Protection du public: un statut pour les journalistes professionnels s'impose

Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)


Richard E. Langelier - Docteur en droit et spécialiste des médias, l'auteur a réalisé une étude pour le Groupe de travail sur le journalisme et l'avenir de l'information portant sur la question du statut des journalistes professionnels (www.etatdelinfo.com)

À son prochain congrès, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) débattra à nouveau de la question de la pertinence de doter les journalistes professionnels québécois d'un statut légal spécifique. Ce débat historique récurrent peut être directement corrélé avec les conditions socioéconomiques imposées aux journalistes pour l'exercice de leur fonction. Il ne fait pas de doute que la situation actuelle vécue par plusieurs journalistes professionnels est inquiétante. Des enjeux de société importants sont aussi en cause dans ce débat.
À mon avis, l'angle sous lequel doit être examinée cette question est celui de la qualité de l'information: la reconnaissance d'un statut légal spécifique pour les journalistes professionnels québécois est-elle susceptible de contribuer à améliorer la qualité de l'information et, si oui, comment?
Pas une panacée
D'entrée de jeu, il faut préciser un principe de base en regard de cette question: la reconnaissance d'un statut légal pour les journalistes professionnels ne constitue pas une panacée permettant de résoudre l'ensemble des difficultés que rencontre aujourd'hui la constellation journalistique. La crise actuelle du journalisme est liée à des facteurs structurels profonds dont les paramètres ne sauraient être modifiés simplement par l'octroi d'un statut légal.
Toutefois, il me semble clair que si la présence d'un statut légal pour les journalistes professionnels québécois ne garantit pas absolument le maintien ou de l'amélioration de la qualité de l'information, son absence constitue clairement une condition favorable à la détérioration de cette qualité.
Dans ce débat, il importe peu de répondre à ceux qui s'opposent résolument à l'octroi d'un statut spécifique au nom de principes idéologiques voulant que les individus doivent résoudre seuls les contradictions du monde socioéconomique. La situation actuelle de la plupart des journalistes indépendants et ses conséquences sur l'information sont telles que ces théories, inspirées d'un certain darwinisme social, ont montré leur incapacité à saisir les enjeux sociétaux et à résoudre, in concreto, les contradictions en cause. Cette approche fait aussi reposer sur les seules épaules des individus les contraintes déontologiques et néglige les effets de structures qui sont, en ces matières, déterminants.
Standards
Mais s'agit-il d'un repli identitaire ou d'une dérive corporative de la part d'un groupe social d'abord désireux de maintenir ses privilèges, alors que l'information est devenue pléthorique et livrée au public sur une grande variété de supports, par un nombre accru d'agents et dans un kaléidoscope d'approches et de points de vue?
À mon avis, aborder ainsi la question c'est faire fi d'une réalité toute simple: la plupart des gens utilisent encore les médias dits traditionnels (y inclus leur version électronique) pour s'informer, et la protection du public impose qu'ils sachent avec quels standards sont traitées les informations qui leur sont transmises. C'est aussi confondre l'information traitée selon des standards professionnels et des normes déontologiques précises avec toutes les formes de communication, d'opinion et de propagande. Oui, en effet, les distinctions entre les diverses formes de communication sont parfois compliquées à établir et l'échelle de gradation allant de l'une à l'autre de ces réalités comporte des nuances difficiles à mesurer.
Mais c'est justement pourquoi il importe que l'octroi d'un statut légal spécifique soit associé à une obligation de renforcement des normes déontologiques. Plusieurs analystes ont remarqué le caractère impressionniste et parfois incohérent des normes déontologiques actuellement en vigueur au Québec. Un effort normatif s'impose donc et est d'ailleurs souhaité par la plupart des journalistes professionnels québécois, comme le montre un récent sondage effectué par la FPJQ et les débats menés aux tables de réflexion réunies par le Groupe de travail sur le journalisme et l'avenir de l'information.
Monde juridique
Et ce renforcement des normes déontologiques vaut mieux que de laisser aux seuls tribunaux le soin de fixer indirectement ces normes par le biais des décisions rendues en matière de diffamation ou de protection de la vie privée. La plupart des analystes et observateurs du développement de la constellation médiatique américaine ont conclu que l'intervention du monde juridique dans l'univers journalistique a présenté des conséquences négatives qui vont d'une interférence dans les politiques éditoriales des médias jusqu'au déclin du journalisme d'enquête, sans parler des ressources financières et humaines qu'ont dû consentir les médias pour faire face à cette réalité.
Si, dans une société démocratique, personne ne peut échapper aux règles du droit, l'enjeu est de savoir qui les définira: la constellation de l'information et les journalistes dans leurs rapports dynamiques avec le public ou des juges ayant souvent des préjugés négatifs envers les médias ou dont les décisions répondent à des logiques qui sont parfois bien éloignées du droit du public à l'information.
Il ne s'agit donc pas de vouloir remplacer le marché des lois, le contrat social imposant des obligations de «service public» aux médias, par les seules lois du marché, mais d'articuler l'intérêt public selon des normes où les principaux acteurs sociaux en cause et le public ont toute leur place.
Indépendance des médias
Comme je l'écrivais dans mon analyse des débats historiques ayant entouré cette question au Québec et à partir de l'examen de diverses expériences étrangères, l'importance, à l'égard de la reconnaissance de ce statut, est de s'assurer que l'État se déclare incompétent pour résoudre cette contradiction et qu'il laisse aux seuls acteurs le soin d'établir les conditions pour l'obtention de ce statut, les normes devant être respectées pour que ce statut soit maintenu et les sanctions pouvant découler de manquements aux normes déontologiques qu'impose ce même statut.
Pour respecter l'indépendance des médias, tout au plus peut-il imposer que les organismes représentatifs de la constellation journalistique règlent cette question dans un délai fixé, et rattacher à ce statut l'octroi de certains avantages favorisant la qualité de l'information. Il peut tout aussi légitimement imposer des conditions minimales de travail et de rémunération aux journalistes indépendants (pigistes) ne bénéficiant d'aucun mécanisme efficace de négociation collective, comme il l'a fait pour certaines catégories de travailleurs dits indépendants (les éducatrices en milieu familial ou les artistes, par exemple).
À cet égard, l'expérience britannique, qui a si souvent inspiré les développements journalistiques québécois, demeure l'exemple le plus pertinent: ce sont les conservateurs britanniques, qu'on peut difficilement accuser de dirigisme étatique, qui ont récemment obligé les organes de presse à participer à la mise en place de mécanismes déontologiques plus contraignants pour assurer la protection du public.
Pas de sectarisme
Il doit aussi être clair que tout avantage conféré par ce statut doit avoir pour objectif de renforcer la qualité de l'information, et non d'octroyer des privilèges aux détenteurs de ce statut. L'adoption d'une loi assurant aux journalistes professionnels la protection de leurs sources constitue un exemple d'avantages pouvant être rattachés à ce statut. Le refus récent de la Cour suprême du Canada de reconnaître un privilège spécifique de non-divulgation des sources d'information pour les journalistes repose d'ailleurs sur l'inexistence d'un «processus d'agrément officiel» et l'absence d'un statut régissant les journalistes professionnels.
En terminant, rappelons qu'une autre condition s'impose pour que la constellation journalistique mène ce débat correctement et obtienne enfin ce statut: les diverses organisations représentatives des journalistes doivent mettre de côté le sectarisme qui a parfois caractérisé leurs actions et prises de position, qu'elles reconnaissent pleinement la légitimité des unes et des autres et établissent les compromis nécessaires à l'obtention des consensus favorisant l'unité d'action de tous les journalistes professionnels.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->