L'impasse et ses symptômes

Chronique d'André Savard

On a beaucoup critiqué la naissance éventuelle d’un parti de centre-droite. Au cœur de ce projet se trouve, maladroitement, le désir d’échapper à un piège qui se perpétue. Le fédéralisme renouvelé, la fondation de l’ADQ, et aujourd’hui le projet d’un nouveau parti, sont trois phénomènes éloignés dans le temps. Ils ont tous les trois voulu échapper à la bipolarité au Québec.
Les deux premiers phénomènes disaient croire en un troisième pôle. Le troisième veut établir un moratoire au cours duquel les meilleures énergies de la nation vont se consacrer à la résolution des problèmes pratiques. Ce n’est pas que François Legault nie que le problème constitutionnel soit vrai. Il ne croit pas que les conditions rendant la solution possible se conjuguent.
Comme beaucoup d’indépendantistes, de gauche et de droite, ils doutent du pouvoir du Québec de faire aboutir le projet indépendantiste à notre époque.
François Legault a pris par ailleurs note du pourrissement du parti Libéral à titre de force politique. Le parti Québécois réunit aujourd’hui beaucoup de jeunes talents prometteurs, ce que même ses adversaires admettent alors que le parti Libéral ne brille à aucun niveau. Le parti Libéral est devenu un problème pour le Québec tout entier. Sous prétexte qu’il était la seule force politique susceptible de nuire au mouvement indépendantiste québécois, ce “regroupement d’intérêts” a pu se remplir les poches en échange d’un gouvernement provincial docile.
Les argentiers sont devenus la cheville ouvrière de ce parti. Ils passent directement dans les corridors de la chancellerie gouvernementale pour présenter les attentes des donateurs. Ils rencontrent directement la responsable de la nomination des juges, une agente de liaison du parti Libéral, coiffée du titre de haute fonctionnaire.
Le parti Libéral ne défend pas une “certaine idée du Québec” au sens où l’entend Benoît Pelletier. C’est un parti d’argent qui, au plan constitutionnel, défend une tradition contraire au mouvement indépendantiste.
Donc, François Legault s’est dit avec d’autres qu’il fallait mettre fédéralistes et souverainistes au service des réalités sociales et économiques du Québec. Quant au parti Libéral, Legault a sûrement constaté qu’il s’acquitte mal de cette mission car il n’est que l’avant-poste intéressé du système de la domination canadienne au Québec.
Tous ceux qui craignent pour l’espace économique canadien sont susceptibles de souscrire au parti Libéral. Tous ceux qui croient leur gagne-pain tributaire des contrats gouvernementaux sont susceptibles d’être approchés. Si, en surface, le débat public nous montre un affrontement dualiste entre le bien et le mal, on retrouve derrière un regroupement d’intérêts très actifs et soucieux de contrats juteux.
S’il y a des hommes qui, comme Benoît Pelletier, passent au parti Libéral, s’interrogeant sur des réformes qui permettraient au Québec d’assumer un destin national au sein de la fédération canadienne, ils sont l’infime minorité. Ils passent dans ce parti comme passe un nuage. S’ils bougent le moindrement, ils vont se faire dire que la notion d’entorse à l’esprit fédératif risque d’aider l’adversaire.
Le mot « fédéralisme » sert d’alibi à la rationalité canadienne. Le fédéralisme en principe n’est pas un système qui a pour but d’empêcher une nation d’avoir un destin national. Il peut connaître de nombreuses variantes. Mais voilà, le fédéralisme canadien, plus idéologique que les autres, n’a pas pour but de défendre le destin national du Québec.
Ceux qui disent que le Canada présente un système à l’avant-garde, ont parfois été jusqu’à soutenir qu’après une transition, on aboutira à une provincialisation des nations et à leur regroupement dans des hyper-nations qui représenteront un palier plus évolué.
Pour eux, la nation québécoise est une notion qui a conduit à la crise d’un conflit exacerbé au seuil d’un nouvel âge. Ils tiennent le conflit comme définitivement derrière eux. La nation québécoise (si elle existe) doit appartenir au Canada comme toutes les autres cultures qui trouvent au Canada le contexte propice à une révolution supérieure.
Pour contrer le mouvement indépendantiste québécois, toute figure de proue du parti libéral a mission de dire que le fédéralisme canadien est une version ultime, capable d’évolutions incroyables. Benoît Pelletier n’a pas joué les chiens dans les jeux de quilles du temps où il fut ministre dans le gouvernement Charest. Comme les autres libéraux, il s’est dit contre les querelles interminables. Surtout qu’entre les querelles, les conciles ont donné lieu à l’annexion de 1982 et au rejet de l’accord du lac Meech.
En dehors du parti Libéral, les fédéralistes pourront-ils à nouveau militer pour un Québec sûr de ses droits, premier maître d’œuvre de ses projets politiques? Ils semblent ne pas le croire eux-mêmes puisque, dans l’hypothèse de la formation d’un nouveau parti, ce serait sous condition d’établir un moratoire sur la question nationale qu’ils se mettraient à la besogne.
Il faut des années et des années chez les fédéralistes pour qu’une brèche brise le vernis et qu’un Benoît Pelletier ose constater une évidence : “Du reste, la charte des droits et libertés pose tout un défi au fédéralisme canadien, ne serait-ce qu’en transformant le paradigme traditionnel fédéral-provinces en un paradigme citoyens-Etat.”
En fait, c’est un paradigme bizarre qui fait des citoyens le ciment de l’unité canadienne par-delà les provinces. Ce paradigme est à la base de la loi de Stéphane Dion notamment. La grande question : si on veut échapper à la bipolarité, ne faudrait-il pas se demander comment échapper au paradigme? Le dégoût du politique, le troisième pôle, le moratoire ne sont-ils pas tous des masques de la soumission?
Benoît Pelletier, à tout le moins, essaie de sortir du discours officiel fédéraliste. Dans son livre « Une certaine idée du Québec », Benoît Pelletier déplore le fait que la population québécoise, par son apathie, ne donne pas prise à un mouvement inspirateur de réformes constitutionnelles. Il oublie de dire cependant que tout le temps où il était ministre, son patron Jean Charest prétendait que les réformes étaient en voie d’avoir lieu et que les ententes administratives marquaient un changement total de la dynamique canadienne.
Tout à coup, le premier ministre du Québec disait que le Conseil de la Fédération et le fédéralisme asymétrique, c’est l’espérance en action. Des hommes comme Benoît Pelletier voient bien que le Québec, patrie d’une nation, est un sujet emmuré dans le carcan provincial. On comprend que Benoît Pelletier ait déjà dit ne pas aimer le mot “province” à propos du Québec et qu’il traite dans son livre d’une entorse à l’esprit fédératif.
Seulement, Benoît Pelletier va vite se faire avertir de ne pas relancer une question qui va retomber au plus près de l’endroit où elle a été posée. Le Canada n’est pas l’Europe. C’est un pacte de domination marqué par la dialectique anglo-franco. La possibilité même de recruter des alliés au sein du Parti Libéral du Québec sans se faire rembarrer est nulle pour Benoît Pelletier. Il écrit dans son livre qu’il ose la critique du système fédéral actuel parce qu’il est fédéraliste. On devine que le mot « ose » est de toute première importance.
«Ose » parce que le parti Libéral n’a plus rien à voir avec le parti Libéral des années soixante. Ce parti ne réussit plus à former dans ses rangs une culture québécoise. Le Parti libéral est un vase communicant avec ce qu’il nomme le parti frère d’Ottawa. Les Lucienne Robillard, Jean-Marc Fournier vont de l’un à l’autre. Il y a bien un Denis Coderre qui rencontre des résistances mais le seul fait qu’il songe à faire le saut, parce qu’il n’est pas dans les petits papiers de Michael Ignatieff, montre que le pont-levis existe.
Et à force de dire que le séparatisme est un obscurcissement de l’esprit, un repli sur soi et que l’appartenance au Canada nous achemine vers la vraie connaissance, l’idée même du Québec qui définit le projet canadien s’est rapetissée au rang des ombres. Aujourd’hui, la liberté de vouloir se borne, au Québec, à quêter des mesures particulières plutôt que le déploiement rectiligne de certaines politiques fédérales.
André Savard


Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Jean-Yves Durocher Répondre

    10 octobre 2010

    Je vous remercie de péter la baloune nationalo-québécoise qui associe fédéralisme au diable en personne. Inutile de dire que presque partout sur la planête le fédéralisme ne se conjugue pas à la canadienne.
    À commencer par les États-Unis d'Amérique, le pays au sud du Québec et qui est l'incontournable en matière de fédéralisme et de confédéralisme. Le premier l'ayant emporté sur le deuxième (http://en.wikipedia.org/wiki/Articles_of_Confederation) lors la rédaction de ce qui est maintenant la constitution américaine, qui date d'une dixaine d'années après la révolution, le wiki (en anglais) est complet et factuel: http://en.wikipedia.org/wiki/United_States_Constitution
    On a déja épiloguer sur ce site du délire d'un certain Stéphane Dion, fils d'un autre, qui disait que le fédéralisme canadien était le plus décentralisé...
    Il y a donc une constitution de la République des États-Unis d'Amérique et 50 constitutions d'États et une pour Porto-Rico par exemple. Cette année dans quelques semaines, le Vermont propose un amendement à sa constitution pour permettre aux jeunes qui ont 18 ans lors de l'élection générale mais 17 ans lors des élections primaires de voter dans celle-ci. http://ballotpedia.org/wiki/index.php/Vermont_Voting_Age_Amendment,_Proposal_5_(2010)
    Il est évident que lorsqu'un américain entend parler contre le fédéralisme il interprète le tout comme un rejet des USA.
    Le Canada, réaliste, avait parfaitement compris en utilisant le terme sécession lors du référendum de 1995, abandonnant le terme séparatiste qui, aux USA, est doublement positif, puisque les « naufragés » du Mayflower l’était (http://en.wikipedia.org/wiki/Mayflower) et que la Déclaration d’indépendance utilise le mot et le verbe dans son préambule : “When in the Course of human events, it becomes necessary for one people to dissolve the political bands which have connected them with another, and to assume among the powers of the earth, the separate and equal station to which the Laws of Nature and of Nature's God entitle them, a decent respect to the opinions of mankind requires that they should declare the causes which impel them to the separation.”
    Naturellement, au PQ, les dictionnaires sont interdits si bien que l’on a utilisé le mot secession comme synonyme de séparation. Or en droit constitutionnel les deux termes sont différents.
    Pour réparer son erreur, le fédéral créa le Forum des Fédérations (http://www.forumfed.org/fr/index.php, dirigé alorspar Bob Rae, organisa une conférence au Mont-Tremblant en invitant le président américain, Bill Clinton et en « oubliant » d’inviter Lucien Bouchard au départ…
    C’est dire l’importance de votre propos d’aujourd’hui, la confusion n’aide guère notre cause plus souvent qu’autrement.
    Il ne vous reste maintenant qu’à expliquer à 99,99% de la population ce que veut dire souveraineté… Bonne chance!