Si l’indépendance n’est pas réalisable à court terme, comment aiguiller des changements fondamentaux?
Claude Morin a publié [Continuer Autrement->31331] le 15 octobre. Le texte se base sur un constat qui poursuit logiquement le fil de sa réflexion. Claude Morin a toujours écrit que le gouvernement canadien franchirait cercle après cercle et que même avec des années d’accalmie, ses phases expansionnistes reviendraient amoindrir davantage le pouvoir québécois. Le texte a donc pour but d’amorcer une réflexion sur la nécessité de mieux protéger le Québec si un consensus québécois n’assure pas un référendum gagnant portant sur la souveraineté.
Claude Morin cite Stéphane Dion qui remarquait par exemple qu’il n’y avait aucun frein à la contestation de la loi 101. Le Québec est à l’intérieur d’une soupe épaisse et les bouillons n’arrêtent pas. Les points de résistance sont nombreux, entêtés et envahissants et le cours de la semaine dernière, accompagnant la publication de ce texte, l’a particulièrement montré.
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Résumons cette semaine. Le 18 octobre avait lieu la grande manif d’opposition à la nouvelle loi en faveur des écoles passerelles. Ce même jour, un membre du gouvernement, Jean-Marc Fournier et le premier ministre Jean Charest se livraient sciemment à un amalgame entre les collaborateurs de Vigile et le FLQ.
Le prétexte, comme vous le savez, c’est qu’un ancien felquiste a encouragé, sur ce site, des gens à coller des affiches disant que les députés libéraux se montrent complices de la corruption en tuant dans l’œuf toute enquête sur les malversations dans le milieu de la construction et ses accointances avec le gouvernement. Le midi même, Liza Frulla parla au club des Ex d’une radicalisation de Vigile et cita en exemple les demandes de démission adressées à Jean Charest.
Jean-Pierre Charbonneau nota qu’une vaste majorité de Québécois souhaitait le départ de Jean Charest. Le hasard ayant de ses ironies, la journée même où on brandissait le thème des libertés individuelles pour accorder le droit d’existence aux écoles passerelles, les mêmes fédéralistes voulaient priver un ancien felquiste de ce droit d’accès à la vie publique. Le jour même où ils défendaient ce “pays libre”, ils plaidaient pour que Vigile soit muselé faute de fonds. En cette contrée du juste milieu, de l’égalité et du parfait équilibre dans la diversité, on détecte les radicaux et il semble qu’avec autant de sens de la nuance, on sait qui il faut faire taire.
Le lendemain, 19 octobre, le bâillon ayant précipité l’adoption en faveur des écoles passerelles, les activistes canadiens de la province du Québec annonçaient leur intention de contester la loi. Cette fois, ils ne soulèveraient pas que la question des droits individuels, annoncèrent-ils. Selon eux, la Constitution canadienne n’implique pas seulement que la langue française ne s’impose pas aux individus, elle veut aussi que la communauté anglophone puisse croître en nombre et prospérer. Ils feront donc valoir les clauses communautaristes dans la Constitution tout en réitérant que l’on doit se pencher sur les résidents du Québec en tant qu’individus.
Le 20 octobre, dans sa chronique André Pratte disait que le Mowat Centre for Policy Innovation, nouveau centre de recherche ontarien, veut inspirer une nouvelle définition du Canada. Les membres du Mowat prônent un partage des compétences basées sur l’efficacité des services offerts. En bref, cela veut dire que l’on redéfinit l’Etat québécois, comme toute province, en tant que panier de services susceptible de se mesurer aux paniers de services des autres ordres de gouvernements.
Aussi bien dire que le Québec devient un centre local de services sociaux et culturels qui doit justifier lui-même l’octroi de ses responsabilités à l’aune de la règle d’efficacité. Coup sur coup, nous avons assisté à une fronde qui, bien que non concertée, propose une perte radicale du sens de l’Etat Québécois. Ce gouvernement national qui en principe aurait à être agent de son histoire doit, dans cette vision, être un comptoir, un distributeur dépolitisé de services aux individus résidant sur la partie de l’est du Canada qui lui est alloué.
La redéfinition du Canada dans cette optique, c’est plutôt le droit de prêter des services et le devoir de s’en acquitter pour que l’Etat québécois ne soit pas privé ultérieurement du droit de donner des services. Bienvenue dans le futur et dans les lendemains radieux.
On verse de plus en plus dans une détermination du pays où le Canada se voit comme un continuum essentiel et où le Québec est vu comme une ramification naturelle à son système politique. En attendant l’indépendance, que faire pour que le Québec dise au moins comment régler la cohabitation? Il y a là une question d’urgence qui explique le travail de réflexion de Claude Morin.
Le gouvernement national des Québécois n’a-t-il pas au moins le droit de vouloir et celui d’articuler une volonté touchant à son être, son sens, sa responsabilité spécifique? Au Canada, la nation québécoise a été frappée d’un négationisme d’État et ce négationisme est devenu un négationisme sociétal c’est-à-dire qu’en dépit la reconnaissance de cette motion sur la nation québécoise dans “un Canada uni”, l’état conditionné de l’opinion fait en sorte que la négation va de bas en haut.
On parle de “démocratie canadienne”, ce qui veut dire à propos du Québec qu’il est un thème libre, soumis à des réactions épidermiques, à des dynamiques émotionnelles. Le fait que ces dynamiques émotionnelles puisent dans des arsenaux comme “les droits individuels” ou les “droits communautaires” ne donne aucun espace à la nation québécoise. Le consensus canadien s’excuse d’avance avec ces deux catégories de droits. On en revient fatalement par une de ces catégories ou par l’autre à l’idée que la nation québécoise, si elle existe, doit demeurer une affaire de prosélytisme personnel si on veut respecter la Charte et la Constitution.
Le fait aussi que le Québec n’a pas signé la Constitution ne marque aucun bémol quand il s’agit pour le Canada de prendre l’ascendant. Généralement, on sous-entend au Canada que, puisque le Québec va la signer un jour, on ne peut parler d’annexion coloniale, juste d’un délai.
En attendant l’indépendance, que fait-on avec cette lobotomie touchant la nation québécoise, nous affecte tous en tant que Québécois?
En tant que Québécois, nous vivons, fédéralistes et indépendantistes, dans un contexte bien canadien où le Québec se fait systématiquement accuser de trouver une variété de cibles pour exercer sa désapprobation. De bas en haut, ladite “démocratie canadienne” y voit toujours des exemples déprimants d’atomisme et d’égocentrisme. Et face à cela, le Québec mis de côté. Les Québécois n’ont pas même un gouvernement national armé de notions timides pour s’affirmer dossier par dossier en tant que gouvernement national. En attendant l'indépendance, on pourrait au moins apprendre la référence à un quelconque niveau de conscience du soi nationale traduit dans des textes et des normes.
Le Parti Québécois travaille sur un projet de Constitution. En principe, tout cela devrait devrait être dans la normalité des choses. Malheureusement dès que le Québec bouge, cela devient la mesure de sa culpabilité. Le fédéralisme induit une idéologie compétitive et retranchée. Tant que le Québec sera fédéré par le Canada. comment freiner ses incessantes contorsions?
André Savard
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