nationale dissoute ou encore des procès paralysés à l’annonce de la mort de la reine. « Je suis certaine [que] plusieurs anciens collègues se feraient une joie de plaider que le juge n’a plus la légitimité d’agir compte tenu de la dévolution de la couronne », a illustré Mme LeBel, ancienne procureure de la Couronne.
Le constitutionnaliste André Binette partage la crainte de la ministre. « Si un procureur de la défense en droit criminel n’hésite pas à invoquer l’arrêt Jordan pour demander un arrêt des procédures, il ou elle n’hésitera pas non plus un instant pour demander au juge s’il a prêté serment au nouveau roi d’Angleterre », a indiqué le président fondateur de la Coalition pour la République du Québec (CORÉQ).
Selon le professeur de droit à l’Université Laval Patrick Taillon, le projet de loi 86 est « bien construit » puisqu’il préserve la légitimité des institutions tout en évitant à une foule de titulaires de charges publiques d’avoir à prêter un nouveau serment d’allégeance lors de l’accession au trône de Charles III ou de Guillaume V (ou, en anglais, William V). À l’automne 2018, le solidaire Sol Zanetti avait vécu cette cérémonie comme une épreuve, dont il était ressorti, selon ses mots, « souillé à jamais », mais député de l’Assemblée nationale.
Vers la république ?
Le professeur Taillon propose à l’Assemblée nationale de poursuivre le « grand chantier de la Révolution tranquille » en modifiant le titre du lieutenant-gouverneur du Québec, par exemple.
« Soit on assume que c’est notre institution et on lui donne un certain prestige [en lui conférant le titre de gouverneur]. Partout en Amérique du Nord, le terme gouverneur veut dire quelque chose. […] Si, à l’inverse, on est plutôt dans une stratégie d’isolement du lieutenant-gouverneur où on veut le garder, mais on veut le limiter à un rôle de “sanctionneur” de lois, un rôle très administratif, alors là, il faut y aller avec une terminologie un peu moins prestigieuse sur le plan protocolaire. On peut imaginer “secrétaire général du Québec” », a-t-il suggéré.
Pour André Binette, le Québec pourrait même « s’autodésigner comme République associée dans la Constitution canadienne ».