Faiseurs et Faisans de la politique non nationale

Chronique d'André Savard

Qu’est-ce que le gouvernement national des Québécois sait du sens et de la cause du combat québécois? Pire encore, a-t-il le droit d’en parler, d’en savoir quelque chose? A-t-on dit quelque chose, a-t-on installé des poteaux quelque part, mis une base? La nation québécoise est-elle un sujet démocratique, une matière à débat qui rencontre sans arrêt ses procureurs partout au Canada?
Les problèmes que rencontre le Québec viennent du fait que sa classe politique est réduite à l’impuissance. Cette classe politique sait à quel schéma de résistance se heurte le Québec. Essentiellement, le Canada s’est mobilisé dans une pseudo antinomie : l’individu contre la collectivité et le particulier contre l’égalité. Le combat québécois est repoussé et on dit, au Canada, que l’on repousse quelque chose de beaucoup plus grave.
Les lois canadiennes donnent un bel édifice pyramidal au mouvement de rejet envers la nation québécoise. Elles creusent un vide dans le champ des possibilités et conséquemment encourage la médiocrité au pouvoir.
Le refus de Jean Charest d’ouvrir une commission pour enquêter sur le milieu de la construction a carrément encouragé la croyance que le régime était pourri. Pire, la population qui ne fait pas dans la nuance s’est mise à croire que le pouvoir repose sur la complicité avec les brasseurs d’affaires malpropres et la pègre.
On a donc assisté à une généralisation, une façon de renvoyer dos à dos les politiciens qui rend le refus de la politique étrangement anodin. Pour ne pas être partisan, on parle du rejet de la classe politique. Pour être bien au centre et ne pas être accusé de partisanerie, on dit que les branches pourries sont partout. Jean Charest existe, alors il faut noyer dans le même sac, avec Jean Charest, tout ce qui politique, noyer tout le monde qui ose politiquer. Si l’arbre est pourri, par souci de nuance, condamnons la forêt. Comme sens de la nuance, c’est plutôt déplacé.
Le gouvernement est responsable des scandales. C’est de la façon de s’acquitter de ses pouvoirs qu’il s’agit. Ce n’est pas la classe politique qui nomme une agente de liaison et qui établit un système de relais où les argentiers circulent comme des poissons dans l’eau. Un gouvernement ne représente pas la classe politique. Il ne peut dire qu’il est ce qu’il est parce que la classe politique n’est pas capable de respecter ses propres principes.
C’est pire lorsque les fédéralistes québécois sont au pouvoir, lit-on dans des chroniques qui prennent bien soin de dédaigner le Québec ancien et moderne. Nous l’avons lu dans plusieurs papiers canadiens. On en rend responsable les indépendantistes qui mettraient en cause le Canada et disperseraient les énergies. Ce serait les indépendantistes qui seraient à blâmer d’entretenir un contraire dans ce royaume unique, lequel refuserait les milieux trop homogènes au nom de son amour de la diversité.
Or, c’est le système canadien lui-même qui demande des gouvernants qui ne gouvernent pas au nom de la nation québécoise, aussi bien dire des têtes vides qui ont le droit d’avoir les poches pleines. Quand on rougit de rétablir cette nation dans ses droits, quand l’idée même que la nation québécoise ait des droits est un pavée dans la mare, alors il ne reste plus que les motifs personnels et l’argent dans l’horizon politique. Ceux qui sont séduits par cet horizon réduit parlent de réalisme, de motifs financiers qui instruiraient enfin les interventions du politique.
On s’est souvent demandé depuis les commandites d’où venait ce pouvoir d’attraction du parti Libéral auprès des opportunistes. Le parti Libéral s’identifie au régime et ceux qui ont compris qu’il est plus payant d’être du côté du régime que de loger parmi ses adversaires ont tendance à aller davantage vers un parti qui s’identifie au régime.
Les proches du parti Libéral redoutent ledit «salissage » qui aurait entouré la commission Gomery pour se garder de fouiller à nouveau. Souvent les partisans libéraux dénoncent le salissage autant qu’ils disent ne plus vouloir d’un Québec qui va de drame national en drame national. Au nom de la conduite des affaires, on ne parle pas de la nation québécoise et de tout ce qui pourrait enclencher un autre drame national.
Si on occupe la plus haute marche de l’Etat, pour être conforme à la Constitution Canadienne, on peut se pencher sur les Québécois en tant qu’individus, mais non sur les Québécois en tant que nation. Ce serait « divisif ». Cela ranimerait le spectre d’un monde où Québécois et Canadiens s’entredéchiraient. On peut mener des combats qui ont un sens pour la législature provinciale, ou pour des individus qui n’ont pas le nécessaire (le nécessaire aux pauvres ou ce qui est nécessaire aux gens prospères) rien cependant pour les Québécois en tant que peuple,
On a un gouvernement qui ne se demande pas un instant pourquoi, si ce régime est si bon, la nation québécoise risque de vivre un drame national si elle dit qu’elle existe. On nous dit que ce n’est pas nécessaire car l’existence passe entre les mailles du filet et n’attend pas d’être nommée. On peut cependant, en paroles lyriques, valoriser la nation québécoise à titre de supplément d’âme dans les structures actuelles. On a donc un gouvernement qui choisit la bulle de la non-intervention pour régler, selon son expression, les « vraies affaires ».
Supposément que cette prévention négative, l’oubli de la nation québécoise, de la part du régime canadien assure que le pouvoir va s’exercer pour tout le monde. La politique est un tout mais sa courte philosophie dit être faite de « réalisme », de « pragmatisme ». On a un gouvernement national qui ne doit rien dire en rapport avec le sujet national. C’est une prérogative du Fédéral. Il représente bien la nation québécoise, ce supplément d’âme, cette couleur ethnique locale. La mission politique de cette dernière doit être conforme à la Constitution canadienne. Elle ne se décide pas. Elle ne se choisit pas car on veut être du côté du Canada et donc du côté de l’humanité.
On comprend que la Constitution canadienne ne fasse nulle mention de la nation québécoise. C’est l’oubli qui fonde la politique légitime. Le gouvernement national des Québécois n’ose même pas avoir une Constitution québécoise car dès que l’on sort de l’oubli la nation québécoise, d’emblée on risque de se faire traîner devant les tribunaux supérieurs pour anti constitutionnalisme canadien.
On a droit à des politiciens qui aiment les minorités. Cela rappelle la fameuse boutade : « Un gouvernement des minorités avide d’assurer l’arrivée au pouvoir d’une minorité ». À force de cacher la nation québécoise, ni agente et porteuse de son histoire, à quoi sert le pouvoir, qu’en faire comme Québécois? Il n’y a plus de place que pour les affairistes, des intéressés à l’arrivée au pouvoir de leur minorité, aucune place pour un gouvernement qui se reconnaît enfin des responsabilités envers la patrie de la nation québécoise.
Et ce gouvernement d’une minorité d’affairistes est dans le droit fil de toute la structure politique canadienne avec sa prétention de dépolitiser la nation québécoise au nom du règne du citoyen canadien. Gardons cette structure politique, continuons de dire que le sens du combat québécois rime avec repli sur soi, continuons de nous tromper sur la cause de ce combat; le champ restera libre pour des Jean Charest d’une nouvelle génération plus vieille que l’ancienne.

André Savard


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